En Amazonie, les feux menacent des centaines d'espèces de poissons

Les incendies qui ravagent l'Amazonie brésilienne constituent une menace pour les poissons dont la survie repose sur l'inondation des forêts, amenant même certains experts à craindre la possible disparition de ces espèces.

De Stefan Lovgren
Publication 17 sept. 2019, 12:55 CEST
Au Brésil, comme le rappelle cette photo d'une forêt calcinée, la forêt pluviale amazonienne est toujours ...
Au Brésil, comme le rappelle cette photo d'une forêt calcinée, la forêt pluviale amazonienne est toujours en proie aux flammes et les experts craignent à présent que ces feux ne se propagent et détruisent l'habitat offert par les forêts inondées à des centaines d'espèces de poissons.
PHOTOGRAPHIE DE Carl de Souza, AFP/Getty Images

Les feux de forêt particulièrement violents qui ont éclaté en Amazonie cette année ont, certes, éveillé l'intérêt de la communauté internationale mais ils ont également mis en lumière les effets de l'intensification de la déforestation dans la région, de l'évaporation des pluies à l'augmentation des émissions de dioxyde de carbone. L'un des effets de cette déforestation n'a toutefois pas reçu l'attention qu'il méritait : l'impact sur le système fluvial et les poissons qu'il abrite.

Il existe peu d'endroits sur la planète où s'entremêlent autant qu'en Amazonie les écosystèmes aquatique et forestier. Alors que la forêt pluviale abrite le plus grand fleuve au monde (en volume d'eau) et ses 1 700 affluents, environ un sixième du bassin se compose de zones humides très largement recouvertes de forêts inondées pendant de longues périodes chaque année et qui permettent aux poissons de subsister dans la région, un élément capital de l'économie locale.

« Ces inondations cycliques sont la force motrice qui régit l'ensemble des fonctions et interactions écologiques du bassin fluvial. Elles créent des forêts inondées essentielles à la survie et à la reproduction de centaines d'espèces de poissons du fleuve Amazone, » déclare Jansen Zuanon, biologiste des poissons à l'Institut national de recherche amazonienne du Brésil (Instituto Nacional de Pesquisas da Amazônia, INPA) situé à Manaus.

Bien qu'elles soient encore vierges sur une grande partie de l'Amazonie, les forêts inondables ont subi d'importants dégâts ces dernières décennies dans certaines régions du bassin, plus particulièrement à l'est, au niveau des basses-terres brésiliennes. À présent, les chercheurs indiquent que la menace qui pèse sur la survie de ces forêts et des poissons qui en dépendent pourrait être sur le point de s'aggraver en raison de l'intensification de la déforestation et des feux de forêts. Si rien n'est fait pour mettre un terme à la dégradation des forêts inondées, l'écosystème aquatique de l'Amazonie pourrait être profondément altéré.

« Si nous ne protégeons pas ces régions, les rivières ne seront plus les mêmes et nous perdrons les poissons, » affirme Leandro Castello, écologiste spécialiste des régions tropicales ayant étudié les liens entre forêts et poissons en Amazonie, rattaché au Global Change Center de l'Institut polytechnique de Virginie.

 

UN ABRI CONVOITÉ

Le bassin amazonien, dont 60 % se trouve au Brésil, est la région la plus riche au monde en matière de biodiversité, sur terre comme dans l'eau. Plus de 3 000 espèces de poissons évoluent dans l'Amazone et plusieurs centaines attendent encore d'être découvertes. Cette biodiversité est en grande partie attribuée aux crues qui surviennent généralement entre décembre et avril. À cette époque, l'augmentation du niveau de l'eau atteint parfois les 15 m et lorsque le fleuve quitte son lit, de nouvelles étendues d'eau se forment dans les zones forestières.

Malgré leur importance dans l'équilibre de la forêt pluviale, les plaines inondables de l'Amazonie ont été relativement peu étudiées même si la connexion entre forêts et poissons a depuis longtemps été établie. Des centaines d'espèces de poissons utilisent la forêt pour se nourrir de fruits et de graines qui flottent à la surface de l'eau mais aussi du plancton présent en abondance. Par ailleurs, de nombreux poissons se réfugient dans les zones inondées pour se protéger des prédateurs et ne ressortent de leur cachette que lorsqu'ils ont atteint une taille suffisante pour leur éviter tout ennui.

