Des pêcheurs indiens ouvrent la voie de la dépollution des océans

Des pêcheurs de l'État indien de Kérala ont mis en place un projet innovant : ils récupèrent le plastique remonté dans leurs filets de pêche pour le recycler, nettoyant l'océan de cet intrus.

De Maanvi Singh
Dans l'État de Kérala en Inde, un pêcheur répare ses filets de pêche sur une plage. ...
Dans l'État de Kérala en Inde, un pêcheur répare ses filets de pêche sur une plage. Les plastiques dans les océans peuvent abîmer et engorger les filets. Les pêcheurs n'ont pas dit leur dernier mot et sont passés à l'offensive.
PHOTOGRAPHIE DE Frank Bienewald, Getty Images
Cet article a été écrit dans le cadre de notre campagne Planète ou plastique ?, destinée à sensibiliser le public à la crise mondiale des déchets plastiques. Vous aussi, réduisez votre consommation d'objets en plastique jetables et engagez-vous à nos côtés.

Kadalamma, la mère mer. C'est ainsi que Xavier Peter surnomme la mer d'Arabie. Si cette dernière ne lui a pas donné vie, elle lui permet de la gagner. Grâce aux poissons dont elle regorge, il peut nourrir sa famille et vendre quelques-unes de ses prises sur le marché. Et la mer l'a protégé trois fois de cyclones et une fois d'un tsunami.

Cela fait plus de 30 ans que Xavier pêche la crevette et le poisson à bord d'un chalut au large du sud-ouest de l'Inde. Mais dernièrement, ces filets sont plus remplis de plastique que de poissons.

« Avec tout le plastique coincé dans les filets, c'est plus difficile de les remonter », indique le pêcheur. « C'est un peu comme lorsque l'on puise de l'eau d'un puits : votre seau est tiré vers le bas ».

Plusieurs heures sont nécessaires à Xavier et ses six pêcheurs pour séparer les détritus du poisson.

Xavier estime que cette tâche pénible est le signe que Kadalamma est malade et que lui et sa communauté en sont responsables. « C'est l'un des plus gros échecs de l'Inde », souligne-t-il.

Avant, il soupirait et rejetait le plastique en mer. Ce n'est désormais plus le cas.

Depuis août 2017, Xavier et 5 000 autres pêcheurs et propriétaires de bateaux de Quilon, une ville de pêche de 400 000 habitants située à Kérala, l'État le plus au sud de l'Inde, qui ont pris la décision de rapporter sur terre tout le plastique qu'ils remontent de la mer. Ils ont également créé le premier centre de recyclage de la région, avec l'appui de plusieurs organismes gouvernementaux. Là-bas, les sacs plastique, les bouteilles, les pailles, les tongs et les poupées Barbie remontés par les pêcheurs sont nettoyés, triés et transformés. 65 tonnes de déchets plastique ont déjà été collectés.

 

L'ACTIVITÉ DES PÊCHEURS EN DANGER

Peter Mathias dirige une association régionale de propriétaires et d'exploitants de bateau. Il nous confie que les populations vivant en bord de mer sont bien conscientes des dangers que représente le plastique. Cela fait des années que les pêcheurs se plaignent auprès de lui du plastique qu'ils attrapent dans leurs filets.

Et ce n'est pas tout. Il y a 10 ans, un équipage comme celui de Xavier pouvait facilement pêcher jusqu'à quatre tonnes de poissons au cours d'une sortie de 10 jours. Aujourd'hui, la pêche a été bonne si le bateau revient au port avec 800 kg. Si le plastique n'est pas le seul responsable de cette diminution des réserves halieutiques puisque le changement climatique et la surpêche ont aussi un rôle, il est en tout cas le plus visible.

De nombreux poissons confondent les plastiques avec de la nourriture, ce qui n'est pas sans conséquences. Des études ont démontré qu'en consommant du plastique, les poissons pouvaient mourir d'empoisonnement ou de malnutrition. D'autres animaux marins se prennent dans les filets de pêche en nylon abandonnés et meurent étranglés. Enfin, de grandes plaques de déchets plastique recouvrent les fonds marins et empêchent certaines espèces d'accéder à leurs aires de reproduction.

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    Fishermen in Kochi (also known as Cochin) in Kerala sort their catch.

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    PHOTOGRAPHIE DE Kaveh Kazemi, Getty Images

    « Cette pollution a de terribles conséquences pour notre travail », déclare Peter Mathias. « Il est donc de notre devoir en tant que pêcheurs de garder la mer propre. Notre survie en dépend ».

    Mais il a été plus difficile que prévu d'assumer cette responsabilité. Les pêcheurs remontaient déjà du plastique sans le vouloir, il était donc logique de leur demander de le faire intentionnellement. Sauf qu'aucun système de collecte des déchets n'était en place, encore moins un centre de recyclage. Des pêcheurs à la palourde d'un village voisin ont également voulu mettre en place un système similaire pour nettoyer les eaux peu profondes du Kérala mais se sont retrouvés confronter au même problème : ils ne pouvaient pas jeter tous les déchets qu'ils avaient ramassés et ne faisaient donc que ramener les détritus sur terre.

