Antarctique : près de la Barrière de Ross, la glace cristallise mais ne fond pas

Des capteurs ont été placés afin de saisir les transformations subies par la glace sur le long terme, dont les conséquences sur le niveau des eaux pourraient être majeures.

De Douglas Fox
Près de la Barrière de Ross, la glace cristallise mais ne fond pas

Des scientifiques ont analysé l'une des régions océaniques les moins explorées au monde, située au large des côtes de l'Antarctique de l'Ouest. Enfermées sous une couche de glace plus vaste que l'Espagne et de plus de 300 mètres d'épaisseur, ses eaux sont en permanence plongées dans l'obscurité et sont extrêmement difficiles d'accès pour les hommes. Une équipe de chercheurs vient de creuser une ouverture dans la glace et a prélevé un échantillon de l'océan sous sa surface. Leurs travaux nous permettraient de mieux comprendre un sinistre épisode du passé récent de l'Antarctique, jusqu'ici peu étudié.

Une équipe de scientifiques néo-zélandais a entrepris cette expédition de deux mois en novembre. Un avion Twin Otter monté sur ski les a conduit à 355 kilomètres de la base la plus proche, au beau milieu de la barrière de Ross, immense barrière de glace et de neige aussi plane et déserte qu'une prairie, qui flotte sur l'océan au large des côtes de l'Antarctique occidental. Sous l'éclat du soleil d'été qui ne se couche jamais et perce le brouillard, ils ont conçu une machine aussi grande qu'une automobile, constituée de tuyaux, de lances à eau et de chaudières.

Un puissant jet d'eau chaude a émané de cette machine afin de faire fondre deux puits étroits de quelques centimètres de diamètre, situés à plus de 335 mètres sous la glace. Ils y ont ensuite fait descendre des caméras et d'autres outils jusqu'aux eaux souterraines. Ils espéraient ainsi trouver des réponses à une question de portée mondiale : la glace de l'Antarctique de l'Ouest est-elle stable ?

L'inlandsis de l'Antarctique occidental atteint plus de 3 000 mètres d'épaisseur à certains endroits. Il se trouve dans une large cuvette plongée à des milliers de mètres sous le niveau de la mer, le rendant vulnérable aux courants océaniques chauds et profonds qui grignotent déjà ses contours. Il doit sa stabilité, tout au moins pour le moment, à plusieurs plateformes de glace flottante au large de ses frontières, dont la barrière de Ross est de loin la plus grande. Ces plateformes de glace font office de contrefort : « Elles retiennent une énorme quantité de glace », explique Craig Stevens, océanographe au National Institute of Water and Atmospheric Research de Nouvelle-Zélande, qui a participé à l'expédition.

À l'échelle mondiale, le niveau de la mer augmenterait de trois mètres si l'Antarctique occidental venait à perdre ces précieuses barrières et déversait sa glace dans l'océan. Les scientifiques craignent que certaines de ces plateformes de glace ne soient déjà en train de s'affaiblir. En mesurant la température de l'eau et les courants océaniques sous-jacents, déterminant ainsi la vitesse à laquelle fondent les glaces cachées, l'océanographe et ses collègues souhaitaient évaluer l'état de santé de la barrière de Ross.

PHOTOGRAPHIE DE Herbert G. Ponting, National Geographic Creative

 

DES DÉCOUVERTES ÉTONNANTES

Les scientifiques ont été surpris dès l'introduction d'une caméra dans le premier forage, le 1er décembre dernier. La face inférieure des plateaux de glace est généralement lisse à cause de la fonte progressive. Or, la traversée de la caméra jusqu'au fond du forage a montré une face inférieure couverte d'une couche scintillante de cristaux de glace lisses, comme un amas de flocons de neige. Une preuve qu'à cet endroit précis, l'eau de mer gèle la base de la glace plutôt que de la faire fondre.