Alors que certaines études se sont intéressées à la relation entre déforestation et poissons pour les petits cours d'eau de l'Amazonie, les rivières plus importantes ont quant à elle fait l'objet d'un nombre de travaux plus restreint. Dans l'une de ces études, publiée en 2017, Castello et ses collègues comparent 12 années de données halieutiques aux images satellites du couvert forestier d'une vaste zone de l'Amazone inférieur et établissent une corrélation forte entre déboisement et diminution du nombre de poissons.

« Nous avons découvert que les zones déboisées correspondaient aux zones où les rendements de la pêche locale étaient plus faibles que celles entourées de forêts plus fournies, » résume Castello.

Des liens notables entre couvert forestier et abondance des poissons ont été mis en évidence pour de nombreuses espèces comestibles de l'Amazonie, notamment le très prisé tambaqui (Colossoma macropomum) qui peut atteindre les 30 kg et possède des dents capables de venir à bout des fruits et des noix les plus coriaces. De fortes connexions ont également été établies pour les espèces carnivores comme le surubí ou le dourado qui se nourrissent de bancs de poissons évoluant dans les forêts inondées.

Les Colossoma macropomum comme celui-ci atteignent parfois les 30 kg. Natif des rivières brésiliennes de l'Amazonie, ses dents lui permettent d'écraser et de broyer les fruits durs et les noix. Important sur le plan commercial, ce poisson fait partie des espèces menacées par la destruction d'habitat provoquée par les incendies qui ravagent l'Amazonie.
PHOTOGRAPHIE DE Kike Calvo, Alamy Stock Photo

En retour, ces forêts qui se sont adaptées au fait d'être sous l'eau plusieurs mois d'affilée bénéficient également de la présence des poissons qui dispersent les graines à travers l'ensemble du biotope.

« Le résultat est un échange mutuellement bénéfique des ressources qui alimente la productivité des plaines inondables et enrichit la biodiversité, » déclare Marcia Macedo, écologiste au Woods Hole Research Center qui travaille également en Amazonie. « Sans cette interaction entre l'eau et la terre, ces écosystèmes étroitement liés commencent à se détériorer. »

 

HAUTEMENT INFLAMMABLE

Au Brésil, la législation prévoit la protection de la végétation riparienne jusqu'à 500 mètres de la berge à la saison sèche. Une distance largement insuffisante selon les écologistes étant donné que les zones inondées peuvent s'étendre à plus de 20 km de la berge à la saison humide.

L'ampleur de la déforestation sur les plaines inondables de l'Amazonie est difficile à déterminer mais elle est plus importante dans les régions plus peuplées de l'est du Brésil. Une étude publiée cette année dans la revue Ecological Indicators a analysé la déforestation depuis 1970 de différentes zones le long de la principale plaine inondable du fleuve Amazone. Alors qu'une région reculée de l'ouest du Brésil n'a quasiment rien perdu de ses forêts inondées, l'étude montre qu'une autre zone plus peuplée située à l'est a quant à elle enregistré une déforestation de 70 %.

Le problème de la déforestation en Amazonie est largement entré au cœur du débat politique au Brésil. Après la publication par l'Institut brésilien de recherche spatiale (Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais, INPE) de données préliminaires attestant que la déforestation dans la partie brésilienne de la forêt amazonienne avait dans l'ensemble augmenté de 88 % en juin par rapport à la même période l'année précédente, le directeur de l'INPE a été congédié par le président Jair Bolsonaro sous prétexte que les données étaient erronées. Pourtant, les statistiques communiquées par l'INPE montrent clairement une inquiétante tendance à la croissance des taux de déforestation qui avaient commencé à chuter aux alentours de 2005 avant de rebondir il y a quelques années.

Et même si, antérieurement, la sécheresse a souvent été un élément déclencheur des feux de forêts en Amazonie, les experts affirment cette fois que la déforestation est la principale cause du nombre anormalement élevé d'incendies (plus de 90 000 à ce jour) qui ont éclaté à travers l'Amazonie brésilienne cette année, en raison des feux allumés par les agriculteurs et les éleveurs pour défricher la forêt déjà déboisée afin de libérer de l'espace pour l'agriculture et le pâturage du bétail.

