Comment le Protocole de Montréal a (presque) sauvé la couche d’ozone
Dans les années 1980, les scientifiques ont découvert l’existence d’un trou dans la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique. Face à l’urgence, la communauté internationale a réagi : le 16 septembre 1987, le Protocole de Montréal a été signé.

Vue de la Terre depuis la Station spatiale internationale. Les données satellitaires ont permis de détecter les premiers trous dans la couche d'ozone, puis de suivre leur évolution, une fois le protocole de Montréal adopté.
Le 16 septembre dernier, à l’occasion du 38ᵉ anniversaire du Protocole de Montréal, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) des Nations unies s’est félicitée du rétablissement progressif de la couche d’ozone. Depuis les années 2000, le trou découvert dans les années 1980 a commencé à se résorber lentement et devrait disparaître complètement au cours des prochaines décennies.
Au-dessus de nos têtes, dans la stratosphère, l’ozone se concentre à 15 à 35 km d’altitude selon les latitudes, formant un bouclier vital pour la vie sur Terre. « L’ozone est un gaz très important pour la vie sur Terre, parce que c’est lui qui nous protège du rayonnement ultraviolet [B émis par le] Soleil », rappelle Sophie Godin-Beekmann, directrice de l’Institut Pierre-Simon Laplace. Un composant essentiel donc, mais présent en très faibles quantités. « On trouve au maximum six à dix molécules d’ozone par million de molécules d’air », précise-t-elle.
Dans la seconde moitié du 20e siècle, cet équilibre fragile a été rompu par les émissions de chlorofluorocarbures (CFC), des composés chlorés produits par l’industrie chimique et largement utilisés dans la réfrigération, la climatisation, les aérosols ou encore les mousses isolantes. Leur dégradation dans l’atmosphère a provoqué l’amincissement de la couche d’ozone et l’apparition de trous saisonniers dans les régions polaires, dont un particulièrement vaste au-dessus de l’Antarctique. « Si l’ozone ne filtre plus, ou si sa capacité à filtrer ce rayonnement UV est diminuée, il y a un risque important pour les populations humaines de cancers de la peau, de problèmes oculaires, de cataractes. Les rayonnements ultraviolets peuvent aussi atteindre l’ADN des cellules », explique la chercheuse.
Dès les années 1970, les premières alertes scientifiques mettent en évidence le rôle destructeur des CFC sur la couche d’ozone. Elles aboutiront en 1987 à la signature du Protocole de Montréal par vingt-quatre États, sous l’impulsion des États-Unis. Ce traité, qui réglemente l’usage des CFC, a permis d’éliminer plus de 99 % des substances responsables de l’appauvrissement de la couche d’ozone. Si les politiques actuelles sont maintenues, la couche d’ozone devrait retrouver son niveau de 1980 d’ici 2045 au-dessus de l’Arctique, 2066 au-dessus de l’Antarctique, et dès 2040 dans le reste du monde.
LE TOURNANT DE 1985
En 1957 et 1958, lors de l’Année géophysique internationale, les chercheurs du British Antarctic Survey entreprennent pour la première fois de mesurer l’épaisseur de la couche d’ozone en Antarctique. Ces observations sont poursuivies tout au long des années 1960 et 1970. L’équipe britannique constate qu’au cours du printemps polaire (septembre-octobre), les valeurs d’ozone enregistrées deviennent anormalement faibles.
Après avoir vérifié leurs instruments, les chercheurs confirment le phénomène et publient en 1985 un article resté célèbre dans la revue Nature, signé par Farman, Gardiner et Shanklin. Pour la première fois, il met en évidence un trou saisonnier dans la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique, suscitant une vive inquiétude dans la communauté scientifique. « Cet article faisait état de cette destruction et la mettait en corrélation avec l’augmentation de l’abondance des composés chlorés dans la stratosphère », explique Sophie Godin-Beekmann.
