Faut-il se méfier de la présence du crabe bleu sur les côtes françaises ?

Le crabe bleu s’installe en Méditerranée atteignant les côtes françaises. Tristement connu en Tunisie pour sa capacité destructrice, les parcs naturels marins surveillent son avancée dans un contexte qui dépasse bien souvent leurs frontières.

De Paul Chigioni
Photographies de FLICKR USER BENJAMIN WILSON/CREATIVE COMMONS
Publication 29 janv. 2020, 12:15 CET
Un crabe bleu du Maryland essayant de s'enfuir.
Un crabe bleu du Maryland essayant de s'enfuir.
PHOTOGRAPHIE DE FLICKR USER BENJAMIN WILSON/CREATIVE COMMONS

Des pattes d’un bleu pimpant, un tempérament combatif et pour couronner le tout, une chair délicieuse. Le Callinectes sapidus (étymologiquement « bon nageur savoureux »), appelé communément « crabe bleu » semble être le roi des crustacés. 

Sa présence a été constatée dans le delta de l’Èbre en Espagne en 2012, puis en 2014 en Corse. Il remonte facilement à la nage la côte franco-espagnole jusqu’à 15 km par jour grâce à ses dernières paires de pattes aplatie.

Depuis 2017, c’est le long des côtes du golfe du Lion, non loin de Perpignan, que l’animal a posé ses bagages. Pourtant, son royaume, la région dont il est originaire, n’est pas la Méditerranée mais l’Amérique du Nord.

Les pinces rouges de ce crabe bleu indiquent que c'est une femelle.
PHOTOGRAPHIE DE molefranz

Il serait arrivé sur les côtes françaises via le transport maritime, sûrement à cause d’une mauvaise gestion des eaux de ballast, le réservoir dans le fond de la coque des bateaux dont le rôle est d'optimiser leur navigation. En effet, des œufs du crabe américain ont pu se retrouver dans les eaux de ballast puis être déversés dans la mer.

 

ON NE PEUT APPRENDRE AU CRABE BLEU À MARCHER DROIT

Problème ? Le Callinectes sapidus pourrait facilement coloniser et même peut-être régner sur ce nouveau territoire. Eau chaude ou plus froide, très ou peu salée, il est reconnu comme pouvant s’adapter à différents milieux marins. 

Omnivore, il peut tout dévorer sur son passage : il se régale tout autant de mollusques que d’algues. À l’inverse, il a peu de prédateurs, mais est un très bon reproducteur avec jusqu’à 2 millions d’œufs par femelle.

D’ailleurs, sa prolifération est avérée dans le golfe du Lion. « Il y a eu une trentaine de signalements en 2019, soit un peu moins de 400 individus, en étang essentiellement et aussi en milieu marin très côtier. On a observé un développement à priori du sud vers le nord, qui a largement dépassé le territoire du Parc dès 2018. » explique Lauriane Vasseur, chargée de mission pêches au Parc naturel marin du golfe du Lion. Ce chiffre pourrait être sous-estimé puisqu’il est basé sur des remontées volontaires ouvertes à tous via une fiche de signalement.

Autant de caractéristiques qui ont fait du crabe une espèce que les chercheurs qualifient « d’envahissante » car elle peut réduire l’abondance des espèces présentes et modifier leur habitat. En plus du risque d’appauvrissement de l’écosystème, les crabes bleus pourraient être nocifs pour l’économie de la pêche à long terme.

« Si le crabe bleu se développe en masse et se nourrit abondamment d’huîtres et de petits poissons qui se réfugient dans les lagunes, on peut s’attendre à des conséquences économiques négatives pour les pêcheurs et les conchyliculteurs. » précise Lauriane Vasseur.

 

LE MARCHÉ DU CRABE BLEU EN QUEUE DE POISSON

Pourtant, le risque de voir le crabe proliférer en établissant une pêche par quota est réel. En cause, sa délicieuse chair. Les Américains en raffolent et sa réputation n’est plus à faire outre Atlantique. 

Les pécheurs Tunisiens ont eu ouï-dire de ce mets délicat quand un crabe cousin, aux mêmes attributs, s’est accroché à leurs filets, le plus souvent, d’ailleurs, en les cisaillant grâce à ses pinces.

En réponse à cette invasion facilitée notamment par un écosystème déjà affaibli et une surpêche du poulpe - son prédateur naturel -, les responsables politiques tunisiens ont décidé de faire de ce crabe de l’or bleu en mettant en place un plan national d’exploitation.

Un poulpe poursuit un crabe dans une danse hypnotisante

Sur les sept premiers mois de 2018, le pays a produit 1450 tonnes de crabe bleu pour une valeur de neuf millions de dinars, soit environ trois millions d’euros. Une véritable manne financière qui désormais encouragerait à réguler la pêche du crabe, alors qu’elle visait à la base à l’exterminer.

« Ils ont tellement structuré l’aval de la filière, avec la création d’usine de transformation pour l’exportation vers l’Asie, qu'ils vont désormais être obligés de ne pas surexploiter l'espèce pour ne pas fermer les usines. En somme, ils ont mis en place des systèmes qui conduisent à pérenniser une espèce non locale et qui créée de gros dégâts sur les écosystèmes », analyse Lauriane Vasseur.

Sur France bleu, Pascal Romans de l’Observatoire Océanologique de Banyuls-sur-mer, proche de la frontière franco-espagnole, n’a pas été plus optimiste : « Comme toute espèce invasive, il y a fort à parier qu'un jour les stocks s’effondreront. Ce jour-là, n’y aura plus rien, parce que le crabe aura tout détruit. »

Alors, que reste-t-il comme solutions ? Dans ce cas, des mesures de précaution semblent indispensables, et elles consistent à éviter à tout prix l'introduction de nouveaux spécimens en Méditerranée. 

En septembre dernier, les conditions d’application de la convention internationale de l’Organisation maritime internationale ont été réunies afin d’obliger de nombreux types de bateaux à traiter leurs eaux de ballast.

Et pour les spécimens déjà présents dans les lagunes françaises, le parc naturel du golfe du Lion essaye de mieux connaître le cycle local de l’espèce afin de la capturer aux périodes où elle est la plus vulnérable. 

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