Cyclone Kenneth : l'impossible reconstruction des Comores

Quelques heures avant son passage dévastateur au Mozambique en avril dernier, le cyclone Kenneth s'est abattu sur un pays particulièrement vulnérable, l'Union des Comores.

De Cyril Castelliti
Photographies de Louis Witter
Publication 28 mai 2019, 16:35 CEST
Les maisons de tôle n'ont pas résisté aux chutes de grands arbres. Dans le quartier de ...
Les maisons de tôle n'ont pas résisté aux chutes de grands arbres. Dans le quartier de Coulée dans la capitale, les habitants s'activent à tronçonner les troncs qui traversent les maisons. Moroni, Grande-Comore, Comores, jeudi 25 avril 2019.
PHOTOGRAPHIE DE Louis Witter

Dans cette petite nation insulaire située à soixante-dix kilomètres du département français de Mayotte, les dégâts humains et matériels sont considérables. Un choc pour les habitants de cet archipel pauvre, où la reconstruction s'annonce d'ores et déjà éprouvante.

« Par la grâce de Dieu je suis encore en vie, mais ma maison est détruite. Où vais-je dormir ce soir ? Aucune idée…» La voix encore tremblante, Charan Mzechehe, 39 ans, revit une nuit qui a bien failli être sa dernière. « À mesure que le vent se levait, mon cœur battait de plus en plus vite. J'avais peur… très peur. Quand je décidais de partir, un arbre s'est abattu sur ma maison. Le tronc est passé juste à côté de mon lit. À quelques centimètres près, c'est sur moi qu'il tombait. »

Comme des dizaines de milliers de Comoriens, Charan fait partie des sinistrés du cyclone Kenneth qui a frappé le pays dans la nuit du 24 au 25 avril dernier. « Une nuit infernale » pour la population, qui restera pour longtemps dans l'histoire de ces îles, isolées à la fois géographiquement et médiatiquement.

La nuit suivante, c'était au tour du Mozambique de connaître la colère de Kenneth. Un coup de grâce pour ce pays déjà touché quelques semaines auparavant par le violent cyclone Idaï. Bilan des deux catastrophe naturelles : 600 morts et des centaines de milliers de sinistrés. Face à un tel drame, difficile pour ce petit pays qu'est l'Union des Comores de faire la Une. Charan le sait, mais il garde espoir : « Il faut que tous les pays du monde s'assoient à une même table pour nous venir en aide. Nous sommes un pays pauvre, comment nous en sortir autrement ? », plaide-t-il.

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    Route Ambassadeur, certaines maisons en briques ont elles aussi subi les vents violents. Stockés sur le toit de celle-ci, des parpaings ont chuté dans la nuit. Moroni, Grande-Comore, Comores, jeudi 25 avril 2019.
    PHOTOGRAPHIE DE Louis Witter

    Pauvre, les Comores le sont, assurément. Classée au 23e rang des nations les moins fortunées, ce pays d'environ 800 000 habitants n'a pas attendu Kenneth pour afficher une situation préoccupante. Selon le dernier rapport de la Banque Mondiale sur la pauvreté, plus de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, et 75 % de la population souffre de privations. Symbole de cette précarité, les difficultés d'accès au logement ainsi qu'aux services de base. Car à l'instar de Charan, une large partie de la population vit dans ce que l'on appelle aux Comores un « banga ». Une petite habitation faite autrefois de terre argileuse et qui s'apparente aujourd'hui à quelques planches de bois sur lesquelles sont clouées des tôles ondulées. Pour Kenneth, ces bangas sont des proies faciles. Quand le cyclone déferle sur le pays le soir du mercredi 24 mars, le ciel gronde mais ce n'est pas le tonnerre. Juste le bruit des carcasses métalliques emportées par le vent, et les cris d'une population désemparée.

     

    « MON COEUR A ÉTÉ DÉRACINÉ »

    Le lendemain matin, le quartier de Charan se réveille au son des tronçonneuses s'enfonçant dans les arbres déracinés. Dans ce petit village des hauteurs de Moroni, la majorité des habitants vit, ou plutôt vivait, dans des bangas. Les routes sont raides et le sol est noir, stigmates de la lave du volcan Karthala qui s'écoulait autrefois dans cette localité pauvre de Grande Comore. Un phénomène naturel qui a donné son nom au village : « Coulée ».

