Le mystère de la "langue froide" du Pacifique

Près d’un tiers de l’océan Pacifique tropical refroidit, alors que tout autour, la planète se réchauffe. Un phénomène que les modèles de prévisions n’avaient pas anticipé, et qui intrigue les scientifiques.

De Manon Meyer-Hilfiger
Publication 28 sept. 2023, 13:23 CEST
Sous la surface de l'eau, on aperçoit le fond rocheux et un récif corallien. Le ciel ...

Sous la surface de l'eau, on aperçoit le fond rocheux et un récif corallien. Le ciel bleu parsemé de nuages est visible au-dessus de la ligne de flottaison. Huahine, océan Pacifique, Polynésie française.

PHOTOGRAPHIE DE Seaphotoart / Alamy Banque D'Images

Toute la planète se réchauffe à un rythme alarmant... Toute ? Non. Près d’un tiers de l’océan Pacifique au large du Pérou et de l’Équateur refroidit, défiant les modèles climatiques. Pourquoi donc ? Pour l’instant, ce phénomène reste un mystère. 

« Pendant longtemps, nous pensions que ce refroidissement n’était qu’une phase. Il faut comprendre les scientifiques : cette zone-là, est naturellement froide, on la surnomme d’ailleurs la "langue froide", et les variations de températures dans le Pacifique sont fréquentes » détaille Pedro DiNezio, climatologue à l’université du Colorado et spécialiste de cette région. Les cycles El Niño et La Niña, qui font varier les températures du Pacifique environ tous les cinq ans, en attestent. Sauf qu’ici, cela fait quarante ans que cette zone se refroidit. Difficile de comprendre alors que les modèles prévoyaient un réchauffement global de la température du Pacifique. Est-ce naturel ? Un changement provoqué par les activités humaines ? Le comprendre est crucial : cette zone influence près de deux tiers du climat de notre planète.

Au beau milieu de ces questions sans réponses, quelques certitudes demeurent.  Avec ce contraste de plus en plus poussé entre cette « langue froide » qui se refroidit depuis quarante ans et le reste de l’océan qui se réchauffe, les alizées gagnent en puissance (ce sont les différences de températures qui créent les vents). Conséquence : ces vents poussent plus d’eau contre les côtes des îles du Pacifique tropical, comme les îles Tuvalu et les îles Marshall. Le niveau de la mer s'y élève ainsi trois fois plus rapidement que dans le reste du monde. « C’est colossal ! Certes, le phénomène peut sembler lointain. Pour vous donner un équivalent, c’est comme si l’on vous disait que les températures en Europe allaient augmenter trois fois plus rapidement que prévu » souligne le climatologue. 

Autre conséquence : les ouragans dans l’Atlantique se multiplient, tout comme les sécheresses dans la Corne de l’Afrique et sur le continent américain, notamment au Chili et aux États-Unis. Si la langue froide continue de se refroidir, alors ces phénomènes s’intensifieront. Autre cas de figure : si cette zone se met à se réchauffer brutalement, comme le reste de la planète, alors il faut s’attendre à une multiplication des feux de forêts en Australie et en Indonésie, des vagues de chaleur extrêmes dans le sous-continent indien, toujours plus de blanchissement des récifs coralliens… Pedro DiNezio parle de ce mystère comme de « la question en suspens la plus importante de la science du climat ».

Rares images du trou bleu de la Grande barrière de corail

Pour enfin apporter une réponse à ce phénomène qui intrigue les scientifiques, plusieurs hypothèses sont à l’étude. L’une d’elles expliquerait ce mystérieux refroidissement par le trou dans la couche d’ozone et les réactions en cascade qu’il entraîne : des vents plus violents autour de l’Antarctique, qui remueraient les eaux des profondeurs glacées. Elles remonteraient alors à la surface et iraient jusqu’aux tropiques. Dans ce cas-là, ce refroidissement serait bien dû aux activités humaines, puisque le trou dans la couche d’ozone est causé par des substances chimiques souvent présentes dans les climatiseurs, les réfrigérateurs ou encore les pompes à chaleur.

Reste à confirmer ou à infirmer l’hypothèse. Et pour cela, les scientifiques doivent travailler avec de nouveaux outils. « Jusqu'à présent, nous avons œuvré avec des modèles qui divisent la planète en carrés de 100 km par 100 km. Cependant, cette "résolution" (comme pour les pixels) est trop faible pour simuler les "vortex océaniques", c'est-à-dire les tourbillons de l'océan qui contribuent à mélanger et à déplacer la chaleur. Les modèles climatiques actuels ne semblent pas non plus représenter pleinement la façon dont les vents interagissent avec les côtes et la cordillère des Andes, par exemple», explique Pedro DiNezio. Les climatologues ont beau utiliser les ordinateurs les plus puissants du monde, ces derniers n'ont, jusqu’ici, pas été en mesure de produire le niveau de détail nécessaire pour simuler ces phénomènes. 

« Les modèles ont toujours été extrêmement utiles et pertinents pour prévoir le changement climatique. Il est important de le souligner. Mais cette fois-ci, nous leur demandons des prévisions d'une complexité sans précédent » détaille le chercheur. 

Aujourd’hui, simuler ces phénomènes climatiques avec plus de précision est possible, mais étant donnée la puissance de calcul demandée, chaque essai est très coûteux. « Nous devons agir avec prudence et bien réfléchir à chacune de nos hypothèses avant de les tester» explique Pedro DiNezio. Dans ces conditions, le mystère de la « langue froide » pourra-t-il être bientôt éclairci ?  Les scientifiques l'espèrent et sont à l'ouvrage.

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