Ce musée est une véritable déchetterie

Le plastique a révolutionné nos vies, mais son coût environnemental est exorbitant. Ce musée virtuel propose un aperçu déconcertant sur la longévité de nos déchets.

De Taras Grescoe
Publication 6 janv. 2023, 08:45 CET
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Un tube de crème solaire des années 1970 ayant survécu pendant des décennies dans l’océan avant de s’échouer sur le littoral italien. Il fait partie de la collection du musée Archeoplastica.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE D’ENZO SUMA, ARCHAEOPLASTICA, Archaeoplastica

Il y a quatre ans, en se promenant sur la plage près de chez lui, Enzo Suma est tombé sur une bouteille de crème solaire qu’on avait jetée là et qui allait changer sa vie. Ce naturaliste aujourd’hui âgé de 40 ans vit dans les Pouilles, une région du sud de l’Italie dont le long littoral donne sur la mer Adriatique. Les déchets flottants s’accumulent dans cette partie relativement enclavée de la Méditerranée, ce qui n’est pas le cas dans l’océan où ils ont tendance à se disperser sur de vastes étendues. Fervent amateur de kitesurf, Enzo Suma avait fait sienne l’habitude de ramasser les ordures qui venaient s’échouer les côtes, surtout après d’importantes tempêtes hivernales.

Ce jour-là, Enzo Suma a remarqué un détail curieux sur la bouteille d’Ambra Solare qu’il a ramassée : le prix, clairement imprimé sous le tube, était en lires, l’ancienne monnaie italienne qui n’est plus en circulation depuis que l’euro l’a remplacée en 2001. Il s’est alors posé une question : était-il possible qu’un contenant en plastique comme celui-ci soit resté intact dans la Méditerranée pendant près de vingt ans ?

La bouteille était en fait bien plus ancienne que cela. Après avoir effectué des recherches sur Internet, Enzo Suma a découvert une publicité sur eBay qui montrait qu’elle avait dû être manufacturée entre 1968 et 1970. Elle allait devenir le premier artefact d’Archeoplastica, une collection de 500 pièces uniques, toutes récupérées sur les côtes italiennes, qui atteste de la longévité déconcertante des déchets plastiques dans l’environnement. Enzo Suma expose également des objets de sa collection en public ; dernièrement lors de l’exposition « Planet or Plastic ? » organisée par National Geographic au Teatro Margherita, un musée situé en bord de mer à Bari.

Enzo Suma, fondateur et conservateur du musée Archeoplastica, avec des pièces de sa collection.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE D’ENZO SUMA, ARCHAEOPLASTICA, Archaeoplastica

« On nous a tous appris à l’école que le plastique peut durer 500 ans », commente Enzo Suma. (En réalité, on estime que les contenants en polystyrène mettent plus de 800 ans à se dégrader et que certaines bouteilles en plastiques peuvent perdurer pendant un millénaire.) « Mais voir un produit que vous auriez pu utiliser il y a 30, 40 ou 50 ans de vos propres yeux, encore complètement intact, c’est différent. Cela a un impact émotionnel. »

Enzo Suma expose également des pièces choisies issues de sa collection Archeoplastica dans des écoles des environs d’Ostuni, sa ville natale. « Ces objets ont l’âge des parents ou des grands-parents de beaucoup de ces enfants. Ce sont davantage des vestiges archéologiques que des déchets. »

 

« LA FACE MOINS SÉDUISANTE DES CHOSES »

Enzo Suma, qui a étudié la science de l’environnement à l’Université de Venise, se sert de ses compétences en photographie pour créer des modèles numériques en trois dimensions de chaque objet en plastique, un peu à la manière dont les musées s’y prennent pour documenter des vases grecs et romains de l’Antiquité. Soixante de ces modèles peuvent d’ores et déjà être visualisés dans le musée virtuel Archeoplastica, qui présente également des affiches publicitaires et des spots de publicité rétros. Le plus ancien objet de la collection est un bouchon de bouteille de 1958 estampillé du logo « Moplen », du nom du polymère breveté dont le lancement a marqué le début de l’âge du plastique. Son invention a d’ailleurs valu à l’ingénieur chimiste Giulio Natta le Prix Nobel de chimie en 1963.

