La Méditerranée, mer la plus polluée du monde

La Méditerranée détiendrait des concentrations quatre fois plus élevées de microplastique au kilomètre carré que le 7e continent, ce qui ferait d’elle la mer la plus polluée au monde.

De Mehdi Benmakhlouf
Publication 2 juin 2020, 15:59 CEST
Algues et emballages plastiques flottent à la surface de l'eau tandis qu'une tortue verte s'éloigne des ...
Algues et emballages plastiques flottent à la surface de l'eau tandis qu'une tortue verte s'éloigne des déchets plastiques.
PHOTOGRAPHIE DE Steve de Neef, National Geographic Creative

« Cela fait 50 ans que je me penche sur le problème et je n’ai vu qu’un accroissement du nombre de déchets en Méditerranée, nous retrouvons toutes sortes de déchets visibles » déplore Jacques Landron, président de l’association Participe Futur.

Par le passé, ce connaisseur du monde maritime et côtier conduisait des opérations de ramassage à bord du bateau de l’association puis les présentait son butin au public dans un but de sensibilisation. Dorénavant, lui et son équipe recensent les macro-déchets flottant à la surface de l’eau. Selon un rapport du WWF, « la concentration de plastique est quatre fois plus élevée que dans l’"île de plastique" », plus communément appelé le 7e continent. Ce qui ferait d’elle la mer la plus polluée du monde.

La mer Méditerranée, la plus vaste des mers intercontinentales s’étend sur 2.9 millions de kilomètres carrés et représente 0.8 % des eaux du globe. Située entre l’Europe, l’Afrique du Nord et l’Asie de l’Ouest, elle est comme son nom l’indique « au milieu des terres ». Sa position est devenue un facteur aggravant de la concentration de la pollution plastique.

Le taux de renouvellement de ces eaux est d’environ 90 ans alors que les plastiques mettent parfois plusieurs centaines d’années pour disparaître. Les morceaux de plastique se décomposent sous l'effet des rayons UV, du vent, de la salinité et du mouvement des vagues. En Méditerranée, la libération de ce plastique devient de plus en plus problématique car les concentrations de microplastiques atteignent des niveaux records : 1,25 million de fragments par kilomètres carrés. Cette tendance s’accentue chaque été avec l’arrivée massive de touristes, les 200 millions de touristes généraient une augmentation de 40 % de déchets.

« Quand nous savons que 80 % des déchets marins viennent de la terre, nous voulons réellement attirer l’attention du public et l'avertir sur l’utilisation du plastique » explique Jacques Landron. L’association Participe Futur compte dans ses rangs des marins, des enseignants, des scientifiques et des volontaires, tous animés par l’envie de faire découvrir le milieu marin à un large public mais, selon ce président d’association, « le gros problème vient au départ des fabricants de polymères, c’est à la source qu’il faudrait agir. La plupart des plastiques produits ne sont pas recyclables, ils terminent donc leur route dans la mer. »

Point de départ de plusieurs grandes civilisations, la Méditerranée constitue l’un des réservoirs majeurs de la biodiversité marine et côtière, elle accueille dans ces eaux entre 10 000 et 12 000 espèces marines, dont 25 % sont endémiques. Quinze d’entre elles sont classées en danger critique d’extinction par l’UICN.

Un phoque moine de Méditerranée adulte nage dans les eaux qui entourent le parc national de Madère, où vit l'une des trois populations restantes.Un phoque moine de Méditerranée adulte nage dans les eaux qui entourent le parc national de Madère, où vit l'une des trois populations restantes.

PHOTOGRAPHIE DE Doug Perrine, Minden Pictures

On estime qu’entre 8 et 12 millions de tonnes de plastique seraient relargués chaque année en Méditerranée, 20 % du fait des activités de pêche et du trafic maritime et 80 % du fait du largage par les rivières et les fleuves.  

L’association Beyond Plastic Med, basée à Monaco, en collaboration avec la Fondation Prince Albert II de Monaco, la Fondation Tara Océan, Surfrider Foundation Europe et la Fondation Mava tente de réduire l'impact de ce drame écologique. Ce collectif se donne pour objectif de réduire les déchets à la source en essayant de trouver des solutions sur le terrain. « Nous finançons des projets concrets sur le terrain à différentes échelles pour faciliter la mise en place des solutions » atteste Lucile Courtial, coordinatrice Beyond Plastic Med.

Actuellement, l’association relie une vingtaine de pays du pourtour méditerranéen et commence à jouir d'une notoriété internationale. « Nous avons pour objectif de réunir, fédérer, d’informer, de faciliter le partage des outils, de mettre en relation les acteurs et de favoriser la réplication des projets qui fonctionnent mais aussi de sensibiliser la jeunesse » poursuit-elle.

À titre d’exemple, sur une plage, l’association intervient auprès de tous les acteurs : auprès des nombreux touristes qui investissent les plages chaque été, auprès des municipalités en les aidant à mettre en place de nouvelles réglementations et en améliorant la collecte des déchets, mais aussi aux côtés du secteur privé avec les bars et les hôtels.

