L'assèchement du lac Victoria menace la bonne santé du Nil

Selon le pire scénario, en seulement dix ans, le lac pourrait arrêter de se déverser dans le fleuve mythique, entraînant des conséquences désastreuses pour tous les pays mitoyens.

De Taïna Cluzeau
Publication 18 déc. 2019, 12:19 CET
Le lac Victoria s'étend sur trois pays : le Kenya, l'Ouganda et la Tanzanie.
Le lac Victoria s'étend sur trois pays : le Kenya, l'Ouganda et la Tanzanie.
PHOTOGRAPHIE DE Emily J. Beverly

Depuis l’épisode de sécheresse de 2010-2011, qui a touché plus de 10 millions de personnes au Kenya, en Somalie et en Éthiopie, et entraîné de sévères famines, la communauté scientifique a pris conscience de l’importance d’améliorer notre compréhension de l’évolution du climat africain. « Le changement climatique est un problème qui concerne toutes les parties du monde, mais l’Afrique de l’Est y est particulièrement sensible », pointe Emily J. Beverly, chercheuse au département Terre et science de l’atmosphère à l’université de Houston. Avec l’aide de ses collègues, elle s’est penchée sur l'évolution future du lac Victoria, l'un des plus grands lacs d'eau douce au monde. Ses 59 947 km2 sont divisés entre trois pays, le Kenya, l'Ouganda et la Tanzanie, et ses rives concentrent l'une des populations les plus denses d'Afrique.

« Nous avons commencé à étudier le lac Victoria pour les nombreux outils fossilisés dans ses berges, car nos recherches s’intéressent à l’évolution humaine, précise Emily J. Beverly. Puis nous avons souhaité reconstituer l’environnement dans lequel ces humains de la préhistoire évoluaient. » Les chercheurs ont alors développé un modèle mathématique fondé sur les paramètres passés du climat et du lac. Entre autres données, ils ont pris en compte que le lac Victoria s’était complètement vidé au moins à deux reprises, il y a 17 000 et 15 000 ans. Ce modèle a permis d’extrapoler la situation du lac sur une période remontant jusqu’à 100 000 ans. « C’est après ces premiers résultats que nous nous sommes rendu compte que ce modèle pouvait aussi permettre de prévoir l’évolution future du lac et servir aux millions de gens qui en dépendent », révèle la chercheuse.

Enjeu principal de ces prévisions : estimer le niveau de remplissage du lac. De nombreux facteurs déterminent ce niveau, dont la quantité de précipitations (pluie), le flux d’eau apporté par les rivières qui se jettent dans le lac, l’évaporation, la température, la présence ou non de végétation autour du lac absorbant l’eau avant qu’elle ne s’y déverse et, enfin, les mouvements de la Terre. En effet, l’orbite de notre planète autour du Soleil varie cycliquement. Elle est plus ou moins ovale en fonction de la période, ce qui modifie sensiblement la distance Terre-Soleil. L’angle de l’axe de rotation de la Terre varie aussi légèrement. Ces deux paramètres influent sur la quantité et la puissance des rayons solaires baignant la région du lac Victoria. Plus celles-ci sont élevées, plus l’évaporation augmente.

« Les deux principaux facteurs qui menacent le lac aujourd’hui sont les précipitations, qui représentent 80 % de son renouvellement contre 20 % pour l’eau provenant des rivières, et l’évaporation, constate Emily J. Beverly. Nous savons, selon les modèles climatiques, que la température va augmenter dans la région entre 1 °C et 5 °C d’ici les cent prochaines années. Par conséquent, l’évaporation va faire de même, ce qui risque de réduire le niveau du lac. » Concernant les précipitations, les  modèles ne contiennent pas suffisamment de données pour déterminer si elles vont augmenter ou diminuer. Mais, si elles diminuent, la chercheuse craint que, comme par le passé, cela cause très rapidement un assèchement du lac.

Par deux fois, il y a 17 000 et 15 000 ans, le lac Victoria s'est complètement vidé de son eau. Des chercheurs se penchent aujourd'hui sur son évolution future, au regard du changement climatique.
PHOTOGRAPHIE DE Emily J. Beverly

Selon le pire scénario, en seulement dix ans, le lac pourrait arrêter de se déverser dans la branche du Nil blanc, seule voie de sortie empruntée par ses eaux. Les conséquences seraient désastreuses pour tous les pays mitoyens du fleuve légendaire. En effet, le lac Victoria est le plus gros pourvoyeur d’eau du Nil en dehors des périodes de mousson (juillet-octobre). Cet assèchement progressif viendrait alors renforcer les conflits déjà existant pour la ressource hydrique entre des pays comme l’Égypte et l’Éthiopie. De plus, le grand barrage de Jinja, situé à la naissance de ce bras du Nil en Ouganda, ne serait plus alimenté, privant les habitants de la région de cette ressource électrique.

Une diminution aussi rapide du niveau du lac isolerait aussi les principaux ports de pêche d’ici une centaine d’années. Or les pêcheurs du lac Victoria produisent actuellement plus de 1 million de tonnes de poissons chaque année, et l’Ouganda et le Kenya, qui perdrait tout accès au lac d’ici 400 ans, sont déjà en conflit sur les aires de pêches autorisées. Enfin, 40 millions d’Ougandais, de Kenyans et de Tanzaniens dépendent de l’eau douce du lac Victoria, notamment pour irriguer leurs cultures. Les répercussions de la dessiccation du lac ne concernent pas seulement les Hommes. Les grands lacs d’Afrique hébergent environ 2 000 espèces de cichlidés, une famille de poissons, dont environ 700 espèces dans le seul lac Victoria. Cent cinquante sont endémiques et risquent de disparaître.

« On ne sait pas vraiment quoi faire pour prévenir une telle situation, avoue la chercheuse. On ne peut pas dire aux habitants d’arrêter d’irriguer, par exemple, c’est leur seul moyen de gagner leur vie. » Le principal problème des chercheurs, selon elle, est le manque de données. Du fait de problèmes de fonctionnement des stations météos et, parfois, d'un éloignement trop important les unes des autres, leur couverture en Afrique de l’Est est pauvre et souvent interrompue. Très peu d’informations sont donc disponibles. « Pour certaines données, on n’a parfois que cinq années d’enregistrements. Nous avons besoin de plus pour préciser les modèles, notamment les flux des rivières ougandaises et burundaises qui se jettent dans le lac. » Pour l’heure, les chercheurs envisagent une autre piste : ils souhaitent collecter des sédiments autour du lac, afin d’affiner les événements climatiques passés de la région et, par extension, leur modèle de prévisions.

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