Au Groenland, des déchets toxiques s'échappent d'une ancienne base nucléaire

Bluie East Two était en 1941 une base de l'U.S. Air Force. Mais pourquoi existe-t-elle toujours ?

De Hannah Lang
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La base de Bluie East Two, située à l'est du Groenland, a été abandonnée en 1947. Tout a été laissé en l'état, notamment plus de 10 000 barils d'essence. À l'époque, l'essence utilisée était à base de plomb et était bien plus toxique que celle utilisée de nos jours.
PHOTOGRAPHIE DE Ken Bower

Les milliers de barils oranges rouillés qui jonchent l'île d'Ikateq, au Groenland, ont été surnommés les « fleurs américaines » par les habitants. De loin, lors d'une journée ensoleillée, les vestiges vieux de 70 ans s'apparentent en effet à des champs de soucis. En réalité, il s'agit de souvenirs toxiques de la deuxième guerre mondiale.

Établie en 1941 par la U.S. Air Force à Ikateq, au Groenland, la base Bluie East Two est le fruit d'un accord entre les États-Unis et le Danemark. Ce dernier a revendiqué la possession du Groenland au début du 18e siècle. La base a été abandonnée après la guerre, en 1947.

Selon un homme qui aurait servi sur cette base, l'armée américaine a laissé des bâtiments en ruines remplis d'amiante, d'innombrables barils de kérosène au plomb, des camions en métal oxydés et peut-être même des centaines de caisses de dynamite prêtes à exploser.

 

DES BASES LAISSÉES À L'ABANDON

D'après Inuuteq Holm Olsen, représentant du Groenland à l'ambassade des États-Unis au Danemark, Bluie East Two n'est rien de plus que l'une des 30 bases militaires américaines construites durant la seconde guerre mondiale ou la guerre froide au Groenland puis abandonnées par la suite.

Aux yeux des Groenlandais, ces bases en décomposition sont un souvenir amer d'un accord pour lequel ils n'ont pas été consultés, menaçant potentiellement leur mode de vie. En effet, ce n'est qu'en 1979 que le Danemark a accordé au Groenland son autonomie partielle. Selon Inuuteq Holm Olsen, de nombreux Groenlandais vivent de chasse et de pêche ; or, il n'existe aucune façon de savoir ce qui a été pollué.

Les véhicules militaires figurent parmi les nombreux débris laissés à l'abandon par l'armée américaine sur la base de Bluie East Two à l'est du Groenland.
PHOTOGRAPHIE DE Ken Bower

« Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils sont écœurés », a-t-il déclaré. « Nous mettons tous un point d'honneur à apprendre à nos enfants qu'ils ne doivent pas jeter de déchets dans la nature et qu'il faut faire attention à ce que l'on laisse dans l'environnement. »

 

LE DÉSHERBAGE DES FLEURS AMÉRICAINES

Ken Bower, un photographe américain, s'est rendu à Ikateq en 2014 et en 2015 après avoir entendu parler de cette base par des amis en Islande. Il a décidé d'en immortaliser les débris.

« Cela a été un choc de constater la quantité de débris et le fait qu'ils soient toujours là, 70 ans plus tard », a-t-il expliqué.

Ses images ayant connu un certain succès sur Internet l'année dernière, le photographe a lancé une pétition en ligne demandant aux États-Unis de se débarrasser de Bluie East Two. La pétition a reçu à ce jour plus de 36 000 signatures.

« L'environnement de mon pays me préoccupe », a écrit l'un des signataires. « Les États-Unis doivent nettoyer les immondices qu'ils ont laissés. »

Si la pétition n'a pas atteint les 100 000 signatures requises pour atterrir à la Maison Blanche, elle a malgré tout été consultée par le Parlement danois en juin dernier. Les législateurs danois ont signé une lettre d'intention indiquant que 150 millions de couronnes (soit un peu plus de 20 millions d'euros) seraient alloués au Groenland sur cinq ans pour le nettoyage de plusieurs anciennes bases militaires américaines.

« Le fait que le Danemark se soit saisi du sujet est positif en soi », a reconnu Inuuteq Holm Olsen.

Il n'en demeure pas moins qu'un accord officiel doit encore être signé et négocié et que l'engagement des États-Unis dans ce processus demeure un problème non résolu, a-t-il souligné.

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    ROUGE, BLANC ET BLUIE

    Une clause figurant dans l'accord initial qui a permis aux États-Unis de construire des bases militaires au Groenland les dispenserait de toute responsabilité quant au processus de dépollution. L'article 11 de l'accord stipule que le gouvernement américain peut se débarrasser de l'équipement et des installations au Groenland après avoir consulté les autorités danoises.

    Le Groenland a déjà fait appel aux États-Unis de cette législation lors de l'affaire Camp Century, un centre de recherche nucléaire construit pendant la guerre froide et qui abritait un programme de sites de lancement de missiles nucléaires situés sous la calotte glaciaire. Selon une nouvelle recherche, le changement climatique et la fonte des glaces libéreraient des déchets, dont du biphényle polychloré toxique, qui étaient conservés dans le camp.

    En octobre dernier, Vittus Qujaukitsoq, ancien ministre des Affaires étrangères du Groenland, a déclaré dans une lettre publiée dans le journal danois Berlingske que le Groenland demandait depuis 2014 au Danemark des informations relatives aux éventuels impacts de cette pollution sur la santé et la sécurité des futures générations de Groenlandais. Selon lui, cet appel est resté lettre morte.

    Inuuteq Holm Olsen estime que les déchets laissés sur la base de Bluie East Two sont susceptibles d'avoir des effets néfastes sur la santé et l'environnement mais qu'il est difficile d'en avoir le cœur net, la question ne faisant pas l'objet de recherches ou d'un suivi.

    Les représentants de la U.S. Air Force et du département d'État des États-Unis ont déclaré qu'ils n'avaient aucune information au sujet de bases militaires abandonnées au Groenland.

    Toutefois, d'autres pays gardent désormais un œil sur ces bases. Pas plus tard que l'année dernière, une société minière chinoise a émis une proposition de rachat d'une base navale abandonnée, autrefois connue sous le nom de Bluie West Seven. Le Danemark a décliné l'offre afin de préserver ses relations diplomatiques avec les États-Unis.

    Quant à l'avenir de Bluie East Two, seul le temps nous le dira. « Trop d'incertitudes et de questions sans réponse demeurent », a déploré le représentant.

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