À Gaza, le rapport ambivalent au plastique

Sur la bande de Gaza, les entreprises de collecte et de recyclage du plastique génèrent des emplois et des revenus grandement nécessaires… au dépit de l'environnement.

De Miriam Berger, Heidi Levine
Un camion de l'ONU déverse des déchets sur un site situé à Juhor al-Deek, au sud-est ...
Un camion de l'ONU déverse des déchets sur un site situé à Juhor al-Deek, au sud-est de la ville de Gaza. De jeunes Palestiniens se rassemblent autour du camion pour fouiller le tas de détritus à la recherche de biens recyclables. Certains de ces travailleurs ont abandonné l'école et commencent leur journée avant l'aube pour gagner moins de 3 € par jour.
PHOTOGRAPHIE DE Heidi Levine, Sipa Press
Cet article a été réalisé en partenariat avec la National Geographic Society.

L'enclave côtière de la bande de Gaza, dont la superficie équivaut à trois fois celle de Paris intramuros, est l'une des régions les plus densément peuplées au monde. Dirigés par le Hamas et assiégés par un blocus israélien, les Gazaouis sont aujourd'hui complètement démunis. Dans cette région, la question n'est pas de savoir s'il faut ou non interdire les pailles en plastique mais plutôt de trouver comment survivre grâce à elles.

L'Organisation des nations unies estime que la bande de Gaza sera inhabitable d'ici 2020, en partie à cause de l'insalubrité qui concerne 97 % des eaux souterraines extraites. Les coupures d'électricité et les dégâts causés par les conflits empêchent la mise en place d'un système fonctionnel de gestion des eaux usées qui sont donc rejetées dans la mer. De ce fait, les eaux usées dangereuses se retrouvent partout dans la région : des décharges où le plastique vit éternellement à la mer où la pêche n'est autorisée qu'à moins de quelques kilomètres du rivage en raison des restrictions imposées par les Israéliens.

Malgré leur situation déplorable, les recycleurs de plastique de Gaza sont en première ligne des efforts destinés à sauver le pays d'un effondrement économique, humanitaire et environnemental. Ces dernières années, le recyclage du plastique a favorisé le développement d'une nouvelle culture et économie : de la collecte au nettoyage en passant par le tri et la revalorisation, les habitants ont créé grâce à ces activités les opportunités d'emploi qu'ils attendaient tant.

« Le peuple réutilise tout parce qu'il n'a rien, » déclare Ahmed Hilles, directeur du National Institute for Environment and Development de la ville de Gaza. « Le blocus israélien et la fermeture des frontières ici à Gaza incitent à recycler toujours plus. »

Parallèlement, les années de bombardement et de négligence ont creusé des fissures dans le sol à travers lesquelles s'écoulent les substances toxiques du plastique en décomposition qui finissent leur course dans les nappes phréatiques. À cause du blocus imposé depuis 2007 par les pays voisins - l'Égypte et Israël - le plastique de Gaza, tout comme son peuple, n'a que très peu d'issues de secours.

« Il n'y a pas de bon laboratoires pour analyser ou diagnostiquer les plastiques et produits chimiques utilisés, » ajoute Hilles. « L'absence d'un réel gouvernement à Gaza rend nos problèmes de plus en plus compliqués. »

 

LES COLLECTEURS

Largement critiqué à Gaza pour sa répression, ses lourdes taxes et sa corruption, le gouvernement Hamas supervise les systèmes de gestion des déchets. Toutefois, le réel moteur de ce mouvement de recyclage, ce sont les habitants eux-mêmes, les familles et les quartiers qui s'organisent pour collecter à l'aide d'un chariot tiré par un âne les plastiques dans les foyers, les rues, les poubelles des plages et les décharges.

Un jeune Palestinien tient deux chiots dans ses mains pendant qu'il fouille la décharge de Juhor al-Deek.
PHOTOGRAPHIE DE Heidi Levine, Sipa Press

Les objets qu'ils collectent sont ensuite revendus aux usines ou à une poignée de sites de collecte qui à leur tour lavent et trient le plastique. Parfois, ils les broient et les vendent à d'autres sociétés.

Le plastique représente environ 16 % des déchets solides à Gaza, selon Hilles, et une grande partie finit par être collectée. Un kilogramme de plastique se revend pour environ 1 shekel israélien, soit environ 26 centimes d'euro. Ce prix varie en fonction de la qualité et du type de plastique ; plus il est dense, plus il est rentable.

