Islande : cette usine extrait le CO2 de l’air pour l’enfouir sous terre

La plus grande usine de captage de dioxyde de carbone au monde a été inaugurée en Islande. Ce qui était encore au stade de projet en 2020 est désormais en marche.

De Margot Hinry
Publication 21 sept. 2021, 13:38 CEST, Mise à jour 28 sept. 2021, 10:26 CEST
Usine de captage de dioxyde de carbone dans l'air, par Climeworks.

Usine de captage de dioxyde de carbone dans l'air, par Climeworks.

PHOTOGRAPHIE DE Climeworks

La start-up suisse Climeworks promet d’extraire près de 4 000 tonnes de CO2 de l’air par an, pour la stocker sous terre. L’objectif de Climeworks est d’éliminer 1 % des gaz à effets de serre émis sur Terre d’ici à 2025 et ainsi de limiter, à son échelle, le réchauffement climatique.

Capter et stocker le CO2 ne sont pas des actions innovantes. Plusieurs grandes entreprises hautement émettrices en carbone, comme les centrales électriques au gaz ou au fioul ou encore les raffineries de pétrole, utilisent déjà cette technique d’extraction du carbone. Habituellement, le gaz est filtré directement à la sortie des cheminées des bâtiments. « Capter du CO2 à la sortie des cheminées d’usines (cimenteries, aciéries…) est bien plus facile et moins coûteux, car sa concentration en volume est de 4 % à 40 %, voire plus, alors que dans l’air, le CO2 est extrêmement dilué (0,04 %) » explique Isabelle Czernichowski-Lauriol, déléguée à la Recherche et à l’Appui aux Politiques Publiques au BRGM, service géologique national français, et ingénieure géologue et docteure en géosciences.

Dans le cas de l’usine islandaise, les experts adaptent le processus en alliant filtrage de l’air et enfouissement souterrain. Une solution nécessaire selon Isabelle Czernichowski-Lauriol : « le GIEC dit qu’on a besoin des deux. Tous les efforts visant à limiter les émissions de CO2 dans l’air doivent être complétés par l’extraction de CO2 dans l'atmosphère ».

Climeworks, Orca. Septembre 2021

PHOTOGRAPHIE DE Climeworks

LUTTER ACTIVEMENT CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE

C’est près de Reykjavik, en Islande, que la première installation de la start-up Climeworks a été édifiée, après plusieurs années de tests. Le choix du lieu est stratégique, puisqu’au cœur de ces grandes plaines islandaises se trouve une centrale géothermique. L'installation est ainsi alimentée par les énergies renouvelables voisines. Ce projet pilote, baptisé « Orca », « énergie » en islandais, a donc pour objectif d’enfouir un maximum de CO2 solidifié à plus de 1 000 mètres de profondeur. L’usine est en capacité d’aspirer le CO2 présent dans l’atmosphère, pour le pétrifier à jamais dans la roche !

Les scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) estiment qu’il est encore temps d’agir sur la limitation et la suppression totale de gaz à effets de serre. L’accord de Paris ratifié en 2015 avait posé un cap planétaire à ne pas franchir, la barre symbolique de +1,5°C. Aujourd’hui, selon un article des Nations Unies, cet objectif ne serait pas atteignable, sauf en cas de changement drastique et imminent. « Il y a déjà dans le monde une trentaine d'installations de taille industrielle qui captent le CO2 émis par diverses industries pour éviter de le relâcher dans l’atmosphère, puis qui le stockent dans le sous-sol de manière permanente. (…) Elles permettent d’éviter le rejet de 40 millions de tonnes de CO2 par an. Au vu de l’urgence climatique, il faut accélérer le déploiement de ce type de solutions dans tous les territoires qui s’y prêtent ».

Les scientifiques appellent à une stabilisation du climat afin de réduire les dégâts liés au réchauffement climatique. Or les causes de l’excès de CO2 présent dans l’air sont directement liées à l’activité humaine. « On a extrait du carbone du sous-sol (pétrole, charbon, gaz naturel) pour nos besoins énergétiques. En le brûlant, on émet du CO2. Donc, renvoyons ce carbone dans le sous-sol, en stockant le CO2 sous terre. C’est le puits de carbone géologique qui offre un moyen efficace pour réduire les émissions résiduelles incompressibles de CO2 des installations industrielles » insiste l’experte.

Orca a vu le jour grâce à l’association de Climeworks à l’ingénierie du système islandais Carbfix. Pour récupérer le plus de CO2 et tenter d’agir contre ses effets néfastes dans l’atmosphère, Climeworks a réalisé la plus grosse levée de fond de l’année 2020, en Suisse. 92 144 500,00 euros pour reproduire en deux ans ce que la nature fait elle-même en plusieurs milliers d’années. Le processus est tel qu’il reproduit ce que l’on appelle la minéralisation.

Climeworks - CO2 transformé en roche grâce au processus Carbfix

PHOTOGRAPHIE DE Climeworks

RECRÉER UNE RÉACTION CHIMIQUE NATURELLE

Pour ce faire, des grands ventilateurs à tailles humaines viennent brasser l’air pour l’aspirer et le faire passer à travers des filtres éponges. Une soufflerie monte en température sur ces filtres et permet d’extraire le dioxyde de carbone. Le gaz est ensuite plongé dans de l’eau et envoyé très loin sous terre. La réaction chimique permet à l’ancien gaz carbonique de refroidir et de se figer pour toujours.

 

Isabelle Czernichowski-Lauriol détaille les étapes de captage de CO2 au sein d'usines classiques. « Il faut une roche réservoir, poreuse et perméable, de type calcaire ou grès et située à au moins un kilomètre de profondeur. La température et la pression sont telles que le CO2 n'est plus à l'état gazeux. Il est très dense comme un liquide et vient se loger dans la porosité de la roche, entre les minéraux, comme de l'eau dans une éponge » explique Isabelle Czernichowski-Lauriol. Il faut pour cela repérer des formations géologiques suffisamment imperméables et argileuses pour pouvoir s’assurer que le CO2 ne pourra plus s’évaporer. « Il y a des gisements naturels de CO2 sous terre qui nous montrent que c’est possible. Par exemple en France, on en a découvert huit qui se sont formés il y a des millions d’années ».

L’accélération à grande échelle d’un processus initialement naturel peut soulever la question d’éventuels impacts néfastes pour les sols. Concernant le processus de captage de CO2 de l'usine Orca, la scientifique s'interroge, « Il faut voir si les précipitations de minéraux carbonatés ne risquent pas de colmater les voies de circulation de l’eau, ce qui limiterait la portée de cette solution » confirme Isabelle Czernichowski-Lauriol.

Gauche: Supérieur:

Usine Orca - Climeworks

Droite: Fond:

 CO2 transformé en roche grâce au processus Carbfix

Photographies de Climeworks

Au total, Orca compensera en une année l’impact carbone de toute la durée d'utilisation de 870 voitures. Afin de mieux comprendre l’enjeu, cela peut également être comparé à 4 000 vols Paris-New-York, comme l’expliquent nos confrères de l'Usine Nouvelle.

L’usine Orca sert d’exemple et de démonstration à toutes les entreprises souhaitant réduire leur impact climatique. Aujourd’hui pourtant, beaucoup restent sceptiques quant aux coûts engendrés et remettent en question l’efficacité du projet. « Il est temps d’expérimenter sur le terrain les diverses solutions possibles de captage et de stockage du CO2, dont celle-ci. La nature des roches en profondeur va conditionner le type de stockage et sa localisation. Chaque territoire pourra choisir les solutions les plus adaptées selon ses spécificités et ses besoins de décarbonation ».   

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