     

    UN ÉLAN NATIONAL

    L'été dernier, Peter Mathias est entré en contact avec J. Mercykutty Amma, ministre de la pêche qui vient de Quilon, pour lui demander de l'aide. « Je leur ai demandé si elle pouvait nous aider à faire quelque chose du plastique si nous le ramenions sur terre », explique-t-il.

    Bien que la ministre fut d'accord pour intervenir, elle ne pouvait pas prendre la décision seule. Un mois plus tard, elle a réunit cinq organismes gouvernementaux, dont le département du génie civil, qui a accepté de construire un centre de recyclage, et le département de l'émancipation des femmes, qui est chargé d'améliorer les opportunités d'emplois pour les femmes dans les domaines généralement dominés par les hommes comme la pêche. Seules des femmes travaillent dans le centre de recyclage.

    Ces minuscules créatures marines se nourrissent de plastique

    Voilà plusieurs mois maintenant qu'une équipe de 30 femmes a pour mission de laver et de trier méticuleusement le plastique collecté par les pêcheurs. La plupart des déchets sont trop abîmés et érodés pour être recyclés de façon traditionnelle. Ils sont donc réduits en de fins confettis puis vendus à des entreprises de contruction locales qui les utilisent pour renforcer l'asphalte des routes. Les bénéfices, ainsi que les subventions du gouvernement, couvrent les salaires des employées qui s'élèvent à environ 350 roupies par jour, soit environ 4€. Le système n'est pas encore autonome mais Peter Mathias espère qu'il le sera d'ici l'année prochaine.

    « De nombreux acteurs nous ont rejoint pour ce projet très très vite », souligne Peter Mathias. Mais ce qui le rend très fier, c'est que cette initiative « vienne de nous, les pêcheurs ».

    Quelques villages de pêcheurs situés non loin, comme les pêcheurs de palourdes par exemple, ont bénéficié de leur aide pour obtenir un financement afin commencer à collecter leur propre plastique et de créer leur programme de recyclage. Peter Mathias espère que bientôt, « tous les pêcheurs de Kérala, de l'Inde et du monde entier nous rejoindrons ».

    D'après Sabine Pahl, psychologue à l'International Marine Litter Research Unit de l'Université de Plymouth au Royaume-Uni et qui étudie comment convaincre les gens pour qu'ils se préoccupent mieux de la planète, cette déclaration, bien qu'osée, n'est pas irréalisable. Elle estime qu'il est logique d'inclure les pêcheurs dans la lutte contre la pollution marine et que ce type d'actions a déjà fonctionné par le passé. Depuis 2009, KIMO, une organisation environnementale du nord de l'Europe, a mis en place un programme similaire appelé Fishing for Litter, auxquels participent des pêcheurs du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Suède et des îles Féroé.

     

    FAIRE PASSER LE MOT

    L'impact du programme mis en place en Inde pourrait être encore plus fort que prévu, car ce sont « des pêcheurs qui sont à l'origine de l'initiative », a déclaré Sabine Pahl. Dans son étude, la psychologue a découvert que les initiatives environnementales les plus efficaces sont celles mises en place par les communautés et qui sont motivées par l'altruisme et l'amour de la nature et de la faune.

    « Le pouvoir de cette initiative est très important car les pêcheurs sont les mieux placés pour convaincre le reste de la communauté, comme leur famille et leurs voisins, des dangers du plastique », a-t-elle confié.

    À Varkala, dans le Kérala, des pêcheurs contrôlent l'état de leurs filets.
    À Varkala, dans le Kérala, des pêcheurs contrôlent l'état de leurs filets.
    PHOTOGRAPHIE DE Frank Bienewald, Getty Images

    Et c'est exactement ce qu'ils font. Nombreux sont les pêcheurs du port de Quilon à dire que la quantité de déchets qu'ils remontent dans leurs filets a considérablement diminuée, neuf mois après le début du programme. Leur but final est de mettre un terme à ce flux constant de plastique qui se jette dans l'océan. Pour y parvenir, les 5 000 pêcheurs et propriétaires de bateau ont promis de réduire leur consommation personnelle d'objets en plastique ou de s'assurer qu'ils terminent bien leur vie dans le centre de recyclage, plutôt que dans l'océan. Peter Mathias et Xavier Peter ne sont pas non plus contre l'idée de faire culpabiliser la population pour qu'ils réduisent leurs déchets plastique.

    « Je leur dis que s'ils continuent de polluer l'océan avec du plastique, alors les pêcheurs n'auront plus de travail », précise Peter Mathias. D'après lui, cette méthode est imparable.

     

    Maanvi Singh réalise des reportages dans le sud de l'Inde grâce à une subvention de la National Geographic Society.

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