    Ici comme ailleurs, nombreux sont ceux qui reconnaissent ne pas avoir pris la mesure du drame qui s'annonçait. « Aux Comores, il n'y a pas de cyclone ! » martelait plus tôt dans la journée un commerçant, refusant de fermer boutique. À l’instant même, les forces de l'ordre sillonnaient le marché central de Vouvouni en sommant les gérants des boutiques de respecter le couvre-feu. « Les magasins ne seront pas ouverts ce mercredi après-midi », pouvait-on lire sur des affiches placardées dans les rues de Moroni dès la veille du passage de Kenneth. Le mercredi, les lignes électriques étaient coupées pour éviter que les installations vétustes ne s'embrasent. Une mesure qui, pour les habitants, a cependant compliqué le suivi des bulletins d'information radio et télé du COSEP (Sécurité civile des Comores).

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        Le marché de Vouvouni a été en partie détruit par le passage de Kenneth. Ce qui était autrefois un étal n'est plus aujourd'hui que tiges de fer entremêlées. Moroni, Grande-Comore, Comores, jeudi 25 avril 2019.
        PHOTOGRAPHIE DE Louis Witter

        À Coulée, Madame Yvette a fait preuve d’une sage anticipation. « J'avais acheté des piles pour ma radio », se félicite-t-elle. Ce qui ne l'a pas empêché d'être surprise par la violence du phénomène. Bien que deux cyclones aient déjà frappé le pays dans les années 1950, cette femme d'un âge avancé l'affirme : « On n'a jamais connu ça aux Comores », avant de poursuivre : « Quitte à mourir, je voudrais que Dieu m'emporte dans mon réveil. En tant qu'institutrice, j'ai donc corrigé des copies toute la nuit pour m'occuper et me tenir éveillée. Quand soudain, j'ai entendu un son horrible : un arbre se déracinait. C'était un bruit énorme ! À tel point que je sentais mon cœur, lui aussi, se déraciner ». À quelques mètres d'elle, un homme tente tant bien que mal de déloger un imposant manguier à coups de hache. Dans le bois, le choc régulier de sa lame rythme le réveil du quartier. « On ne se rend pas encore compte de ce qui nous est arrivé. Mais nous sommes croyants. Nous gardons la foi et nous gardons espoir », sourit un habitant. 

         

        UN LOURD BILAN

        Selon les derniers chiffres officiels, cinq personnes sont mortes et plus de 200 autres ont été blessées. Au total, plus de 40 000 personnes seraient affectées ou déplacées alors que des dizaines de milliers d'habitations ont été détruites. Des chiffres qui donnent le tournis pour ce pays faiblement peuplé et déjà sujet à une forte précarité.

        Avec près de 80 % des plantations agricoles détruites, le COSEP craint désormais « une insuffisance alimentaire ». Alors que le mois de ramadan touche à sa fin les prix du marché central de Volo-volo s'envole, et certains produits sont introuvables. Aujourd'hui, le prix quotidien d'un panier pour une famille est estimé à 20 euros. Une petite fortune dans un pays où le salaire moyen ne dépasse pas les 50 euros.

        Autre inquiétude : l'aggravation de la situation sanitaire alors que le système de santé comorien accuse déjà de graves lacunes, en plus des dégâts causés par le cyclone sur les infrastructures. Le COSEP rapporte en outre un « risque d'augmentation de la malnutrition des enfants due à l'insécurité alimentaire et aux maladies », ainsi qu'un risque de « maladies hydriques » dues à la destruction par les vents de près d'une centaine de citernes d'eau. Pour les enfants déjà privés d'un toit, difficile de compter sur les écoles afin d'offrir une échappatoire à ce quotidien difficile. « 608 établissements du primaire ont été détruits », dénombre le COSEP qui ajoute : « la destruction des habitations a également détruit les kits scolaires des enfants ».

        En dépit du visage volontariste affiché par les autorités dès les prémices du cyclone, nombreux sont ceux qui accusent un déficit de communication auprès des populations. À Coulée, un homme dont le toit s'est envolé résume le soir du passage de Kenneth, « Les autorités ont annoncé le pic des intempéries pour l'après-midi. Ensuite, celui-ci a été reporté pour le début de soirée. Dans la nuit, tout le monde était persuadé que le plus fort de la tempête était passé ! Nombreux sont ceux qui en ont profité pour sortir. D'autant plus que les vents se sont calmés un temps, avant de reprendre de plus belle ».

