Pics de méthane dans l'atmosphère : l'exploitation du gaz de schiste mise en cause

La signature chimique du méthane libéré par les opérations de fracturation hydraulique a été détectée dans l'atmosphère, faisant des activité gazières les principales suspectes.

De Stephen Leahy
Publication 26 août 2019, 11:11 CEST
Cette photographie prise au crépuscule montre les chevalets de pompage des gisements de pétrole de la ...
Cette photographie prise au crépuscule montre les chevalets de pompage des gisements de pétrole de la formation de schistes de Monterey en Californie, où l'extraction du gaz et du pétrole a recours au processus de fracturation hydraulique.
PHOTOGRAPHIE DE David McNew, Getty

Ces dix dernières années, les scientifiques ont mesuré dans l'atmosphère d'importantes augmentations du volume de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Au départ, les vaches et les zones humides étaient pointées du doigt mais de nouvelles recherches attirent l'attention sur les volumes de méthane rejetés par la production de combustible fossile et accusent principalement les activités d'extraction du gaz de schiste des États-Unis et du Canada.

Cette croissance « massive » des émissions de méthane est apparue au moment-même où le recours à la fracturation hydraulique pour le gaz de schiste a pris de l'ampleur aux États-Unis, indique Robert Howarth, écologiste à l'université de Cornell et auteur de l'étude publiée le 14 août dans la revue Biogeosciences.

« Nous savons que cette augmentation est en grande partie due à la production de combustibles fossiles et ces travaux suggèrent que plus de la moitié proviendrait des opérations d'extraction du gaz de schiste, » affirme-t-il lors d'une interview.

Cette forte croissance des émissions de méthane est préoccupante car le méthane réchauffe le climat de 80 fois plus que le dioxyde de carbone (CO2) à volume équivalent au cours des 20 premières années qui suivent sa libération dans l'atmosphère, selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Au bout de 20 années, une grande partie du méthane devient du CO2 et peut alors stagner dans l'atmosphère plusieurs centaines d'années.

Le méthane libéré par la production de gaz de schiste présente une empreinte chimique légèrement différente du méthane relâché par les rots de vache (et non pas leurs flatulences comme beaucoup le pensent) ou par les zones humides. De précédentes études ont montré que le gaz de schiste comportait généralement moins de carbone 13 que de carbone 12 en comparaison au méthane issu des gaz naturels conventionnels et d'autres combustibles fossiles comme le charbon, explique Howarth. Cette différence est suffisante pour diminuer le poids de l'atome de carbone, un composant central de la molécule de méthane.

L'étude a recueilli des données antérieures sur la composition chimique du méthane présent dans l'atmosphère puis a appliqué une série d'équations pour déterminer quelle proportion de cette forme plus légère de méthane pouvait être attribuée aux gaz de schiste. Ils ont découvert que cette forme allégée de méthane libérée lors des activités de fracturation contribuait considérablement à la hausse globale des émissions de méthane depuis 2008.

Il reconnaît toutefois que l'empreinte chimique laissée par le gaz de schiste peut varier en fonction de la localisation et de la façon dont l'analyse est réalisée. Bien que cette étude ne puisse pas être considérée comme une preuve accablante, elle met tout de même en évidence un lien entre la récente augmentation de méthane dans l'atmosphère et la production de gaz de schiste.

« C'est un peu flou, mais l'empreinte est là, » déclare Howarth.

 

LA FRACTURATION EN QUESTION

Le gaz naturel est principalement du méthane. La fracturation est un procédé d'extraction pétrolière ou gazière qui consiste à forer un puits verticalement puis horizontalement dans une formation de schiste. Un mélange hautement pressurisé d'eau, de produits chimiques et de sable est injecté pour créer et maintenir ouvertes des fissures par lesquelles s'échappe le gaz. La quasi-totalité des opérations de fracturation se trouvent aux États-Unis ou au Canada. Environ deux tiers du gaz nouvellement produit ces dix dernières années dans le monde était du gaz de schiste produit aux États-Unis et au Canada à l'aide de la fracturation, selon les estimations l'étude menée par Howarth.

Le volume de méthane ayant rejoint l'atmosphère ces dix dernières années correspond également aux études qui montrent que les opérations de fracturation entraînent des pertes de 2 à 6 % du gaz produit par fuite, évacuation ou brûlage, indique Howarth.

