À Mexico, des nanobulles pour lutter contre la pollution de l'air

Quartier de Mexico classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, Xochimilco est asphyxié par la pollution, mais une scientifique mise sur les nanobulles pour lui redonner vie.

De Sarah Freeman
Publication 28 janv. 2022, 17:18 CET
Un touriste flâne à l'avant d'une trajinera, ces barges colorées qui permettent de découvrir la ville ...

Un touriste flâne à l'avant d'une trajinera, ces barges colorées qui permettent de découvrir la ville de Mexico depuis les célèbres canaux de Xochimilco, aujourd'hui menacés.

PHOTOGRAPHIE DE Florian Buettner, laif/Redux

Entre les mains expertes des gondoliers, de petites embarcations aux couleurs vives voguent sur les canaux ensoleillés de Mexico, ce sont les trajineras. Elles croisent le chemin de mariachis entonnant leur sérénade sur leur propre bateau et celui de vendeurs distribuant les spécialités locales depuis leur canoë.

Cette ambiance festive envahit presque tous les week-ends les voies fluviales de Xochimilco, à prononcer « zo-chimilco », quartier de la capitale mexicaine classé au patrimoine mondial de l'UNESCO et destination prisée des touristes. Avec ses 2 500 hectares et ses 170 km de canaux préhispaniques, cette zone humide concentre à elle seule 11 % de la biodiversité du pays, un détail connu de peu de visiteurs malgré les deux millions de touristes et de chilangos, le nom donné aux habitants de la capitale, qui embarquent à bord des trajineras pour un après-midi de croisière chaque année.

Cette photo aérienne montre les trajineras amarrées au quai du canal Nativitas dans le quartier de Xochimilco, le 23 août 2020. Xochimilco est une zone humide située dans la partie sud de la capitale mexicaine ; ses canaux préhispaniques et ses fermes flottantes figurent parmi les attractions les plus célèbres de la ville.

PHOTOGRAPHIE DE Pedro Pardo, AFP/Getty Images

Malheureusement, cet écosystème fragile fait face à un avenir certain : ces dernières décennies, la pollution s'est installée, la vie qui habitait ces cours d'eau a dû trouver refuge ailleurs et tout un patrimoine vivant est désormais menacé.

Mais l'histoire connaît un nouveau rebondissement et les touristes amateurs de trajineras pourraient bien être les sauveurs inattendus de Xochimilco, à condition que le plan échafaudé par un local d'utiliser ces embarcations pour nettoyer les profondeurs sombres du canal se déroule comme prévu.

 

LE PÉRIL ÉCOLOGIQUE

La zone humide de Xochimilco est considérée comme l'un des derniers liens vivants avec les Aztèques, grâce aux incroyables fermes flottantes de la réserve connues sous le nom de chinampas. Pour construire ces îles, 2 215 hectares au total, l'Homme a pu compter sur les canaux et leur lit riche en nutriments qui permettent aux chinampas de se hisser parmi les agricultures les plus productives au monde. Au Mexique, ils nourrissent la capitale du pays depuis mille ans.

De nos jours, 55 tonnes de légumes issus de l'agriculture chinampera garnissent chaque jour les étales des marchés de Mexico, du plus petit au gigantesque marché de gros Central de Abastos de la Ciudad. On y trouve toutes sortes de variétés, des plus courantes, comme la betterave, aux plus exotiques, comme la courge locale talamayota.

« Xochimilco est une corne d'abondance. La zone procure eau et nourriture, elle régule le climat de la capitale et atténue les inondations, génère des emplois et perpétue les traditions, » témoigne Claudia Alejandra Ponce de León, professeure de sciences environnementales à l'université nationale autonome du Mexique.

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    Des hommes déchargent une cargaison de fleurs de « cempasúchil » livrée par bateau sur les canaux de Xochimilco, le 13 octobre 2020. Chaque année, les roses d'Inde inondent les rues du Mexique à l'occasion du Jour des morts.

    PHOTOGRAPHIE DE Ricardo Flores, Xinhua/Redux

    Cependant, l'eau utilisée pour cultiver ces fruits et légumes est contaminée depuis des années, indique Refugio Rodriguez Vázquez, militante pour l'accès à l'eau potable et professeure de biotechnologie à l'Institut Polytechnique National du Mexique, qui a commencé à étudier la zone humide en 2016.

