Hawaï : La plus grande réserve marine du monde semble atteindre ses objectifs

Les navires de pêche semblent attraper davantage de poissons que par le passé aux alentours du Monument national marin de Papahānaumokuākea, démontrant ainsi l'efficacité des aires marines protégées pour la reconstitution des populations en déclin.

De Tim Vernimmen
Publication 2 nov. 2022, 11:07 CET
Atoll de Pearl et Hermes, au sein du Monument national marin de Papahānaumokuākea.

Atoll de Pearl et Hermes, au sein du Monument national marin de Papahānaumokuākea.

PHOTOGRAPHIE DE Photography by NOAA

Le nombre de poissons pêchés aux alentours d’une aire marine protégée à Hawaï a connu une augmentation ces dernières années, indiquant que l’agrandissement de la réserve en 2016 pourrait avoir soutenu les populations de poissons dans la région.

Lorsque le président Barack Obama a quadruplé la superficie du Monument national marin de Papahānaumokuākea, désormais à 1 510 000 kilomètres carrés, les défenseurs de l’environnement marin du monde entier se sont réjouis.

Les pêcheurs ne se sont pas joints aux célébrations, la pêche étant interdite dans cette zone protégée. Les défenseurs de la réserve ont pourtant fait valoir que la création d’un espace permettant aux populations de thon en déclin de se reconstituer serait également bénéfique pour les pêcheries.

En effet, selon eux, si les populations à l’intérieur des limites de la réserve augmentaient de façon continue, les poissons se répandraient nécessairement dans les zones environnantes, augmentant ainsi la quantité de thon disponible pour la pêche.

Cependant, les thons ne pouvant être comptés directement, et leur nombre pouvant fluctuer pour diverses raisons autres que l’expansion de la réserve, il est difficile de le prouver. Mais une nouvelle étude, publiée cette semaine dans la revue Science, suggère sur la base de données recueillies entre début 2010 et fin 2019 que le nombre de poissons capturés tout près de la zone protégée est plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était il y a quelques années.

Alan Friedlander, scientifique en chef du projet Pristine Seas de la National Geographic Society, qualifie l’étude de « test très rigoureux des effets des aires marines protégées ».

« C’est l’une des rares études à démontrer les bénéfices réels des retombées [de ces mesures], qui sont souvent difficiles à prouver. C’est une excellente nouvelle, car elle propose une approche solide que nous pouvons utiliser pour évaluer et améliorer les aires protégées dans d’autres régions du monde. »

 

UNE ÉCONOMIE FAVORISÉE

Selon John Lynham, économiste de l’environnement à l’université d’Hawaï qui participe à la rédaction de l’étude, il est important de préciser que l’augmentation du nombre de thons capturés à proximité de la réserve s’observe également dans le nombre moyen de prises de chaque pêcheur. Cet élément indique que l’effet n’est pas dû à de nouveaux équipages plus efficaces qui seraient arrivés dans ces eaux entre temps, explique-t-il. Pour permettre une évaluation plus précise, les nombres de prises ont été divisés par le nombre de plus en plus important d’hameçons jetés dans ces eaux.

« Il y a environ 150 navires de pêche à Hawaï qui jettent entre 40 et 50 millions d’hameçons par an », explique l’économiste. « Pour maintenir un taux de prise élevé, les pêcheurs en rajoutent sans cesse de nouveau. »

Les navires établis à Hawaï représentent environ deux tiers de la pêche dans la région. « Certains bateaux viennent du Japon, de Chine et de Taïwan, mais nous n’avons pas accès à des données détaillées sur ce qu’ils capturent », précise-t-il.

En se basant sur les prises déclarées par les navires de pêche, ainsi que par les biologistes marins de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique, Lynham et ses collègues ont constaté que les prises par hameçon avaient augmenté au cours des dix années de l’étude. En moyenne, entre 2010 et 2019, l’équipe a calculé que pour 10 000 hameçons, les pêcheurs capturaient 6 thons jaunes et 5 thons obèses de plus par an depuis l’expansion de la zone.

« Ce dernier nous a particulièrement surpris, car il est beaucoup plus important économiquement parlant, et car moins de données indiquaient une augmentation », explique Lynham.

Une variété d'espèces de poissons nagent au-dessus d'un récif de 25 mètres de profondeur, près du banc de sable de la Frégate, au sein du Monument national marin de Papahānaumokuākea.