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    La datation de ces objets en plastique, qui sont souvent décolorés par leur exposition à la lumière du Soleil ou recouverts de bernacles, peut s’avérer difficile. Parfois, Enzo Suma a de la chance, comme avec ce paquet de chips où est imprimée une date de péremption (novembre 1983) ou avec ce ballon de football dégonflé estampillé du logo de la Coupe du monde 1990. La présence d’un code-barres indique qu’un objet a été manufacturé après le milieu des années 1980 ; une impression à même le plastique suggère une fabrication dans les années 1970 ou plus tôt, avant que les étiquettes collées ne deviennent la norme. (Les étiquettes se détachent rapidement des bouteilles dans l’eau de mer et deviennent une source de microplastiques qui absorbent des toxines et peuvent être ingérés par des animaux marins). Quand Enzo Suma ne parvient pas à identifier un objet par son travail de fin limier sur Internet, il se tourne vers ses 300 000 abonnés sur Facebook et Instagram.

    C’est ce qu’il a fait avec « Il Gobbo » (« le bossu »), une bouteille bleuâtre et blanche à l’air sinistre en forme d’homme vêtu d’une redingote et doté d’une bosse sur le dos. « Une femme du nord de l’Italie m’a contacté pour me dire qu’elle en possédait une que ses grands-parents avaient gagnée à la fête foraine du coin. Mais la sienne était jaune. » Un collectionneur français lui a envoyé des photos d’une bouteille d’une marque de savon des années 1960 où l’on pouvait lire « Soaky Bubble », mais il ne s’agissait pas exactement de la même. La présence d’une fente dans la tête du bossu pousse Enzo Suma à se demander s’il ne s’agirait pas en fait d’une tirelire. « Mais je ne suis pas sûr à cent pour cent. Il Gobbo reste une énigme. »

    L’attention obsessive qu’Enzo Suma porte à de tels détails est sa façon à lui de lutter contre des problèmes qui l’affectent profondément. Ce guide dont le travail consiste à mener les touristes entre les oliviers pluriséculaires des Pouilles et les dunes côtières de la région est particulièrement sensible à l’impact de l’activité humaine sur l’environnement. Il œuvre bénévolement pour protéger l’habitat des oiseaux des rivages qui font leur nid sur la plage et contribue au sauvetage des tortues marines qui peuvent s’enchevêtrer dans des déchets plastiques.

    Des objets de la collection Archeoplastica exposés avec National Geographic en 2022.

    PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE D’ENZO SUMA, ARCHEOPLASTICA, Archaeoplastica

    « Le côté ludique de ce travail vous permet d’atteindre la face moins séduisante des choses », admet-il. La quantité de plastique qui termine dans les océans, jusqu’à 12,7 millions de tonnes par an, est suffisante pour recouvrir chaque mètre carré de littoral dans le monde de cinq sacs de courses remplis de détritus ; on estime que d’ici 2050, les déchets plastiques dans les océans pèseront davantage que l’ensemble des poissons de la Terre. La mer Méditerranée compte aujourd’hui une des plus importantes concentrations en microplastiques au monde, et Enzo Suma s’inquiète de ce que ces derniers puissent se retrouver dans le corps des personnes ayant un régime riche en produits de la mer.

    « Je n’essaie pas de diaboliser le plastique, soutient-il. C’est une substance très utile. Mais il est impensable qu’une bouteille d’eau, fabriquée à partir d’un matériau conçu pour durer si longtemps, puisse n’être utilisée que pendant quelques jours, voire quelques minutes, avant de devenir un déchet. »

    « Il est important d’œuvrer sur plusieurs plans à la fois, ajoute le créateur d’Archeoplastica. Nettoyer les plages. Nettoyer les océans. Recycler. Mais si nous continuons à jeter du plastique, rien de tout cela ne constituera une solution à long terme. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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