    D'après Vázquez, le responsable serait un cocktail de produits agrochimiques issus du ruissellement de l'agriculture terrestre et des fermes flottantes. Les eaux usées sont rejetées par El Cerro de la Estrella et trois stations de traitement plus petites dans un rayon de 20 km au rythme alarmant de 2 000 litres par seconde, ajoute-t-elle, de quoi remplir un bassin de plus d'un mètre cube chaque seconde.

    Pour ne rien arranger, le nitrogène et le phosphore libérés par ces sources entraînent la prolifération de plantes aquatiques, notamment la lenteja de agua (lentille d'eau) et le lirio acuatico (nénuphar). Cette dernière, introduite dans les années 1980 par le président de l'époque « dans un but décoratif », se révèle être une espèce invasive des plus problématiques.

    Ces plantes tapissent la surface de l'eau et empêchent la pénétration de la lumière et de l'oxygène. « Lorsque la plante meurt, elle se dépose au fond du canal comme sédiment. Cette pouponnière à bactéries productrices de méthane relâche ensuite des gaz à effet de serre dans l'atmosphère, » explique Vázquez.

    « Selon le gouvernement canadien, nos canaux pollués rendent très malades les oiseaux migratoires tels que le canard du Mexique et le grand héron, » ajoute Armando Tovar Gaza, biologiste pour Humedalia, un organisme de conservation local. À cause de cette dégradation environnementale, des espèces endémiques, comme la salamandre axolotl, se retrouvent aujourd'hui au bord de l'extinction à Xochimilco. « Les milieux humides sont importants si l'on veut préserver la qualité de vie de Mexico telle que nous la connaissons, » indique Garza.

    Les problèmes de Xochimilco ont débuté il y a quarante ans, lorsque les autorités ont fait le choix de saigner à blanc ses sources naturelles pour alimenter la population grandissante de Mexico, avant de remplir ses canaux avec de l'eau traitée. À ce mélange toxique s'ajoutent les déversements illégaux d'eaux usées provenant des implantations sauvages du quartier.

    « La zone s'est enfoncée de six mètres au cours des vingt dernières années à cause de l'exploitation des aquifères pour alimenter Mexico, » estime Luis Martinez, chinampero de troisième génération qui cultive 15 variétés de légumes sur sa parcelle d'un hectare à San Gregorio.

     

    L'AVENIR AU SERVICE DE L'HISTOIRE

    Si tout se déroule comme prévu, un plan audacieux visant à tirer profit des petites bulles générées par les trajineras devrait permettre de restaurer les canaux de la zone humide et pourrait avoir des implications par-delà Xochimilco.

    « Ces nanobulles sont capables de pénétrer la couche visqueuse de sédiments, » explique Vázquez. Environ 2 500 fois plus petites qu'un grain de sel, ces poches d'air microscopiques insufflent littéralement la vie dans ces eaux asphyxiées et peuvent « y rester pendant six mois… dans les bonnes conditions, » poursuit-elle.

    Depuis leur découverte dans les années 1990, les nanobulles sont utilisées pour éliminer les polluants dans divers secteurs, notamment l'industrie biopharmaceutique et la transformation des aliments. Puisque les nanobulles ne flottent pas, elles restent sous l'eau où chaque minuscule bulle porteuse d'une charge négative est naturellement attirée par la charge positive des polluants et autres toxines. Une fois associées, les nanobulles libèrent des radicaux hydroxyles qui éliminent les agents pathogènes et dégradent progressivement les parois cellulaires des algues.

    Un gondolier file sur les canaux de Xochimilco, le 5 février 2017. Les locaux espèrent que les nanobulles réussiront à nettoyer les substances chimiques et les plantes nocives qui envahissent le canal depuis des dizaines d'années.

    PHOTOGRAPHIE DE Adriana Zehbrauskas, The New York Times/Redux

    Pour produire ces bulles, Vázquez a imaginé un dispositif rudimentaire composé de tuyaux et de panneaux solaires qui exploite l'infrastructure touristique existante de la zone humide : les trajineras… et elles ont toutes répondu à l'appel, sur un total de 1 103 embarcations.

