Comment résoudre le problème des espèces invasives à travers le monde ?

À cause des perturbations infligées par l'Homme à la biosphère, certaines espèces franchissent en nombre les frontières des écosystèmes. Comment faire pour ralentir leur propagation ?

De Johnny Langenheim
Publication 19 janv. 2024, 16:36 CET
Depuis son arrivée dans l'est de la Méditerranée, le crabe bleu d'Atlantique menace les moyens de subsistance des communautés de pêcheurs, comme la moule ou la palourde. Serons-nous capables de construire une économie autour de cette espèce invasive ?

À notre connaissance, aucune autre espèce n'a eu d'impact aussi important sur la biosphère de notre planète que l'espèce humaine. Nous avons remodelé les milieux naturels, connecté le globe et altéré le climat, ce qui a déclenché une explosion d'espèces invasives qui perturbe l'équilibre des écosystèmes terrestres et marins à travers le monde. Pour le meilleur ou pour le pire, nous sommes les gardiens de la biodiversité de notre planète et nous devons rapidement mettre en œuvre des stratégies et des solutions visant à réduire notre impact. L'ONU s'est fixé l'année 2030 comme échéance pour ses objectifs de développement durable et collabore actuellement avec divers partenaires sur une multitude de projets afin d’y parvenir. SEA BEYOND est l'un de ces projets, un programme éducatif lancé en 2019 par le Groupe Prada et la Commission océanographique intergouvernementale de l'UNESCO (COI-UNESCO) pour éveiller les consciences sur les questions de durabilité et de préservation de l'océan à travers divers problèmes qui affectent nos océans, notamment celui des espèces invasives. Même s'il n'existe pas de remède miracle contre ces envahisseurs, plusieurs initiatives ont vu le jour pour atténuer leur impact, sur terre comme en mer. 

Un python birman. Après leur introduction aux États-Unis en tant qu'animaux de compagnie, ces super-prédateurs sont désormais présents à l'état sauvage en Floride. 

PHOTOGRAPHIE DE ADOBE STOCK

CHASSEURS DE SERPENTS EN FLORIDE

À quoi vous font penser les mots « Floride » et « reptiles » ? Aux alligators peut-être ? Et qu'en est-il du python birman ? Ces colosses qui peuvent atteindre cinq mètres de longueur ont été introduits aux États-Unis dans les années 1980 comme animaux de compagnie de luxe. Quarante ans de fugues et d’abandons plus tard, leur population a explosé et l'État compterait désormais entre cent mille et un million de serpents dans la nature. Ils ont subtilisé la place de l'alligator au sommet de la chaîne alimentaire et perturbent les écosystèmes fragiles de la région, comme l'emblématique parc national des Everglades, en s'attaquant à diverses espèces natives, parmi lesquelles le lynx, le raton laveur ou encore les opossums. Les vidéos d'affrontement entre le python et l'alligator ont inondé YouTube et, généralement, c'est le python qui l'emporte. Les autorités ont réagi en encourageant les chasseurs de python à capturer et à éliminer les serpents de façon humaine. Organisé chaque année par la Florida Fish & Wildlife Foundation (FFWF), le Florida Python Challenge est devenu un événement sportif majeur du calendrier de l'État, au cours duquel les chasseurs tentent de capturer le plus grand nombre de pythons pour avoir une chance de remporter les milliers de dollars de récompense. Parmi ses chasseurs les plus actifs, la Floride compte deux femmes : Donna Kalil, 61 ans, et sa protégée Amy Siewe, qui à elles seules ont déjà capturé des centaines de pythons. Reste à savoir si la chasse peut avoir un impact mesurable sur le contrôle de la population de cette espèce invasive. 

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    Un poisson-lion flotte au-dessus d'un récif corallien. Natifs du bassin Indo-Pacifique, ces prédateurs invasifs prolifèrent désormais dans les écosystèmes marins de l'Atlantique Sud. 

    PHOTOGRAPHIE DE ADOBE STOCK

    PÊCHEURS AU HARPON ET POISSONS-LIONS

    Avec ses épines acérées et ses zébrures emblématiques, le poisson-lion est l'une des créatures les plus flamboyantes des récifs coralliens. C'est également un redoutable prédateur. Jadis cantonnés au bassin Indo-Pacifique, les poissons-lions ont fait leur apparition dans l'Atlantique au milieu des années 1980. D'après les études génétiques, l'ensemble de la population atlantique descendrait de 10 spécimens introduits dans le sud de la Floride. L'espèce n'a pas tardé à coloniser les Caraïbes, le golfe du Mexique et l'Atlantique Ouest. En l'absence de prédateurs naturels dans cette région du monde, les poissons-lions sont devenus d'impitoyables chasseurs, faisant concurrence aux prédateurs natifs comme le mérou ou le vivaneau, dévorant les herbivores comme le poisson-perroquet qui nettoie les coraux de leurs algues et perturbant de plus belle l'équilibre des récifs de l'Atlantique déjà menacés par la surpêche et la pollution. Que faire contre ce fléau ? À ce jour, la meilleure solution reste de les manger. Le poisson-lion possède une chair délicate au goût raffiné, idéale pour préparer des plats comme le ceviche. Ils ne se laissent pas facilement prendre par un hameçon, il est donc préférable de les chasser en plongeant avec un harpon, un poisson à la fois. La Floride et certains pays des Caraïbes organisent des concours du meilleur chasseur, alors que certains restaurants n'hésitent pas à mettre le poisson-lion au menu. 