« Ces incendies se propagent souvent aux forêts adjacentes, » surtout lorsqu'elles ont été exploitées, « et brûlent le sous-bois, ce qui amorce le processus de dégradation forestière, » explique Laura Hess de l'université de Californie à Santa Barbara, qui a participé à plusieurs études de télédétection en Amazonie.

Bien que les plaines inondables soient moins ciblées par les agriculteurs et les éleveurs que les forêts des hautes-terres, la végétation ligneuse qu'elles contiennent pourrait être plus vulnérable au feu à la saison sèche car elle est plus courte, plus ouverte et répartie en parcelles moins étendues. Les forêts des plaines inondables sur sols sablonneux, telles que celles qui bordent les eaux sombres du rio Negro, sont particulièrement sensibles car ces sols ne retiennent pas autant l'eau.

« La majorité des études et des simulations d'incendies dans la région se concentrent principalement sur les forêts des hautes terres. Les forêts des plaines inondables sont négligées. Il y a un trou béant dans notre compréhension des impacts du feu sur ces forêts, » nous informe Paulo Brando, écologiste spécialiste des régions tropicales au sein de l'université de Californie à Irvine.

Et pour ne rien arranger, ces forêts sont généralement incapables de se rétablir après avoir été détruites. « Sur les plaines inondables, un unique incendie peut engendrer un taux de mortalité forestière frôlant les 100 % et bien souvent cette végétation ne repoussera pas dans un futur proche, » explique Brando.

Il est impossible de déterminer quelle surface de forêts inondées a été perdue cette année, s'il y en a eu, déclare Brando, mais selon lui le pic de la saison sèche n'a pas encore atteint les régions les plus au nord de l'Amazonie.

Sur le long terme, préviennent les scientifiques, les sécheresses pourraient s'intensifier et devenir plus fréquentes en raison des effets cumulés du changement climatique et de la déforestation. Il sera donc plus difficile d'empêcher la conversion généralisée des forêts inondables en végétation dominée par les incendies en Amazonie.

Ce scénario aurait des effets dévastateurs sur la majorité des populations de poissons dans le système fluvial de l'Amazone. « Les incendies et la déforestation en Amazonie font peser une menace supplémentaire sur un système fluvial qui subit déjà une pression immense imposée par la construction de nouveaux barrages, le développement d'exploitations minières et d'autres activités, » souligne Zeb Hogan, explorateur National Geographic et biologiste des poissons au sein de l'université du Nevada à Reno.

 

LE CAS DU RIO MACHADO

Fin août, Hogan a rejoint une équipe de chercheurs brésiliens dans le cadre d'une expédition sur le rio Madeira, le plus grand affluent de l'Amazone. Au départ de Porto Velho, la capitale de l'état du Rondônià à l'ouest du Brésil, ils ont navigué jusqu'au rio Machado qui se lance dans le rio Madeira au niveau de la ville d'Humaitá, où le gouvernement brésilien a annoncé il y a peu qu'il souhaitait construire un grand barrage.

Le rio Machado constitue un habitat important pour le dourado, une imposante espèce migratoire de poisson-chat dont l'alimentation se compose essentiellement de poissons qui évoluent dans les forêts inondées. C'est également sur cette rivière qu'une étude avait, il y a plusieurs dizaines d'années, mis pour la première fois en évidence le lien qui unit la forêt aux poissons en Amazonie.

Debout sur la berge de sable exposée du rio Machado, Hogan écoutait l'explication des dynamiques fluviales dispensée par la responsable d'équipe, Lisiane Hahn, ichtyologiste pour Neotropical, une société brésilienne de conseil environnemental.

« L'endroit où nous nous trouvons actuellement sera bien en-dessous du niveau de l'eau à la saison des pluies, » déclarait Hahn tout en pointant une parcelle éloignée de forêt. « Toute cette zone sera inondée. »

Avant d'ajouter, « J'imagine qu'on pourrait dire que la rivière et la forêt ne font qu'un. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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