Pourtant, la menace des émissions de CFC avait déjà été évoquée dans les années 1970. « Il y avait déjà eu des alertes sur la possibilité que les activités humaines puissent détruire la couche d’ozone », rappelle la chercheuse. L’industrie chimique avait commencé à chercher des substituts et certains pays avaient interdit les bombes aérosols contenant des produits chlorés. Mais l’inquiétude était vite retombée : les modèles atmosphériques disponibles à l’époque laissaient penser que la destruction de l’ozone par ces gaz se produisait surtout vers 40 km d’altitude, une zone où l’ozone est naturellement peu abondant. Le risque paraissait donc limité et l’usage des CFC s’était poursuivi massivement.
Même si les chercheurs n’en comprenaient pas encore précisément le mécanisme chimique, la découverte de 1985 a marqué ainsi un tournant décisif et contredit l’état des connaissances de l’époque : plus tôt dans l'année, un rapport international de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) dressait en effet un bilan rassurant, sans anticiper l’apparition d’un trou aussi vaste. Toujours en 1985, vingt-huit États ont adopté la Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone. Bien que non contraignante, elle était le premier engagement collectif des pays signataires à préserver l’intégrité de ce bouclier vital.

Relevés satellites de l'état de la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique par le satellite IASI. Selon les scientifiques, la zone bleue signalant une faible concentration atmosphérique en ozone devrait retrouver des teintes jaunes/vertes d'ici trente à quarante ans.
Après 1985, la NASA a repris l’analyse des données satellites qu'elle avait collectées au début des années 1980. « Elle a réévalué ses observations satellites qui n’avaient pas détecté les premiers trous d’ozone parce que les données étaient initialement considérées comme erronées », précise la chercheuse. En réalité, les observations de l'agence spatiale révélaient déjà une chute massive de l’ozone au-dessus de l’Antarctique. Pour confirmer et mieux comprendre ce phénomène, la NASA a lancé en 1986 et 1987 de vastes campagnes de mesures en Antarctique, à l’aide d’avions de recherche.
« Au mois d’août, pendant l’hiver polaire, les quantités d’ozone restaient stables, mais [les scientifiques] ont observé une augmentation très importante du monoxyde de chlore dans le vortex polaire », explique Sophie Godin-Beekmann. Ce composé est issu de la dégradation des CFC dans la stratosphère.
« Au mois de septembre, [les chercheurs] ont observé une anti-corrélation entre l'ozone et le monoxyde de chlore », poursuit-elle. Ce dernier augmentait toujours mais en même temps, la quantité d’ozone diminuait. Ces observations ont fourni, selon la spécialiste, « une preuve très importante que la destruction d’ozone était liée à la présence de monoxyde de chlore ». Comme les scientifiques savaient déjà que les CFC avaient provoqué une multiplication par cinq de l’abondance des composés chlorés dans la stratosphère, « cela a été assez décisif pour passer ensuite à l’action », souligne la spécialiste. C’est ainsi que le Protocole de Montréal est adopté en 1987, prévoyant d’abord une réduction progressive puis l’interdiction totale des CFC.
UN MODÈLE À SUIVRE
Comme le rappelle Sophie Godin-Beekmann, « l’idée centrale de ce protocole était de proposer des substituts [aux CFC] moins nocifs pour la couche d’ozone. Il y [en] a eu deux gammes : d’abord les HCFC, qui sont moins destructeurs mais continuent d’affecter un peu l’ozone, puis les HFC, qui eux ne détruisent plus du tout la couche d’ozone ».
Plusieurs facteurs expliquent le succès du traité. D’abord, « c’est un protocole conçu comme étant "science-driven" », c’est-à-dire guidé par la science et s'appuyant en permanence sur les connaissances les plus récentes. Le texte prévoit notamment la publication d’un rapport d’évaluation sur l’état de la couche d’ozone tous les quatre ans, afin de déterminer s’il est nécessaire de renforcer ou d’assouplir les mesures. Le plus récent a été publié en 2022.
« Initialement, les mesures de réglementation ne conduisaient pas à la diminution des composés chlorés dans la stratosphère. Il y avait un ralentissement de l'augmentation, mais pas une diminution. Les différentes campagnes de mesures qui ont eu lieu par la suite ont permis d'affiner la compréhension des processus de destruction d'ozone », ce qui a justifié un durcissement progressif du traité. Amendé à cinq reprises, celui-ci a d’abord limité la production et la consommation de CFC, avant de les interdire totalement : dès 1996 dans les pays développés, puis en 2010 dans les pays en développement.