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          Dans ce quartier, beaucoup d'habitants se sont réfugiés chez Madame Yvette. Mais la maison de son fils, en tôle, n'a pas tenu face aux vents de plus de 150km/h. Son beau frère est venu l'aider à faire place nette.. Moroni, Grande-Comore, Comores, jeudi 25 avril 2019.
          PHOTOGRAPHIE DE Louis Witter

          À minuit, lorsque les rafales de plus de 150km/h balayent la capitale, plusieurs habitants sont dehors. Pris dans la tempête, leurs familles s'inquiètent et bravent les intempéries pour partir à leur recherche, alors que d'autres s'abritent dans les différentes maisons « en dur » du quartier. Un privilège dont Charan Mzechehe n'a pas pu profiter, bien qu'il ait échappé à la mort quelques minutes plus tôt. « J'ai marché dans la tempête pour trouver un lieu sûr. Une femme m'a refusé sa porte, prétextant que je n'avais pas pris soin de me mettre à l'abri plus tôt. J'étais terrifié, c'était horrible. Heureusement qu'un ami a finalement accepté de m'héberger ».

           

          UNE FORTE MOBILISATION

          Alors que le coût total des réparations semble difficilement supportable pour le pays, l'aide internationale se met en place petit à petit. Du côté de l'Union Européenne, « Un million et demi d'euros vont être débloqué pour venir en aide au Mozambique et aux Comores », nous indique Thierry Rivol, Chef du Bureau de l'Union Européenne aux Comores, sans pour autant être en mesure d'indiquer comment les fonds seront redistribués. Toujours concernant ces deux pays meurtris par Kenneth, les Nations Unies vont débourser sept millions et demi d'euros. Face aux besoins sanitaires urgents, la fondation Khalifa aux Emirats-Arabes-Unis a également acheminé plusieurs tonnes de médicaments.

          Voisine des Comores avec le département de Mayotte, la France s'est également engagée en mobilisant plus de douze tonnes de matériel destiné à porter assistance aux populations. Mardi 30 avril, depuis un hangar du 101e département français, plus de 5 tonnes de tentes, savons, moustiquaires, bâches, et sac de couchage étaient embarqués par la PIROI (Plateforme d'Intervention Régionale de l'Océan Indien de la Croix-Rouge). « Du matériel devrait également arriver prochainement depuis La Réunion », indique Yassine Boinali, Président de la Délégation Territoriale de Mayotte au sein de la Croix-Rouge.

          Bien avant l'aide internationale, c'est avant tout par la solidarité des habitants que les Comores entendent se relever du drame Kenneth. Dès le lendemain de la catastrophe, plusieurs associations issues de la diaspora française à Paris et Marseille se sont réunies pour créer le collectif SOS Comores Cyclone. « 2000 euros ont d'ores et déjà été récoltés auprès des particuliers », indique Biheri Said Soilihi, référente communication du collectif à Marseille, alors que plusieurs événements d'envergure sont organisés pour gonfler la collecte. « On réalise maintenant les enjeux environnementaux derrière Kenneth. On ne veut pas seulement proposer un collectif éphémère, car l'enjeu climatique est là pour durer. Nous souhaitons apporter un vrai projet sur les trois îles en matière de cultures vivrières comme de reforestation », poursuit-elle.

          Pour la remise en état du pays, le président comorien Azali Assoumani a annoncé le prélèvement de 10 % des revenus de mars des fonctionnaires et employés du service public. L'annonce de cet impôt exceptionnel a fait vivement réagir les premiers concernés, pour certains sans salaires versés depuis des mois. Si le pays est à pied d'oeuvre pour réparer les dégâts avec le concours de l'aide internationale, la reconstruction s'annonce longue et difficile. À Coulée, où l'électricité comme le réseau téléphonique peine à être relancés, les routes sont désormais accessibles. Mais pour les habitations, il faut encore être patient. Ahmed, qui s'est marié deux semaines après le cyclone, résume ainsi la situation : « Deux arbres sont tombés sur ma maison, je dois la réparer pour offrir un foyer digne à ma femme. Je me suis déjà ruiné pour racheter le matériel et c'est loin d'être fini. Des aides ? On n'a pas vu ici. Nous sommes livrés à nous-même et ne pouvons compter que sur notre entraide. Aux Comores, c'est comme ça que ça se passe ».

           

          Cyril Castelliti est un journaliste français basé aux Comores ; Louis Witter est un photo-reporter français basé à Marrakech. Ce reportage est leur première collaboration pour National Geographic.

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