Défenseurs de l’environnement, vocation à haut risque

Un peu partout dans le monde, les défenseurs des droits environnementaux risquent leur vie. Beaucoup la perdent.

De Nadège Lucas, National Geographic
Publication 4 janv. 2023, 16:33 CET
Yuli Velazquez, représentant légal de la Fédération des pêcheurs artisanaux, environnementaux et touristiques du département de ...

Yuli Velazquez, représentant légal de la Fédération des pêcheurs artisanaux, environnementaux et touristiques du département de Santander (Fedepesan), regarde des images de défenseurs des droits humains locaux assassinés, Barrancabermeja, Colombie, 21 juillet 2022.

PHOTOGRAPHIE DE Negrita films / Global Witness

« Jusqu’à maintenant, ma génération a largement échoué à préserver la justice dans le monde et à protéger la planète… la crise climatique est une alerte rouge pour l’humanité (…), nous nous dirigeons vers une catastrophe mondiale (…),  nous avons le choix : coopérer ou périr… ». Le Secrétaire général de L’ONU, António Guterres n’a pas mâché ses mots devant les délégations présentes lors de la COP27, qui s’est tenue du 6 au 18 novembre 2022. 

Ce n’est pas nouveau. Cela fait des années que le Secrétaire général de l’ONU et nombre d’organisations de défense de l’environnement, dont l’ONG Global Witness, agitent le drapeau rouge, poussant les plus lucides et plus concernés à agir, s’engager, militer.

Dans son rapport annuel, Global Witness dénonce une décennie meurtrière pour les défenseurs de la terre et de l'environnement. En préambule, le Dr Vandana Shiva, influente scientifique très engagée dans la protection de la biodiversité biologique et culturelle, cite les noms des victimes. Les portraits sont émouvants. Ce ne sont pas seulement des militants, ce sont des femmes et des hommes, des mères et des pères, des filles et des fils qui perdent leur vie pour la cause environnementale.

« Nous voulons un avenir où les forêts et la biodiversité prospèrent, où les combustibles fossiles restent dans le sol et où les entreprises donnent la priorité aux intérêts de la planète ».

Derrière ces mots, l’ONG créée en 2013 affiche clairement sa vocation à protéger la planète, à sauver l’humanité d’un effondrement annoncé. Dans leur ligne de mire ? Les grandes causes du réchauffement climatique : l’utilisation de combustibles fossiles – tels que le pétrole, le charbon et le gaz. Réduire, voire abandonner leur utilisation au profit d’énergies vertes est devenu indispensable pour que la planète continue à respirer.

Mais le poumon de la Terre, ce sont aussi les forêts. Et les forêts disparaissent. Le déclin, voire la perte irrémédiable de surfaces forestières au profit de l’expansion agricole, joue un rôle tout aussi néfaste pour la survie de l’humanité. Chaque hectare de forêt permet de stocker 50 t de carbone. Chaque arbre abattu, qui absorbait le CO2 avant de le rejeter sous forme d’oxygène, ne jouera plus son rôle purificateur. En disparaissant, la forêt emporte avec elle la biodiversité, déjà fragile, et pourtant nécessaire à toute vie – végétale, animale et humaine. 

Des résidents locaux marchent dans ce qui était autrefois une forêt, récemment défrichée pour faire place à une plantation de caoutchouc dans la province de Ratanakiri, en mars 2013.

PHOTOGRAPHIE DE Chris Kelly / Global Witness

Face à l’urgence de lutter contre le réchauffement climatique, l’ONG est engagée à travers le monde. Elle agit sur le terrain, enquête et, avec l’aide de ses partenaires issus des communautés autochtones, traque les comportements délictueux. Mais cet activisme environnemental est risqué.

Global Witness déplore chaque année l’assassinat de ses défenseurs. En 2012, Chut Wutty, activiste cambodgien, a été abattu par la police militaire alors qu’il enquêtait sur l’exploitation illégale des forêts. En 2020, ce sont 21 écogardes qui ont été tués en République Démocratique du Congo pendant des attaques opérées dans le parc national de Virunga. En 2021, Joannah Stutchbury, militante écologique de 67 ans, a été assassinée alors qu’elle rejoignait son domicile dans la banlieue de Nairobi, au Kenya…

Le décompte est glaçant : 1 733 défenseurs de l’environnement ont trouvé la mort entre l’année 2012 et l’année 2021, et au cours de cette dernière, 200 personnes – soit près de 4 par semaine –,  l’ont été en protégeant leur maison, leurs terres, leurs droits, et parce qu’elles étaient engagées pour une planète plus vivable, plus juste et plus équitable. 

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    Une décennie de meurtres : 1 733 défenseurs de la terre et de l'environnement ont été tués entre 2012 et 2021. 