PHOTOGRAPHIE DE Andrew Gray, NOAA

L’équipe a constaté que les taux de prise les plus élevés provenaient de la zone située aux alentours proches des limites de la réserve, et qu’ils diminuaient avec la distance. « Ce sont exactement les effets que l’on peut attendre d’un tel effet de retombée », ajoute Lynham.

 

DES RETOMBÉES POSITIVES

Certains experts sont sceptiques. Selon Ray Hilborn, biologiste des pêches à l’Université de Washington, la pêche dans la zone était limitée avant l’expansion. « Seule une poignée de bateaux y pêchaient. »

Il pense que l’expansion a donc eu un impact limité, et qu’une véritable reconstitution prendrait plus de temps. En outre, à peu près au moment de l’expansion de la réserve, les populations de thons auraient également augmenté dans tout le Pacifique occidental, selon lui.

Lynham affirme quant à lui que le nombre de bateaux pêchant dans la zone avant l’expansion de la réserve était loin d’être négligeable. « Il y avait quatre-vingt-quinze bateaux en 2013, quatre-vingt-neuf en 2014, et quatre-vingt-quatorze en 2015. »

L’économiste souligne également que l’étude a pris en compte les effets potentiels d’une augmentation des populations de thons à l’échelle de l’océan, et que les prises à proximité de la réserve restaient plus élevées.

Il est plus difficile de déterminer si l’augmentation du nombre de prises est suffisante pour compenser l’effet négatif que l’exclusion des pêcheurs de la réserve sur celui-ci, selon Lynham ; une analyse plus approfondie serait nécessaire. De même, le nombre de thons était en baisse depuis des décennies avant la création de la réserve, et aurait probablement continué à baisser, ce qui complique d’autant plus le fait de définir combien de thons auraient été capturés si la réserve n’avait jamais été créée. Les quantités capturées avant l’expansion de la réserve étaient probablement trop élevées pour être durables.

Quoi qu’il en soit, l’aire protégée semble avoir un impact positif sur la population de poissons, et avoir augmenté les rendements de la pêche là où elle est encore autorisée, une bonne nouvelle qui n’avait jamais été démontrée de manière aussi détaillée auparavant, selon Lynham.

Cela devrait par ailleurs contribuer à faire de la pêche à la palangre autour des îles une activité plus durable, même si, pour l’économiste, elle ne l’est pas actuellement. « Des limites de prises sont en place, mais personne ne les respecte vraiment. Les États-Unis dépassent leur limite de capture chaque année, et on dirait que les autres pays – le Japon, la Chine, Taïwan – n’atteignent jamais leur limite et n’arrêtent jamais de pêcher. »

« Il faudra contrôler le nombre de prises de chaque pays plus efficacement avant de pouvoir affirmer que nous sommes vraiment sur la voie d’une pêche durable », argue-t-il, et cela permettrait, par la même occasion, de faciliter le suivi scientifique.

 

DES RÉSERVES POUR UNE PÊCHE PLUS DURABLE ?

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      Gauche: Supérieur:

      Un banc de Kuhlia au sein de la réserve, dont la taille a été multipliée par quatre en 2016.

      PHOTOGRAPHIE DE Koa Matsuoka, NOAA
      Droite: Fond:

      Un fou brun (Sula leucogaster) dans sa propre excursion de pêche.

      PHOTOGRAPHIE DE Andrew Gray, NOAA

      L’importance de tels efforts pourrait être encore plus significative pour de nombreuses autres réserves marines, où les données comme celles utilisées par l’équipe dans le cadre de l’étude font souvent défaut. « Nous devons savoir d’où proviennent les prises. »

      Cela permettrait également de déterminer l’efficacité des plus petites réserves, ainsi que de celles qui autorisent une pêche limitée, Papahānaumokuākea étant la plus grande réserve au monde à ne pas autoriser la pêche en son sein.

      Friedlander, qui est établi à Hawaï, est du même avis que Lynham et prévient que « nous ne devrions pas conclure de cette étude que toutes les aires protégées offrent ces mêmes avantages », citant les limitations possibles telles que la petite taille, la mauvaise conception ou l’emplacement inadapté des réserves.

      « Certaines de ces autres réserves ont été mises en place dans le but de créer des retombées [positives], mais elles n’ont pas réussi à démontrer pleinement leur efficacité. Notre étude permet d’affirmer enfin que l’efficacité est bien là », conclut Lynham.

      Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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