La France multiplie les aires marines protégées... qu'elle peine à protéger

Plus de 30 % du domaine maritime français est désormais classé "aires maritimes protégées". Mais seule une toute petite fraction de celles-ci fait l’objet d’une vraie préservation.

De Marie-Amélie Carpio
Publication 17 nov. 2020, 12:16 CET, Mise à jour 20 mai 2021, 11:43 CEST
Le Parc naturel marin de Mayotte a été créé en 2010.

Le Parc naturel marin de Mayotte a été créé en 2010.

PHOTOGRAPHIE DE Yane MAINARD, Pixabay

Depuis que l’idée de protéger les océans a émergé sur la scène internationale au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la création d’aires marines protégées (ou AMP) est devenue l’outil privilégié pour traduire cet impératif en actes. Le concept pâtit pourtant de l’absence de définition stricte au niveau onusien, ce qui laisse toute latitude aux États pour choisir la nature des contraintes qu’ils s’imposent – ou non – à eux-mêmes, quitte à multiplier les parcs de papier. Joachim Claudet, écologue et directeur de recherche au CNRS, au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe) a ainsi conduit une étude sur les AMP en Méditerranée dont les conclusions sont accablantes : si ces aires couvrent 6,01% du bassin méditerranéen, seule 0,23% de sa surface bénéficie d’une réelle protection, 95% des zones en AMP n’étant pas plus réglementées que les eaux extérieures.

Avec un domaine maritime d’environ 10,7 millions de km2 - le deuxième après les États-Unis -, la France est concernée au premier chef par l’avenir des océans. Elle crée des AMP de plus en plus vastes depuis une décennie. Mais le pays n’échappe pas à l’écueil d’une préservation de façade à certains endroits, souligne le chercheur. Un abîme sépare l’activisme affiché d’une réelle protection de notre espace maritime. Entretien.

 

Quelle politique mène la France en matière de préservation des océans ?

La France est volontariste, elle affiche une forte ambition depuis le début des années 2010. En 2009, il y avait 0,8% d’AMP sur l’ensemble de la zone économique exclusive de métropole et d’Outre-mer (ndlr : la totalité de l’espace maritime sur lequel s’exerce la souveraineté du pays). Dix ans plus tard, en 2019, on était passé à 23,5%. Au vu de l’étendue de la ZEE française, c’est un effort considérable. Et en 2020, on arrive au-delà des 30%, avec la création de la réserve naturelle des Glorieuses, dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). C’est allé très vite. D’un coup on s’est mis à faire de très grandes AMP, beaucoup plus grandes que celles qui existaient auparavant. La France s’était engagée auprès de la Convention sur la diversité biologique, qui prévoyait que 10% des eaux côtières et marines des États signataires devaient être converties en AMP d’ici à 2020. Elle a même dépassé la cible des 30% d’AMP qui est dans les tuyaux au niveau international pour l’horizon 2030.

 

Votre étude sur les AMP instituées par les divers pays qui bordent la Méditerranée révèle le gouffre qui existe entre l’attribution de ce statut et une réelle protection. Les AMP françaises souffrent-elles de la même dichotomie ?  

En France, moins de 1,7% de la ZEE bénéficie d’une protection intégrale ou haute. Or la littérature scientifique internationale montre que ce sont ces niveaux de protection qui sont les plus efficaces. La protection intégrale interdit toutes les activités qui ont un impact négatif sur la biodiversité (pêche, extraction minière) et la protection haute autorise seulement certains types de pêche (comme la pêche à la ligne, à pied ou au harpon en apnée). Les études n’observent aucun bénéfice environnemental pour des niveaux plus faibles de protection.

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    Résumé graphique du niveau de protection dans la mer Méditerranée. Les AMP couvrent 6,01% du bassin méditerranéen, mais seulement 0,23% de sa surface bénéficie d’une réelle protection, 95 % des zones en AMP ne sont pas plus réglementées que les eaux extérieures.