    ILLUSTRATION DE Global Witness Decade of defiance

    Avec 342 meurtres recensés au Brésil, 322 en Colombie, 117 au Honduras, 154 au Mexique, où l’on enregistre également 19 disparitions forcées, plus des trois quarts des attaques ont eu lieu en Amérique latine, faisant de cette zone la plus dangereuse – et la plus meurtrière  – pour les militants écologistes. 

    L’ONG a aussi comptabilisé 270 assassinats aux Philippines. Au Nicaragua, ce sont 15 défenseurs de la justice foncière qui ont été tués après avoir subi des violences et des menaces récurrentes. Cinquante des victimes étaient de petits agriculteurs locaux qui se défendaient contre les méfaits écologiques et économiques de l’industrie agroalimentaire. Les attaques mortelles sont, en effet, souvent la conséquences de la lutte contre l’appropriation illégale ou le partage inégalitaire des terres, l’exploitation des ressources forestières, minières, gazières et agroalimentaires.

    Nombre total d'assassinats documentés par pays : 200 défenseurs de la terre et de l'environnement ont été tués en 2021.

    ILLUSTRATION DE Global Witness Decade of defiance

    Dans ces combats, les représentants des peuples autochtones constituent 40 % des victimes, recensées principalement au Mexique, en Colombie, au Nicaragua, au Pérou et aux Philippines, alors qu’ils ne représentent que 5 % de la population mondiale. 

    En Amérique latine, mais aussi en Indonésie, en Inde, au Vietnam, et au Canada, les autochtones et les défenseurs de l'environnement subissent harcèlements, agressions, menaces et persécutions. S'ils échappent à la mort, certains sont criminalisés et emprisonnés. C'est le cas de Nguy Thi Khanh, militante vietnamienne reconnue et récompensée en 2018 par le prix Goldman, le Nobel Vert, pour son rôle et ses actions en faveur de la planète. Accusée d'évasion fiscale, elle a été jugée, condamnée, et emprisonnée au côté de trois autres militants.

    Les grands territoires sauvages canadiens subissent la convoitise des industries gazières voulant s’implanter pour y exploiter le gaz naturel – une intention vertueuse de produire un combustible non polluant en Colombie-Britannique. Pourtant, ce projet, considéré comme le plus grand investissement de l’histoire du Canada, est au cœur de controverses et de désaccords avec les chefs héréditaires autochtones. Les communautés traditionnelles, qui vivent sur ces territoires depuis des temps ancestraux, en sont désormais chassées. Toute résistance aux expulsions donne lieu à des arrestations et des emprisonnements. 

    Chaque année les rapports des organisations de défense de l’environnement contiennent une liste de recommandations aux gouvernements en s’appuyant sur la situation de chaque pays : établir le rôle des contrevenants, les sanctionner, mettre en place des mesures anticorruption, instaurer ou renforcer des unités d’observation, voire de surveillance, demander des enquêtes et recommander des mesures de protection pour les défenseurs et militants environnementaux.

    Gauche: Supérieur:

    La militante écologiste Fatima Babu dans sa maison de Thoothukudi, en Inde. Mme Babu a mené une campagne de plusieurs décennies contre l'usine de fusion de cuivre Sterlite, filiale indienne de Vedanta Resources, en raison d'une contamination environnementale présumée dans la ville balnéaire de Thoothukudi, dans le sud de l'Inde.

    PHOTOGRAPHIE DE Alina Tiphagne/Global Witness
    Droite: Fond:

    Eliete Paraguassu, une pêcheuse quilombola et défenseur de la terre et de l'environnement au Brésil, pose pour une photo sur Ilha de Maré, au large de Salvador, Brésil, le 29 août 2022. Depuis plus de deux décennies, Eliete est engagée dans la lutte pour les droits de sa communauté quilombola (noire), contre l'occupation du territoire par les compagnies pétrolières basées dans et autour du port d'Aratu.

    PHOTOGRAPHIE DE Safira Moreira / Global Witness

    On sait déjà que le prochain rapport 2023 va déplorer la disparition, en juin 2022, du journaliste britannique Dom Philipps, 57 ans, tué en Amazonie brésilienne en même temps que l’expert indigène Bruno Pereira, 41 ans. Tous deux étaient partis en expédition dans les coins les plus reculés de la forêt amazonienne pour lutter contre la déforestation illégale et la violation des droits des peuples autochtones.

    Dom Philipps s’était établi à Salvador de Bahia avec son épouse brésilienne et se préparait à la réalisation d’un ouvrage sur l’Amazonie qu’il voulait absolument sauver. Quant à Bruno Pereira, il avait contribué à stopper l’activité de l’une des plus grandes mines illégales de la région. Mais, à la suite de profonds désaccords liés à la politique environnementale menée par Jair Bolsonaro, il s’était éloigné de la Funai (Fondation nationale de l’Indien), organisme gouvernemental brésilien où il était chargé des questions autochtones jusqu’en 2019.

    Le chemin vers une planète plus vivable, plus juste et plus équitable est encore long. 

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