Au Groenland, la glace fond à un rythme record

Au Groenland, le rythme de la fonte des glaces au cours du 21e siècle pourrait être plus important qu'au cours des 12 000 dernières années.

De Madeleine Stone
Publication 1 oct. 2020, 17:21 CEST
D'après les scientifiques, la vitesse à laquelle fond l'inlandsis du Groenland est trop rapide pour faire ...

D'après les scientifiques, la vitesse à laquelle fond l'inlandsis du Groenland est trop rapide pour faire partie d'un cycle naturel. La disparition totale de l'inlandsis augmenterait de 7 m le niveau des océans.

PHOTOGRAPHIE DE Martin Zwick, REDA & CO / UNIVERSAL IMAGES GROUP / GETTY IMAGES

Une étude pour le moins alarmante affirme que le Groenland est en bonne voie pour perdre plus de glace au cours de ce siècle qu'à tout autre moment de l'Holocène, la période démarrée il y a 12 000 ans qui a vu l'avènement de la civilisation humaine.

Les preuves récentes apportées par cette étude, publiée le 30 septembre dans la revue Nature, démontrent que l'inlandsis le plus au nord de notre planète serait entré dans une période de rapide déclin et pourrait fondre entièrement si l'humanité continuait de brûler des combustibles fossiles au rythme actuel. Le cas échéant, le volume de l'inlandsis serait suffisant pour entraîner une hausse de 7 m du niveau des océans. Les chercheurs réfutent par ailleurs l'idée selon laquelle la récente dégradation du Groenland ferait partie d'un cycle naturel, en comparant l'actuelle vitesse de fonte à ses points les plus hauts et les plus bas de notre passé géologique.

« Nous sommes désormais convaincus que ce siècle fera office d'exception dans le cadre de la variabilité naturelle des 12 000 dernières années, » déclare l'auteur principal de l'étude, Jason Briner, glaciologue à l'université de Buffalo.

 

ENTRE PASSÉ ET FUTUR

Ces quarante dernières années, le réchauffement rapide de l'Arctique a accéléré la perte de glace du Groenland. Cependant, pour situer cette tendance sur le long terme, les scientifiques doivent examiner les va-et-vient de l'inlandsis sur plusieurs milliers d'années.

Précédemment, les chercheurs avaient essayé de reconstituer l'évolution de la taille de l'inlandsis du Groenland au cours de l'Holocène en s'appuyant sur les isotopes de l'oxygène (Oxygène 18) contenus dans les carottes de glace qui donnent une indication des températures passées. Toutefois, la plupart de ces analyses extrapolaient les conditions climatiques de l'ensemble du Groenland à partir d'une seule carotte de glace, ce qui augmentait considérablement la marge d'erreur de leur reconstitution. En outre, aucune étude n'avait encore associé les modèles de l'évolution du Groenland aux projections du volume de glace censé fondre au cours de ce siècle.

« Certains ont modélisé le passé de l'inlandsis du Groenland et d'autres son futur, » indique Briner. « Mais il n'y a pas vraiment eu d'étude qui utilisait le même modèle, les mêmes méthodes pour donner une image complète du passé à l'avenir. »

Briner et ses collègues ont comblé cette lacune temporelle et en ont profité pour reconstituer l'historique des fontes du Groenland de façon plus sophistiquée. Les chercheurs ont combiné une modélisation de l'inlandsis aux données sur la température et les chutes de neige obtenues à partir d'une série de carottes de glace prélevées au Groenland. Ils ont ensuite étendu ces informations à l'ensemble de l'inlandsis à l'aide d'un modèle climatique. Les chercheurs ont ensuite exécuté leur modèle en effectuant des allers-retours dans le temps, d'il y a 12 000 ans à l'an 2100, en s'appuyant sur des scénarios de basses et hautes émissions carbone afin de déterminer les différentes trajectoires possibles pour l'inlandsis.

Leurs résultats montrent que la fonte actuelle du Groenland dépasse tout ce qui a pu se produire pendant l'Holocène.

Il y a entre 10 000 et 7 000 ans, un épisode de réchauffement connu sous le nom d'optimum climatique de l'Holocène a provoqué un rétrécissement radical de l'inlandsis du Groenland. Au cours d'un siècle particulièrement extrême, environ 6 000 milliards de tonnes de glace ont fondu, ce qui est comparable aux 6 100 milliards de tonnes que le Groenland pourrait perdre cette année si l'on extrapole à l'avenir le rythme enregistré entre 2000 et 2018.

