Ce qu'un simple test psychologique révèle sur le changement climatique

Si le succès commun dépendait de votre savoir, le partageriez-vous ou feriez-vous preuve d'égoïsme ?

De Dylan Selterman
Pour illustrer la « tragédie des communs » (le fait que les ressources collectives s'épuiseront si ...
Pour illustrer la « tragédie des communs » (le fait que les ressources collectives s'épuiseront si des individus en prélèvent une trop grande part) le photographe Hugh Kretschmer a choisi de montrer un homme savourant une boisson en stockant toute l'eau disponible, dans un paysage désertique.
PHOTOGRAPHIE DE Hugh Kretschmer
Cet article est paru dans le numéro de juin 2018 du magazine National Geographic.

J'enseigne la psychologie aux États-Unis, à l'université du Maryland. Mes cours attirent des étudiants de premier cycle ayant des centres d'intérêts divers, mais chacun tend l'oreille quand je pose la question suivante : aimeriez-vous avoir deux ou six points supplémentaires sur votre dissertation de fin de semestre ?

J'explique à mes étudiants que cette offre s'inscrit dans le cadre d'une étude sur l'interconnexion des choix individuels au sein d'un groupe. L'exercice s'inspire d'une conférence que l'écologiste Garrett Hardin a donné il y a cinquante ans, dans laquelle il décrivait ce qu'il appelait « la tragédie des communs ». Il y développait l'idée que, quand de nombreux individus agissent dans leur seul intérêt, sans égard pour la société, les conséquences peuvent être catastrophiques. Garrett Hardin utilisait le concept de « communs » tel qu'accepté au 19e siècle - ce terme décrivait des pâturages partagés par des villageois - pour mettre en garde contre la surexploitation des ressources collectives.

J'espère que mes étudiants saisiront la relation entre l'exercice auquel ils vont se plier, les thèses de Hardin et les défis environnementaux actuels.

Ils peuvent choisir de recevoir soit deux soit six points supplémentaires sur leur copie. Mais, si plus de 10 % des participants optent pour avoir six points de plus, aucun étudiant du cours n'aura de point. Les points supplémentaires sont l'équivalent de l'eau, du carburant, des pâturages (dans l'analyse de Hardin) ou des ressources naturelles. 

Selon certaines théories économiques libérales, si chacun aspire au maximum de profit personnel, les sociétés prospèrent. Suivant cette logique, le choix rationnel des étudiants devrait être d'obtenir six points, tout comme le choix rationnel des villageois devrait être d'utiliser autant de pâturages que possible. Pourtant, quand chacun choisit cette voie, les ressources communes sont surexploitées et les sociétés se retrouvent face à des problèmes tels que les surplus alimentaires, la pénurie d'eau ou le changement climatique. 

 

UNE SOLUTION POURTANT ÉVIDENTE

Une solution semble évidente : que chacun modère sa consommation et l'avenir sera durable. Comme disent nombre de mes étudiants : « Si chacun prend deux points, nous aurons tous des points. » Et pourtant, pendant les huit première années de pratique de cet exercice, seule une classe sur plus d'une vingtaine est restée sous le seuil des 10 %. Toutes les autres ont échoué.  

En 2015, l'un de mes élèves a tweeté, au sujet de cet exercice, « QUEL GENRE DE PROF FAIT ÇA ? ». Sa plainte a fait le tour des réseaux sociaux, provoquant des commentaires partout dans le monde : le fait que tant de gens choisissent les six points signifie-t-il que la cupidité et l'égoïsme sont dans la nature humaine ?

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    En réalité, non. Mais il est très délicat de faire coopérer les gens, en particulier dans de vastes groupes où ils ne se connaissent pas. Après tout, si quelqu'un en prend plus pour son usage personnel (par exemple, s'il utilise plus d'eau ou s'il choisit d'obtenir six points de plus), pourquoi pas moi ? Mais si nous pensons tous ainsi, à la fin nous perdrons tous.

    Garrett Hardin croyait que l'éducation pourrait faire la différence : si nous apprenons aux gens qu'il y a des conséquences à trop prendre, ils se limiteront.