« Pour chaque pays il faut prendre en compte le contexte régional, poursuit Lucile Courtial, les réglementations ne sont pas les mêmes partout, il faut donc s’adapter mais les pays de la rive Nord ont une responsabilité importante à jouer. » Pour ses prochaines actions, l’association a lancé un appel à projet pour la protection des îles méditerranéennes.

« Fortement impactées par la pollution plastique elles sont intéressantes car elles permettent une visibilité plus rapide des actions » conclut Lucile Courtial.

« Globalement, on peut considérer que toute la Méditerranée est polluée par les plastiques », affirme Jean-François Ghiglione, chercheur au CNRS spécialiste en écotoxicologie microbienne marine à l'Observatoire Océanographique de Banyuls.

En 2019, le chercheur était à la tête d’une équipe de 45 scientifiques avec laquelle il a navigué au large des côtes européennes et a remonté les fleuves du vieux continent. Cette mission Microplastiques 2019 faisait suite à une autre mission organisée en 2014 à bord du bateau d’exploration TARA qui a permis la rédaction d'un bilan alarmant.

« Nous nous sommes aperçus que dans certaines régions, les concentrations de plastiques étaient les mêmes que les concentrations de zooplanctons qui sont à la base de la chaîne alimentaire. C’est principalement au large de la Corse, près de l’Italie et des Baléares que ces concentrations sont les plus élevées » souligne Jean-François Ghiglione. Des milliards de tonnes de plastiques jonchent les fonds marins à l’inverse de la surface où on estime qu’entre 1 et 10 % des déchets flottent.

Jean-François Ghiglione effectue des prélèvements grâce à un filet manta. 

PHOTOGRAPHIE DE Samuel Bollendorf

Désormais, tous les échelons de la chaîne alimentaires sont impactés : l'Homme consomme environ la moitié des 114 espèces marines qui ingurgitent régulièrement du plastique.

« Les animaux meurent de faim à cause des particules qui congestionnent leurs estomacs, mais un effet aussi important et moins visible sont les additifs, ce cocktail de polluants que contiennent les plastiques » déplore ce spécialiste.

De fait, les plastiques de conditionnement que l’on retrouve en mer sont constitués d’un polymère de base (le plus souvent le polyéthylène, le polypropylène et le polystyrène) et d’additifs qui aident à améliorer les propriétés du plastique. Ils permettent de créer une forme, favorisent la dureté ou la souplesse du plastique, lui permettent de résister aux flammes.

Sous l’égide de la réglementation REACH (Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques) ils sont essentiellement autorisés et contrôlés au niveau national, nombre d’entre eux ne font pas l’objet d'une évaluation complète de sécurité en matière d'écotoxicologie.

« On observe en laboratoire que ces additifs sont des perturbateurs endocriniens, ils provoquent un dérèglement hormonal chez certaines espèces ». Les hormones jouent un rôle crucial dans la croissance, le développement, la nutrition, la reproduction de toute espèce vivante.

De plus, les plastiques étant des matériaux lipophiles, ils accumulent les hydrocarbures qu’ils rencontrent en mer et les relarguent dans le corps une fois ingéré par un individu. Chez l’Homme la consommation de plastique n’est pas dangereuse à court terme, le problème réside dans l’accumulation de ces additifs dans le corps.

Le scientifique reste malgré tout optimiste pour les années à venir. Il remarque que de plus en plus d’acteurs se sentent concernés et ont conscience du problème. « Aujourd’hui, quand nous allons dans les écoles, les enfants savent que le plastique pose problème, les consommateurs aussi ont un rôle à jouer ! »

Il semblerait qu’une époque de « révolution plastique » soit enclenchée, les industriels se tournent de plus en plus vers l’expertise scientifiques pour trouver des alternatives et s’adaptent ainsi aux nouvelles habitudes de leurs consommateurs.

Un comité scientifique que Jean-François Ghiglione a mis en place avec d'autres collègues (GDR Polymères et Océans) peut désormais répondre aux questions des industriels et du gouvernement. Le réel enjeu réside dans la capacité de tous les acteurs à croire en cette volonté de changement, dans le partage des connaissances et l’application des bons gestes par les citoyens.  

« On ne peut pas éviter l'inertie administrative du côté du gouvernement, les industriels ont des objectifs économiques qui les empêchent parfois de faire le pas de la "transition plastique", sans compter l'importance des lobbys qui ne veulent pas que cela change » confie le scientifique. 

« Le changement le plus rapide doit se faire au niveau du consommateur qui peut choisir des produits sans emballages, les gens doivent choisir leurs produits et si j’avais quelque chose à leur dire ce serait : tout se passe au magasin lorsque vous faites vos courses, n’attendez pas car les océans débordent déjà de plastiques ! ».

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