Non, l’Amazonie ne produit pas 20 % de l’oxygène de la planète

L’oxygène produit par l’Amazonie ne fait pas partie des nombreuses raisons qui justifient de s’inquiéter des ravages provoqués au sein de la forêt primaire par les incendies.

De Katarina Zimmer
Publication 3 sept. 2019, 14:32 CEST, Mise à jour 16 mars 2021, 17:42 CET
Une vue aérienne de l'Amazonie près de Porto Velho, dans l'État du Rondônia, au Brésil, le ...
Une vue aérienne de l'Amazonie près de Porto Velho, dans l'État du Rondônia, au Brésil, le 21 août 2019.
PHOTOGRAPHIE DE Ueslei Marcelino, Reuters

En marge des articles publiés dans les médias du monde entier concernant les incendies qui ont fait rage en Amazonie en septembre 2019, une information erronée et largement répétée a émergé : la forêt vierge produirait 20 % de l’oxygène mondial.

Cette affirmation a été diffusée par de nombreux médias de référence ainsi que sur les réseaux sociaux de personnalités et de figures politiques, comme le président français Emmanuel Macron, la sénatrice et candidate à la présidence américaine Kamala Harris et l’acteur Leonardo di Caprio, connu pour son engagement environnemental.

Certaines personnes ont compris que cela signifiait que l’approvisionnement en oxygène de la planète était en danger. « Nous avons besoin d’oxygène pour survivre », a tweeté l’ancien astronaute Scott Kelly la semaine dernière.

Pourtant, cette donnée – qui a valu à la forêt vierge le titre de « poumon de la Terre » – est une grossière exagération. Comme de nombreux scientifiques l’ont souligné récemment, la contribution de l’Amazonie à l’oxygène que nous respirons est proche de zéro.

« Il y a de nombreuses raisons de vouloir préserver l’Amazonie, mais l’oxygène n’en fait pas partie », a déclaré le scientifique spécialiste des systèmes terrestres Michael Coe, qui dirige le programme sur l’Amazonie au Woods Hole Research Center, dans le Massachusetts.

 

PHYSIQUEMENT IMPOSSIBLE

Selon le chercheur, cette affirmation « ne repose sur aucun fondement physique » car il n’y a tout simplement pas assez de dioxyde de carbone dans l’atmosphère pour que les arbres produisent un cinquième de l’oxygène de la planète par photosynthèse.

Réfléchissez-y un instant : pour chaque groupe de molécules de dioxyde de carbone absorbé par un arbre, le même nombre de molécules d’oxygène est émis. Étant donné que l’atmosphère est composée de 0,04 % de dioxyde de carbone, mais de 21 % d’oxygène, il est impossible pour l’Amazonie de produire autant d’oxygène.

Plusieurs scientifiques ont proposé de fournir des estimations plus précises. Yadvinder Malhi, écologiste des écosystèmes à l’Institut du changement environnemental de l’Université d’Oxford, a basé ses calculs sur une étude de 2010 selon laquelle les forêts tropicales seraient responsables d’environ 34 % de la photosynthèse terrestre. Par sa taille, l’Amazonie représenterait environ la moitié de cette estimation. Cela signifie que l’Amazonie produirait 16 % de l’oxygène produit depuis le sol, explique Yadvinder Malhi, qui détaille ses calculs dans une note de blog.

Ce pourcentage tombe à 9 % quand on prend en compte l’oxygène produit par le phytoplancton présent dans l’océan. Le climatologue Jonathan Foley, en charge du projet à but non lucratif Drawdown, qui cherche des solutions au changement climatique, arrête même une estimation plus prudente de 6 %.

L’explication ne s’arrête pas là. Les arbres n’émettent pas seulement de l'oxygène, ils en consomment également au cours d'un processus appelé respiration cellulaire : ils convertissent en énergie les sucres qu'ils accumulent pendant la journée. Ainsi, pendant la nuit, lorsqu'il n'y a pas de soleil pour permettre la photosynthèse, ils ne font que consommer de l’oxygène. Selon les résultats de l’équipe de recherche de Yadvinder Malhi, un peu plus de la moitié de l'oxygène qu'ils émettent serait consommée au cours de ce processus. Le reste étant probablement utilisé par les innombrables microbes vivant en Amazonie, qui respirent de l'oxygène pour décomposer la matière organique morte de la forêt.

« Le bilan oxygène net de l’Amazonie, ou de tout autre biome, avoisine zéro », explique-t-il.

Cet équilibre entre la production et la consommation d'oxygène a pour conséquence de ne pratiquement pas modifier les niveaux d'oxygène dans l'atmosphère. En réalité, l’oxygène que nous respirons est plutôt l’œuvre du phytoplancton océanique qui, au cours de milliards d'années, n’a jamais cessé d’emmagasiner de l'oxygène, rendant l'air respirable, explique Scott Denning, météorologue à l’université du Colorado.

Cet oxygène n’a pu s'accumuler que parce que le plancton était piégé au fond de l'océan, l’empêchant ainsi de pourrir. Dans le cas contraire, sa décomposition par d'autres microbes aurait consommé cet oxygène. Les processus qui déterminent la quantité d'oxygène dans l'atmosphère se produisent sur de vastes périodes géologiques et ne sont pas vraiment influencés par la photosynthèse actuelle, comme l'a déclaré Scott Denning au magazine en ligne The Conversation.

 

BERCEAU DE LA BIODIVERSITÉ

Le mythe des 20 % circule cependant depuis des décennies, bien que son origine ne soit pas précisément connue. Yadvinder Malhi et Michael Coe estiment que cela viendrait du fait que l'Amazonie émet environ 20 % de l'oxygène produit par photosynthèse sur Terre, ce qui peut être faussement interprété comme « 20 % de l'oxygène dans l'atmosphère ».

Évidemment, rien de tout cela ne veut dire que l'Amazonie n'est pas importante. À l'état vierge, la forêt contribue de manière significative à l'élimination du dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Michael Coe compare l’Amazonie non pas à un poumon, mais à un climatiseur géant qui refroidit la planète. L'un des plus puissants, capable d’atténuer les changements climatiques, aux côtés d'autres forêts tropicales d'Afrique centrale et d'Asie, dont certaines sont également en train de brûler.

L'Amazonie joue également un rôle important de régulateur des cycles de précipitations en Amérique du Sud et constitue un foyer essentiel pour les peuples autochtones ainsi que pour d'innombrables espèces animales et végétales.

« Très peu de gens parlent de biodiversité, mais l’Amazonie est l’écosystème le plus riche en biodiversité hors océans, et le changement climatique et la déforestation mettent cette richesse en péril », souligne le climatologue Carlos Nobre de l’Institut d’Études Avancées de l’Université de São Paulo.

En raison de son importance pour la planète, l’Amazonie pourrait à juste titre être comparée deux poumons, et cette analogie pourrait être utile pour galvaniser la mobilisation autour de la déforestation. Mais pour la plupart des chercheurs, cela n'a pas beaucoup de sens, notamment parce que les poumons inhalent de l'oxygène et n'en rejettent pas.

« Si les gens veulent faire un lien avec une partie fondamentale du corps essentielle à la stabilité, à la vie et au maintien du bien-être - symboliquement, ils peuvent utiliser cette image », estime Carlos Nobre. « Mais sur le plan physique, on ne peut pas dire qu’il s’agisse des poumons de la planète, non. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
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