Âgé de 49 ans, Nafez Abo Jamee dirige l'un des plus grands sites de collecte à Khan Younis, dans le sud de Gaza. Il s'est lancé dans ce domaine en 2007, date à laquelle sa précédente entreprise de construction ferma ses portes. Suite à la fermeture des frontières, il se retrouva avec une flotte de poids lourds parfaitement adaptés au transport des déchets.

Son site de collecte initial a été bombardé par les forces israéliennes en 2014 lors du conflit qui opposa Gaza à Israël. À ce jour, Abo Jamee attend toujours les compensations financières promises par le gouvernement Hamas pour les dégâts occasionnés. Pour le moment, alors que la chaleur de l'été bat son plein, la seule protection dont il dispose est un auvent recouvrant partiellement son entreprise grandissante.

Néanmoins, Hilles voit en ce phénomène quelque chose de beau.

« Ces travailleurs sont les acteurs les plus importants de la lutte environnementale, » dit-il fièrement à propos des ouvriers dont la tenue en lambeau recouverte de poussière et de sueur témoigne d'un dur labeur. Tôt le matin, ils prennent place au milieu de ces piles de déchets plastique classés par type et couleur pour retirer les pièces problématiques comme le caoutchouc.

« Ils sont très expérimentés, » assure-t-il avec enthousiasme. « Des experts dans leur domaine. »

Et il n'a pas tort, l'équipe d'Abo Jamee a vraiment le don de faire du neuf avec du vieux : futures tables ou chaises en plastique, vélos pour enfants, tapis tissés assemblés avec du fil, brosses pour balais et additifs pour assouplir les plastiques ne sont que quelques possibilités parmi tant d'autres.

Un âne fouille une pile de plastique et d'autres déchets à la recherche de nourriture pendant que les collecteurs nettoient les rues de la ville de Gaza au petit matin.
PHOTOGRAPHIE DE Heidi Levine, Sipa Press

Ce qui n'empêche pas les deux hommes d'être inquiets face à l'intrusion du plastique et des déchets toxiques dans le cycle alimentaire des habitants de Gaza qui voient leur santé et l'environnement se dégrader. Les bouteilles en verre ou en plastique ainsi que les autres objets contenant du Bisphénol A (BPA) ne peuvent pas être recyclés en emballage alimentaire. Cependant, comme nous l'apprend Hilles, les inspecteurs dépêchés par le gouvernement dans les centres de recyclage n'ont ni l'intérêt ni les moyens ni les compétences pour effectuer des contrôles et s'assurer du bon respect des règles locales basées sur les normes internationales. Face à la pénurie d'eau par exemple, certains agriculteurs n'hésitent pas à utiliser de l'eau contaminée par les décharges en décomposition pour irriguer leurs champs, avec les conséquences que l'on connaît sur l'environnement et le reste du cycle alimentaire.

Cette montée en puissance du recyclage à Gaza est en partie due aux campagnes de sensibilisation menées par des organismes comme le centre de Hilles. Dans une vidéo diffusée par une chaîne de télévision locale, on peut voir Hilles plonger dans la Méditerranée polluée pour éveiller les consciences sur l'abondance des déchets plastique dans l'eau et les dangers que comportent la consommation de poisson ayant ingéré du plastique.

Les mesures de contrôle n'en ont pas été renforcées pour autant. Trop peu d'études se sont intéressées aux impacts sur l'environnement et la santé de la production et la consommation de plastique à Gaza.

« Si le plastique est produit et utilisé correctement, les impacts sur la santé sont minimes, » déclare Khaled Tibi, 47 ans, directeur des études environnementales au ministère de la Santé de Gaza. « Le réel problème, c'est la mauvaise utilisation du plastique. »

« Les réglementations dont nous disposons sont restreintes. Les possibilités qui s'offrent à nous sont limitées. Il n'y aucun expert capable de réaliser des études spécifiques. »

 

LE PRODUCTEUR

La bourdonnante usine de plastique Ramlawi dans une zone industrielle délabrée à l'est de la ville de Gaza est un bel exemple de réussite locale.

« Tous les jours je reçois de plus en plus de matière recyclée, » rapporte Khalil Ramlawi, 30 ans, à la tête de l'entreprise familiale devenue aujourd'hui la plus grande sur les douze autres traitant du plastique. « Aujourd'hui il y a plus d'information sur le recyclage et la culture autour du plastique a changé. Avec cette nouvelle culture, je peux vendre du plastique et en tirer profit. »

Une usine de recyclage de plastique située à Beit Hanoun, sur la bande de Gaza.
PHOTOGRAPHIE DE Heidi Levine, Sipa Press

La famille Ramlawi a lancé son entreprise en 1986, époque à laquelle les frontières étaient encore ouvertes, et leur activité consistait à fabriquer des sacs, des conteneurs de stockage, des tuyaux et des bouteilles en polyéthylène (le plastique le plus répandu et le moins dangereux) qu'ils importaient d'Israël.