Une étude parue en 2015 estimait que la région des schistes de Barnett au nord du Texas perdait à cause des fuites 544 000 tonnes de méthane par an pour un taux de fuite raisonnable égal à 1,5 %. Ce qui équivaut à 46 millions de tonnes de CO2, plus que des états comme le Nevada ou le Connecticut.

En 2015, une étude menée par John Worden du Jet Propulsion Laboratory de la NASA a découvert que les niveaux de méthane étaient restés stables pendant des années mais qu'ils avaient brusquement augmenté peu de temps après 2006, de 25 millions de tonnes par an. À l'aide de satellites et d'autres méthodes d'évaluation ils ont conclu que la contribution des combustibles fossiles à cette augmentation était de 12 à 19 millions de tonnes, le reste provenant probablement de sources biologiques.

L'étude réalisée par Howarth ajoute une pièce au puzzle déjà extrêmement complexe du méthane, commente Worden par e-mail en refusant de développer davantage.

Il est peu probable que cette simultanéité entre la brusque augmentation mondiale des concentrations en méthane et l'intensification des opérations d'exploitation des schistes ne soit qu'une coïncidence, fait remarquer Anthony Ingraffea, professeur d'ingénierie à l'université de Cornell et collègue de Howarth. Le rapport laisse entendre que l'empreinte chimique des gaz de schistes apporte une preuve de l'existence d'un lien direct, ajoute Ingraffea, qui a eu l'occasion de lire une première version du rapport.

« Une analyse isotopique des échantillons de gaz au niveau des têtes de puits sur un certain nombre d'opérations de fracturation serait un moyen facile de prouver ou réfuter l'hypothèse d'Howarth, » poursuit-il. « S'il cette hypothèse est avérée, alors nous saurons que les activités de fracturation aggravent le réchauffement climatique et entravent les efforts fournis pour rester en dessous des 2 °C. »

En 2015, lors de l'accord de Paris sur le climat, chaque pays s'est engagé à maintenir le réchauffement des températures sous la barre des 2 °C pendant que certaines îles proches du niveau de la mer et d'autres parties insistaient pour fixer cette limite à 1,5 °C.

Bien qu'elles soient souvent omises des débats climatiques, émissions de méthane en hausse viennent s'ajouter au réchauffement actuel et poursuivront sur cette lancée si rien n'est fait pour les arrêter.

« L'atmosphère réagit rapidement aux variations des émissions de méthane. Une réduction immédiate du méthane peut constituer une solution rapide de ralentissement du réchauffement climatique, » suggère Ingraffea.

Les propres recherches d'Ingraffea ont montré qu'un petit pourcentage de puits était responsable d'une majeure partie des émissions de méthane en raison de fuites ou d'évacuation volontaire. La modernisation des infrastructures et la capture du gaz plutôt que son évacuation sont deux solutions qui réduiraient fortement les émissions mais augmenteraient les coûts.

 

ENVIRONNEMENT ET SANTÉ

Aux États-Unis, l'administration Trump tente par tous les moyens d'accroître la production de gaz de schiste en annulant les lois qui régissent les opérations de fracturation sur des terres publiques. Ces règles exigeaient des entreprises qu'elles dévoilent les produits chimiques utilisés pour la fracturation et imposaient des normes plus strictes en matière de construction des puits de fracturation et de gestion des eaux usées. De plus, le gouvernement américain vend aux enchères des millions d'hectares de droits de forage aux exploitants de gaz et de pétrole.

Les préoccupations environnementales et sanitaires ont poussé la France et l'Allemagne à interdire la fracturation. Les États de New York, du Maryland et du Vermont également interdit cette pratique. Une étude menée en 2018 en Pennsylvanie a montré que les enfants nés à moins de deux ou trois kilomètres d'un puits de fracturation étaient plus petits et en moins bonne santé.

En Arkansas, des chercheurs ont découvert que les niveaux d'eau de 51 % des cours d'eau avaient dangereusement diminué en raison du pompage pratiqué par les activités de fracturation. La fracturation et l'injection en puits profonds de ses résidus ont par ailleurs été largement associés à des tremblements de terre.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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