    Cette idée m'a toujours laissé sceptique. Quand le tweet de mon élève a circulé, des collègues m'ont dit que je ne pourrais plus utiliser l'exercice parce que son fonctionnement était désormais connu. J'ai ri. Si seulement c'était aussi simple ! Mes doutes étaient fondés. Malgré la publicité autour de l'exercice, mes étudiants continuent d'échouer à obtenir des points supplémentaires. 

    Je reste néanmoins optimiste. Car la majorité de mes élèves, environ 80 %, choisissent d'avoir deux points de plus - tout comme la plupart des gens choisissent de coopérer en situation réelle. Nous sommes une majorité à vouloir bien faire, mais cela reste insuffisant ; nous devons chercher des idées innovantes et utiliser les sciences comportementales pour trouver des solutions.

    En 2016, dans l'espoir d'améliorer la coopération entre les élèves, j'ai introduit une troisième option, inspirée de la littérature scientifique sur les groupes sociaux : les étudiants pouvaient désormais choisir entre deux points, six points et zéro point. Oui. Zéro point. Pour chaque élève choisissant zéro point, un partisan des six points (sélectionné au hasard) perdrait tout, réduisant d'une unité le nombre total de ceux ayant choisi six points.

    L'option zéro point est auto-sacrificielle ; des étudiants renoncent délibérément à leurs points pour aider le groupe, en contenant ceux qui en prennent trop. Dans les expériences sur le comportement, ce type d'action est appelé « punition altruiste », une expression inventée par les économistes Ernst Fehr et Simon Gächter. 

    En général, chaque semestre, quelques élèves choisissent l'option zéro point et cette poignée d'individus peut faire une énorme différence : par leur sacrifice, ils peuvent faire passer le nombre de partisans des six points sous le seuil des 10 %. Désormais, à peu près une classe sur deux reçoit les points supplémentaires. De mon point de vue, c'est un revirement remarquable. D'autant que certaines classes ont atteint ce résultat sans que personne n'ait choisi l'option zéro point ; le seul fait de savoir qu'elle existait a suffi à renforcer la coopération entre les élèves.

    Bien que ce type de solutions fonctionne à l'échelle réduite d'une salle de cours, n'aurons-nous pas besoin d'actions beaucoup plus importantes pour infléchir des problèmes mondiaux comme le changement climatique ? Certes, mais le principe reste le même : il faut agir collectivement et réduire la surconsommation. Par exemple, j'ai récemment proposé mes services au Lobby climatique des citoyens (CCL) une organisation américaine qui promeut une politique de taxes et de dividendes sur le carbone. Son idée est d'établir une taxe progressive sur les énergies fossiles et de redistribuer l'argent récolté aux foyers (pour protéger les familles contre l'augmentation des coûts)

    Au final, en rendant plus chère l'utilisation d'énergies fossiles, la mesure en réduirait la consommation, ce qui bénéficierait à la fois à nos porte-monnaie et à l'environnement. Au CCL, les bénévoles, rencontrent des législateurs et mènent des campagnes de sensibilisation sur le terrain.

    J'écris ces mots, installé à côté de ma fille, Amelia, qui a 3 mois. Bien que la planète soit confrontée à des défis gigantesques, je suis déterminé à offrir à mon enfant un futur radieux. Je veux croire que l'action menée même par un petit groupe d'individus peut faire une différence notable. Quelques étudiant peuvent aider des centaines de condisciples à progresser sur cette trajectoire. Quelques personnes qui recyclent ou compostent peuvent avoir un effet de contagion sur d'autres. Les votes de quelques politiciens peuvent modifier des politiques nationales et internationales qui concernent des millions de gens.

    Ce que Garrett Hardin décrivait il y a 50 ans reste d'actualité : notre survie dépend de la préservation des biens communs par chacun de nous et par nous tous. Je choisi de me le rappeler avec ces mots sages et optimistes des Beatles : « Le monde est un cadeau d'anniversaire. Alors prends-en une part. Mais pas trop grosse. »

     

    Dylan Selterman est professeur de psychologie à l'Université du Maryland, et ancien rédacteur en chef du magazine de psychologie In-Mind. 

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