Puis, en 2007, le Hamas, un groupe figurant sur la liste officielle des organisations terroristes de l'Union européenne et des États-Unis, arracha le contrôle du petit territoire côtier des mains de son rival soutenu par l'occident, l'autorité palestinienne dirigée par le Fatah. La réaction de l'Égypte et d'Israël fut d'imposer un blocus terrestre et maritime afin d'évincer le Hamas. En dix ans, trois guerres ont opposé le Hamas à Israël avec entre-temps de nombreux affrontements sanglants.

Aujourd'hui, douze ans plus tard, avec des ressources et un accès limité à l'électricité, l'usine Ramlawi est plus petite et la majorité du plastique qu'elle traite est collectée à l'intérieur de la bande de Gaza. Elle achète toujours à Israël des sacs de polypropylène et des pellets de plastique de polyéthylène qu'elle transforme en sacs poubelle. Parfois en revanche, l'importation est suspendue ; le polyéthylène figure sur la liste des articles à double usage interdits, ce qui signifie qu'il est à la fois d'utilité civile et militaire.

En plus des matériaux importés, l'usine transforme les produits en plastique achetés aux collecteurs en sacs poubelle et en bâche pour serres, en tuyaux d'irrigations et d'autres articles en fonction des besoins.

Lorsque les importations depuis Israël sont stables, environ 10 % de la production de plastique de Gaza provient des éléments recyclés et 90 % des pellets de polyéthylène prêts à l'emploi produits en Israël et d'autres pays comme les États-Unis et les Émirats arabes unis, selon Sami Nafar, directeur de la Plastics Federation de Gaza.

Àgé de 72 ans, Hamed Mahoud Hegazy se tient à côté d'une de ses machines dans son usine de tapis de la ville de Gaza. Il utilise du plastique recyclable pour fabriquer ces tapis de sol au style traditionnel.
PHOTOGRAPHIE DE Heidi Levine, Sipa Press

Ramlawi a pour habitude de regarder des vidéos YouTube sur le recyclage de plastique dans d'autres pays. Il s'intéresse aux technologies naissantes pour créer des alternatives comme les sacs plastique solubles mais Gaza est encore loin de telles avancées. Il aimerait partir à l'étranger pour étudier davantage la filière mais pour cela il a besoin d'un visa et d'une porte de sortie difficiles à obtenir.

 

LES EFFETS DU PLASTIQUE

À 15 ans, Wissam Adel passe ses journées à fouiller les tas d'ordures dans une décharge aux émanations rances. Pour Tibi du ministère de la santé, ce genre de travail aura sans aucun doute des effets néfastes au long terme sur la santé de ceux qui le pratiquent.

Adel a quitté l'école pour se mettre en quête de plastique avec ses frères. Là où il passe ses journées, le simple fait de respirer irrite ses poumons. Il porte des vêtements en lambeau, de veilles sandales en plastique et il marche chaque jour près d'une heure de sa maison dans un quartier dense de la ville de Gaza jusqu'à la décharge de Juhoor al deek. Les bons jours, il gagne 15 shekels (environ 3,80 €). Avec son groupe, il attend qu'un camion vienne déverser sa cargaison avant de se jeter sur le nouveau tas de déchets. En toile de fond se dressent des grues, celles d'Israël, de l'autre côté de la frontière.

« Nous voulons vivre, » explique Adel en reprenant la phrase scandée par les Gazaouis gravement touchés par la pauvreté lors de récentes manifestations contre le Hamas et les restrictions israéliennes. C'est le seul emploi qu'il peut obtenir. Un nuage s'élève des déchets en décomposition où viennent jouer les chiens errants et les chiots.

C'est en partie pour ce genre de situation que Hilles souhaite que le recyclage de plastique soit pris plus au sérieux à Gaza.

« La planète est notre responsabilité à tous, » dit-il. « Cet environnement n'est pas un cadeau de nos grands-mères. Il doit être préservé pour les générations futures. Nous aussi, à Gaza, nous faisons partie de ce monde. »

 

Intimaa Alsdudi a contribué à cet article.

National Geographic s'est engagé à réduire la pollution de plastique à usage unique. En savoir plus sur nos activités à but non lucratif sur natgeo.org/plastics. Cet article a été écrit dans le cadre de notre campagne Planète ou plastique ?, destinée à sensibiliser le public à la crise mondiale des déchets plastiques. Découvrez ce que vous pouvez faire pour réduire votre propre consommation de plastique à usage unique et engagez-vous.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
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