    PHOTOGRAPHIE DE Claudet et al., One Earth

    Dans les années 1960-1970, la France préservait des zones plus petites, mais principalement avec de la protection intégrale ou haute. En métropole, une grande partie du faible pourcentage de protection intégrale date de cette époque-là. Ça n’a plus été le cas pour la majorité des nouvelles AMP établies durant la dernière décennie. Il y a plus d’une quinzaine d’outils juridiques derrière celles-ci, comme les réserves marines, les parcs nationaux, les parcs naturels marins…

    Or ces derniers, en particulier, sont moins un instrument de protection du patrimoine naturel qu’un outil d’aménagement du territoire : il y a beaucoup de sensibilisation, de concertation pour un usage durable, un suivi environnemental (comme celui de la qualité de l’eau), mais les gestionnaires ne peuvent pas établir de contraintes, il faut qu’elles viennent des usagers. Les parcs naturels marins visent à redonner des compétences aux acteurs locaux, ce qui est très bien en soi, mais seules des restrictions peuvent conférer une réelle protection. C’est une vision très française de vouloir faire cohabiter extraction et protection.

    Pour l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), l’objectif d’une AMP doit être la conservation de la biodiversité et non le développement durable. Celui-ci doit être l’objectif de la gestion de tous nos territoires côtiers et marins et non pas se cantonner uniquement au sein d’AMP qui ont, elles, pour vocation la protection de la biodiversité.

    Parc naturel marin des Glorieuses, dans les TAAF (Terres australes et antarctiques françaises).

    PHOTOGRAPHIE DE NASA

    Quelles sont les eaux françaises les mieux protégées ?

    Sur l’ensemble de la ZEE, les TAAF représentent à elles seules 80% des zones sous protection intégrale ou haute. Ce sont des écosystèmes très particuliers, qu’il est très important de préserver, mais il faut aussi le faire ailleurs. Ce niveau de protection devrait être décliné par façade et par bassin : sur la façade Atlantique-Manche-Mer du Nord, sur la façade méditerranéenne, dans les Caraïbes… Il ne faut pas se contenter de sauvegarder un seul territoire et pas les autres. En Méditerranée, presque 60% des eaux françaises ont un statut d’AMP, mais seules 0,1% bénéficient d’une protection intégrale ou haute. Sur la façade Atlantique-Manche-Mer du Nord, presque 40% de la ZEE est en AMP, mais moins de 0,01% présente ce niveau de protection. Quant à Mayotte, 100 % de la ZEE est déclarée AMP, mais seule 0,003% est sous protection intégrale ou haute. On a voulu faire de très grandes AMP, or il était difficile, voire impossible, d’exclure tout type d’activité extractive dans ces eaux-là. On ne va pas interdire la pêche à Mayotte, mais, dès lors, fallait-il faire de toute sa ZEE une aire marine protégée ?

     

    Que préconisez-vous pour améliorer nos politiques de sauvegarde ?

    Il faut que les décideurs arrivent à décorréler efficacité de la gestion et efficacité de la protection. Bien gérer ne suffit pas. Pour qu’une AMP fournisse des bénéfices environnementaux et socio-économiques, il faut des règles contraignantes afin que les activités ayant un impact sur la biodiversité soient éliminées ou drastiquement réduites. On ne peut pas créer une AMP et continuer par exemple à y autoriser le chalutage, qui est une pratique très destructrice. La nouvelle stratégie française annoncée par le président Macron prévoit de passer un tiers des AMP en « protection forte » d’ici à 2022. Mais cette terminologie reste floue. Il ferait sens que ce tiers corresponde à une protection intégrale ou haute. 

    Une vraie préservation entraîne énormément de bénéfices. Selon une récente étude, en protégeant 5% de plus les océans, on pourrait augmenter les captures de 20%. Quand on limite la pêche sur certaines zones, le retour sur investissement est démultiplié, car les aires protégées permettent de réensemencer les zones voisines. D’ailleurs, très souvent, les pêcheurs, qui sont les premiers opposants des AMP avec une protection intégrale, deviennent ensuite leurs premiers défenseurs. En France, on voit leurs avantages dans une AMP comme celle de Cerbère-Banyuls, qui présente de très bons résultats, avec une exportation de biomasse de la réserve vers l’extérieur. Mais les bénéfices restent très locaux dans l’Hexagone, car seules de toutes petites zones sont concernées par ce niveau de protection.

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