    Un moustique se nourrit de sang humain. Chaque année, plusieurs centaines de milliers d'humains succombent au paludisme, la maladie transmise par ces insectes, pour la plupart en Afrique subsaharienne. 

    PHOTOGRAPHIE DE ADOBE STOCK

    LE GÉNIE GÉNÉTIQUE CONTRE LE PALUDISME

    Les moustiques porteurs du paludisme comptent parmi les vecteurs de maladie les plus mortels de notre planète, avec plusieurs centaines de milliers de victimes chaque année. Native de l'Asie du Sud et de la péninsule Arabique, l'espèce de moustique Anopheles Stephensi a probablement parcouru le monde en embarquant clandestinement sur des navires marchands depuis le port de Djibouti, avec des effets particulièrement dévastateurs en Afrique où se produisent 96 % des décès liés au paludisme. Toutefois, la propagation du moustique ne va pas arrêter là. Sous l'effet du réchauffement climatique, les études estiment que 4,7 milliards d'humains supplémentaires pourraient être menacés par le paludisme et la dengue d'ici 2070, en Afrique mais également en Asie du Sud-Est, en Amérique et même en Europe. Des solutions comme les moustiquaires, les draps traités aux insecticides et l'éducation des communautés affectées sont efficaces lorsqu'elles sont mises en œuvre de manière appropriée.

    Cela dit, l'une des solutions les plus prometteuses et les plus futuristes, dans le bon sens du terme, pourrait être le forçage génétique. Cela implique de manipuler le génome des moustiques porteurs de la maladie de façon à transmettre des traits spécifiques à leur descendance, par exemple une infertilité. Le trait se propagerait ensuite de manière exponentielle, avec le potentiel de sauver des vies par millions, voire d'éradiquer totalement l'espèce problématique. Néanmoins, ce type de génie génétique reste controversé, car de nombreux experts redoutent l'émergence de conséquences inattendues, même en prenant les plus grandes précautions dans la modélisation et l'évaluation des risques. Quoi qu'il en soit, étant donné les bénéfices potentiels pour la vie humaine, le paludisme pourrait bien donner lieu au premier cas d'application du forçage génétique en conditions réelles. 

    Meri Boscolo souhaite continuer à pêcher comme son père et son grand-père avant elle, mais elle sera peut-être contrainte de remplacer les moules et les palourdes par la pêche d'une espèce invasive, le crabe bleu, qui décime les pêcheries traditionnelles.

    PHOTOGRAPHIE DE Jen Guyton

    ESPÈCE INVASIVE AUX TABLES ÉTOILÉES

    Bisque de crabe, ceviche de pince de crabe, raviole au crabe… voilà quelques-unes des préparations imaginées par Chiara Pavan pour mettre une espèce invasive, le crabe bleu d'Atlantique, au menu d'un restaurant récompensé d'une étoile au guide Michelin : le Venissa, en bordure de Venise, où la cheffe opère avec son partenaire Francesco Brutto. Des étoiles, le Venissa en possède même deux si l'on ajoute également l'Étoile verte décernée par le même guide en reconnaissance d'un engagement fort au profit de la gastronomie durable. Le crabe bleu d'Atlantique est arrivé en Méditerranée dans les eaux de ballast des navires et à travers le canal de Suez. Ce sont des prédateurs voraces dont les populations ont explosé sur les côtes de l'Afrique du Nord et de la Méditerranée orientale. En Italie, les pêcheurs de l'Adriatique ont d'abord perçu le crabe bleu comme un moyen de compléter leurs revenus issus de l'aquaculture de la moule et de la palourde, mais les crabes ont fini par décimer les mollusques. À présent, le défi est de créer une culture culinaire et un marché pour le crabe en Italie, tout en instaurant des mesures gouvernementales incitatives pour la capture des envahisseurs, que ce soit pour sa revente ou sa consommation. Au long terme, l'objectif est de créer une demande pérenne de la part des supermarchés et des restaurants ainsi qu'un marché d'exportation vers les États-Unis, où le crabe bleu est un aliment populaire, ce qui contribuerait à réguler les populations tout en permettant à l'aquaculture traditionnelle de la moule et de la palourde de subsister en Italie. 

    Préparation de la bisque de crabe au Venissa, un restaurant étoilé de Venise qui propose un menu faisant la part belle à la gastronomie durable, en servant notamment des espèces invasives comme le crabe bleu d'Atlantique.

    PHOTOGRAPHIE DE Jen Guyton

    Le problème des espèces invasives est l'un des enjeux sur lesquels SEA BEYOND souhaite attirer l'attention. Depuis son lancement en 2019, le projet SEA BEYOND contribue au progrès de l'éducation à l'océan à l'échelle mondiale à travers différentes initiatives : les cours dispensés à plus de 600 élèves internationaux du secondaire ; le lancement du Jardin d'enfants de la lagune, un programme éducatif destiné aux maternelles de la région de Venise en Italie pour créer une connexion entre les enfants et l'écosystème de la lagune vénitienne ; la formation de 14 000 employés de Prada à travers le monde.

    En reversant un pour cent des ventes de la collection Prada Re-Nylon, entièrement conçue à partir de nylon régénéré, le Groupe Prada permet au projet SEA BEYOND d'étendre son intervention à deux nouveaux domaines : le soutien à la recherche scientifique et aux projets humanitaires, en lien avec la conservation de l'océan.

    Découvrez ce que signifie comprendre l’océan pour le sauvegarder.

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