    Ces barques dépourvues de moteur peuvent transporter jusqu'à 20 personnes et procurent un revenu essentiel à toute une communauté de musiciens, de chefs flottants et de remeros comme José Gabriel Gonzales Franco. Ce gondolier de cinquième génération est un descendant des Xochimilcas qui occupaient ces berges bien avant l'arrivée des Aztèques. Les remeros fabriquent encore leurs rames comme le faisaient leurs ancêtres, en bois d'oyamel, une essence native de la région. « Nous appartenons à cette terre, » déclare Franco. « Nous sommes les gardiens de la tradition. »

    Pour le moment, Vázquez a uniquement testé les prototypes dans son atelier en bord de canal et son laboratoire flottant, une trajinera reconvertie et baptisée « petit oiseau ». Néanmoins, divers modèles informatiques reposant sur une étude contrôlée en bassin et une foule de travaux connexes montrent que la méthode est efficace pour nettoyer les eaux polluées.

    C'est par un samedi ensoleillé du mois d'octobre 2021 que le dispositif a été installé pour la première fois dans une trajinera transportant des touristes. Les deux panneaux solaires de 50 W ont été fixés sur le toit courbé du bateau de Carlos Diaz, dont la famille emmène des visiteurs sur les canaux de Cuemanco et La Cruz, en partance du quai Flores Nativitas, depuis les années 1960.

    Un enchevêtrement de fils connecte les panneaux à une petite boîte qui contrôle la production d'énergie photovoltaïque. Cette énergie entraîne une pompe située dans les tuyaux submergés, conçue pour extraire l'eau du canal et la redistribuer sous forme de milliers de nanobulles. L'un des principaux aspects du plan de Vázquez consiste à diffuser l'ambition du projet à travers un ensemble d'infographies à découvrir sous le toit de chaque bateau.

    La semaine suivante, Vázquez et son équipe de doctorants ont installé le dispositif sur le terrain pour s'assurer que les parties mobiles fonctionnent à l'unisson. Cette fois, ils ont équipé une flotte de quatre bateaux transportant un groupe d'universitaires curieux de voir son invention en action. L'escadron est parti du quai Puenta de Urrutia, point d'accès à certaines des fermes flottantes les plus célèbres de Xochimilco.

     

    XOCHIMILCO ET AU-DELÀ

    Au grand bonheur de l'équipe, l'installation a fonctionné, une première victoire dans ce qui s'annonce comme une route semée d'embûches pour Vázquez qui doit désormais breveter ce dispositif « fait maison » puis convaincre le gouvernement local de la rejoindre dans cet ambitieux projet.

    Cet essai n'a pas permis d'extraire des données définitives, notamment à cause de sa petite échelle. De plus, compte tenu du volume de plantes colossal, il faudra probablement attendre plusieurs mois avant d'observer les effets tangibles de l'oxygénation de l'eau. Néanmoins, il y a de bonnes raisons de croire que le dispositif permettra à Vázquez d'atteindre son objectif : nettoyer un tiers du réseau de canaux de Xochimilco.

    Même si la route est encore longue, la communauté académique de Mexico et d'ailleurs entrevoit déjà les potentielles applications pour l'invention de Vázquez. D'après Jordi Morató Farreras, coordinateur de la Chaire UNESCO pour la durabilité à l'Université Polytechnique de Catalogne, la technologie pourrait être utilisée par d'autres destinations protégées.

    L'oxygénation d'un lac en Colombie et la décontamination des terres agricoles dans l'État de Puebla ne sont que deux des nombreuses idées émises par la communauté scientifique.

    Cela ferait la fierté des habitants de Mexico. « La première fois que je suis venue à Xochimilco, il y a huit ans, j'ai été surprise par la quantité de trajineras, la couleur de l'eau et le niveau de pollution, » me confiait Gabriela Vianey, une enseignante locale, lors de notre trajet à bord de la trajinera prototype. « Je ne savais rien du projet de Vázquez avant aujourd'hui. J'espère que Xochimilco sera encore là quand mes petits-enfants seront en âge de l'apprécier.»

    Sarah Freeman est une journaliste basée au Royaume-Uni qui s'intéresse au voyage écoresponsable. Retrouvez-la sur Instagram.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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