« Nous sommes restés bouche bée », raconte Christina Hulbe, glaciologue à l'université d'Otago, en Nouvelle-Zélande, qui a co-dirigé l'expédition. Pour l'heure, la barrière de Ross est considérée comme plus stable qu'un grand nombre de plateformes de glace flottantes de l'ouest de l'Antarctique. Une explication se dessine suite à cette observation : le gel de plusieurs centimètres d'eau de mer à intervalles réguliers sur la face inférieure de la glace pourrait ralentir son amenuisement.

Le forage des trous de la barrière de Ross est également une percée vers l'inconnu. Sous le plateau de glace « se cache une étendue océanique immense, du volume de la mer du Nord entre l'Angleterre et la Norvège », explique la glaciologue, « or, aucune mesure n'y est faite ».

Les profondeurs de la barrière de Ross n'ont été forées qu'à deux reprises par les hommes afin d'étudier l'océan sous sa surface. En 1977, des chercheurs avaient percé le plateau de glace à près de 500 kilomètres de son littoral (environ 130 kilomètres à l'intérieur des terres des cavités actuelles). En 2015, une équipe a foré l'angle arrière de la plateforme, à plus de 800 kilomètres de sa façade maritime. Ces études, s'étalant sur quelques jours voire quelques heures, n'ont permis d'entrevoir que brièvement la circulation de l'eau chaude et profonde sous la banquise.

 

UN REGARD VERS L'AVENIR

Cette fois, l'équipe néo-zélandaise a disposé des capteurs dans l'une des excavations afin de tracer les courants océaniques et la température de l'eau sous la glace au cours des deux années à venir. Les informations ainsi recueillies seront ensuite transmises par satellite. Selon Stevens, il est essentiel de comprendre le fonctionnement de ces courants, car « si nous n'appréhendons pas correctement leur circulation, nous aurons des informations erronées sur la fonte ».

Ce nouveau projet pourrait également faire la lumière sur certaines hypothèses persistantes ; si la barrière de Ross semble stable aujourd'hui, elle a subi des effondrements massifs dans un passé récent.

Reed Scherer l'a découvert en 1998 grâce à l'étude d'une boue prélevée sous la calotte glaciaire de l'Antarctique de l'Ouest, dans un autre trou de sonde situé à 160 kilomètres du bord arrière du plateau de glace.

Scherer, aujourd'hui micropaléontologue à l'université de Northern Illinois, à DeKalb, aux États-Unis, y a décelé une multitude de coquilles de diatomées microscopiques, de superbes objets transparents semblables à de jolis vases. Il s'agissait des fossiles d'organismes photosynthétiques ayant autrefois prospéré dans la mer avant de mourir et de se fixer sur le fond.

Certains de ces diatomées morts ne remontaient qu'à quelques centaines de milliers d'années, menant le paléontologue à une conclusion étonnante : cette région, aujourd'hui recouverte de près d'un kilomètre de glace, était autrefois en pleine mer, baignée par la lumière du soleil favorisant la croissance des diatomées. En d'autres termes, l'intégralité de la barrière de Ross ainsi que la majorité de la glace derrière s'étaient effondrées.

La barrière de Ross « s'est probablement effondrée et reformée à de nombreuses reprises au cours du dernier million d'années », explique-t-il. Son effondrement a vraisemblablement eu lieu lors d'une période chaude, il y a 400 000 ans. Selon le paléontologue, il se pourrait qu'elle se soit également écroulée pas plus tard qu'il y a 120 000 ans, dernière date à laquelle les températures étaient à peu près aussi élevées qu'aujourd'hui.

Les travaux des chercheurs néo-zélandais pourraient élucider cette question. En décembre, sous les rayons du soleil d'été, un cylindre recouvert de boue grise luisante a été extrait de la cavité — une carotte prélevée au fond de la mer, à environ 730 mètres sous le site de forage. L'analyse de cette boue par les scientifiques pourrait conduire à la découverte d'autres diatomées. Soit une nouvelle opportunité d'étudier cette région à l'époque où elle ne présentait aucune parcelle de glace : « Je suis très curieux de savoir ce que vont découvrir les Néo-Zélandais », se réjouit d'avance Reed Scherer.

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