Cependant, ces 6 100 milliards sont une estimation prudente du volume de glace que le Groenland pourrait perdre : avec l'accumulation du carbone dans l'atmosphère, la planète continuera de se réchauffer et les rythmes moyens de fonte pourraient s'accélérer. Il est également probable que le Groenland connaisse d'autres années de fonte extrême comme en 2012 et 2019, lorsque des vagues de chaleur s'étaient ajoutées au changement climatique pour entraîner une gigantesque perte estivale de glace.

Dans un scénario optimiste où l'humanité réduirait rapidement ses émissions globales de carbone, les modèles de Briner montrent que le Groenland perdrait environ 9 700 milliards de tonnes d'ici la fin du siècle, un rythme près de quatre fois supérieur aux plus hautes estimations des modèles décrivant les 12 000 dernières années.

Ce dernier scénario, baptisé RPC 8.5, est considéré comme étant pessimiste du point de vue des émissions, mais c'est la voie sur laquelle se trouve le Groenland si l'on s'appuie sur les récentes pertes de glace. Les conclusions du RPC 8.5 sont également cohérentes avec celles d'une autre étude récente qui affirmait que le Groenland pourrait être complètement dépourvu de glace dans à peine 1 000 ans.

Pour Ted Scambos, glaciologue au National Snow and Ice Data Center non impliqué dans l'étude, ces résultats offrent « une excellente combinaison des données historiques, des mesures actuelles et de la modélisation qui étend les travaux aux projections pour l'avenir. »

« L'étude répond également à ceux qui nient les effets actuels du changement climatique en soutenant que "la Terre a toujours changé" — et cette réponse est : "non, pas à ce rythme", » déclare Scambos.

 

LIMITES ET AVENIR

Les résultats de l'étude s'accompagnent d'une mise en garde non négligeable : les auteurs ont limité leurs modèles au sud-ouest du Groenland, car les propriétés physiques de la région sont relativement simples, la fonte y étant principalement alimentée par la température ambiante et non pas par le réchauffement océanique ou la rupture des glaciers qui se déversent dans l'océan. Ils ont donc extrapolé leurs prévisions à l'ensemble du Groenland à partir de cette région particulière.

Les pertes de glace estimées par les chercheurs grâce à leurs modèles correspondaient étroitement aux données empiriques des 40 dernières années, ce qui ne manque pas d'étayer leurs résultats. Néanmoins, à l'avenir, l'équipe de scientifiques aimerait appliquer ses modèles  à l'ensemble du Groenland en y intégrant les processus additionnels de fonte et de rupture de la glace.

Le sud-ouest du Groenland est « la région qui a enregistré les plus hautes augmentations de fonte ces dernières années, c'est donc un bon indicateur pour l'évolution générale du reste de l'inlandsis, » explique la glaciologue externe à l'étude Ruth Mottram de l'Institut danois de météorologie.

Mottram attire également notre attention sur les moraines glaciaires utilisées par les auteurs. Ces champs de débris rocheux qui apparaissent après la disparition d'un glacier leur ont permis de comparer leurs modèles de croissance et de retrait de la glace aux données du monde réel. « En combinant les données de terrain aux modèles, l'étude nous incite à faire confiance aux résultats issus des modélisations pour le climat passé et, par conséquent, à nous fier également aux projections, » explique-t-elle.

Néanmoins, pour Ellyn Enderlin, glaciologue au sein de l'université d'État de Boise, le fait d'extrapoler du sud-ouest du Groenland à l'ensemble de l'inlandsis semble « un peu précipité. »

« Même si les auteurs indiquent que les tendances actuelles de la perte de masse pour cette région sont similaires à celles de l'inlandsis dans son intégralité, il est tout à fait possible que cette corrélation ne tienne pas pour des périodes bien plus longues, lorsque la géométrie de l'inlandsis était différente de celle observée aujourd'hui, » explique Enderlin.

Sur un inlandsis plus étendu avec un plus grand nombre de glaciers se déversant dans l'océan, poursuit-elle, la fonte « aurait été largement contrôlée par les instabilités inhérentes à ces systèmes, des instabilités qui pourraient ne pas suivre les mêmes tendances de perte de masse modélisées ici pour la portion sud-ouest de l'inlandsis. »

Même si de plus amples recherches seront nécessaires pour peaufiner les détails relatifs au passé et à l'avenir du Groenland, Scambos soutient qu'à ce stade la communauté scientifique dispose d'un nombre suffisant de preuves pour affirmer avec confiance que le Groenland, tout comme le climat terrestre dans son ensemble, subira de lourdes conséquences si l'humanité ne rectifie pas la trajectoire sur laquelle elle se trouve.

« Pour ce qui est du climat, nous avons trouvé la pédale d'accélérateur et nous l'avons bloquée avec une brique, » illustre Scambos. « Et cela ne s'arrêtera pas tant que nous n'aurons pas changé. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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