« L'autre succès de ce protocole, c'est [l’instauration] d’une responsabilité différenciée entre les pays : les principaux fabricants et émetteurs de ces gaz étaient considérés comme responsables », et devaient donc appliquer des mesures plus strictes. Pour accompagner les pays en développement dans leur transition, un Fonds multilatéral a été mis en place en 1991, financé par les pays les plus riches et doté d’environ quatre milliards de dollars. « C’est un exemple très important de coopération internationale, de dialogue entre les pays développés et les pays en développement », assure la chercheuse.
À ce jour, le Protocole de Montréal est considéré comme l’accord environnemental le plus efficace, avec des bénéfices dépassant largement la seule protection de la couche d’ozone. Les CFC étant aussi de puissants gaz à effet de serre, leur interdiction a eu un double effet positif : préserver l’ozone et limiter le réchauffement climatique. On estime qu’elle a permis d’éviter une hausse des températures d’environ 2,5 °C. L’amendement de Kigali, adopté en 2016, visait lui à réduire l’usage de leurs substituts, les HFC, également nocifs pour le climat.
Bien que le Protocole de Montréal constitue un exemple marquant de coopération internationale réussie face à une menace environnementale, ses enseignements sont difficilement transposables à la crise climatique. Sophie Godin-Beekmann rappelle que ce texte avait « un objectif limité : il agissait sur une industrie chimique précise et un type particulier de gaz ». Son efficacité s’explique donc par le fait que le problème était bien circonscrit et techniquement solvable, à la différence du changement climatique, qui touche l’ensemble des secteurs et reste beaucoup plus complexe à traiter. Elle souligne également que la notion de responsabilité différenciée, appliquée à Montréal, « a été évoquée dans les négociations climatiques, mais n’est pas acceptée par certains pays, en particulier les États-Unis ».
« Les mécanismes du Protocole de Montréal montrent qu’il est possible de trouver des solutions aux problématiques environnementales, si les gens sont de bonne volonté et si l’on sort du déni des impacts écologiques. Mais c’est une voie étroite, qui ne peut pas répondre à l’ensemble de la question climatique, car les émissions fossiles concernent tous les secteurs de la société [via] l’énergie. [Le protocole] fournit [néanmoins] des éléments d’actions qui peuvent fonctionner », conclut-elle.
UN ACCORD AUJOURD’HUI FRAGILISÉ ?
« Il faut savoir que [la reconstitution de la couche d’ozone] prend beaucoup de temps. Les gaz ont été massivement émis dans l’atmosphère et même si leur [production] a cessé, ils restent présents car leur durée de vie est très longue », rappelle Sophie Godin-Beekmann. C’est la raison pour laquelle, chaque année, « le trou d’ozone antarctique continue de se former, même si sa taille et sa profondeur n’augmentent plus ». Elle ajoute enfin que « certains gaz ne sont pas réglementés par le Protocole de Montréal, [comme] les gaz chlorés et bromés à courte durée de vie. [Ils] sont moins dangereux pour l’ozone, mais si l’industrie en augmente la production, une partie peut atteindre la stratosphère en quantité suffisante pour retarder le processus de guérison de la couche d’ozone ».
Dans le cadre de ce protocole, « on a réussi à maintenir pendant une trentaine d’années un dispositif de surveillance de l’ozone, combinant les mesures au sol, notamment en Antarctique, et les observations satellites. [Ce suivi, lancé] par pur intérêt scientifique, a finalement permis de révéler un problème majeur », constate la spécialiste. Ce système, longtemps soutenu par une coopération scientifique internationale, apparaît cependant aujourd’hui fragilisé.
« Actuellement, on assiste à [un certain] recul », explique-t-elle, « en particulier aux États-Unis sur la question de la surveillance des problèmes environnementaux. […] Ils sont en train de se retirer des négociations internationales pour le climat mais pour le protocole de Montréal, pour l'instant, ils sont toujours là. [...] On est un peu en attente de savoir si [le suivi de l'ozone] par le gouvernement américain va continuer. On n'a pas d'informations ». La réduction des contributions américaines au Fonds multilatéral laisse planer l’incertitude.
