L’élévation du niveau de la mer pourrait être inférieure aux prévisions les plus pessimistes

Une nouvelle étude portant sur les glaciers en Antarctique parfait nos connaissances sur le changement climatique et annonce que les conséquences mondiales de ce dernier, bien que moindres, seront toujours importantes.

De Alejandra Borunda
Le glacier de l’île du Pin, en Antarctique.

Le glacier de l’île du Pin, en Antarctique.

PHOTOGRAPHIE DE Michael Martin, Laif, Redux

En Antarctique et au Groenland, la glace fond à une vitesse record, mais nous ne vous apprenons rien.

En 2016, une idée surprenante s’est propagée dans la communauté scientifique : selon les auteurs de l’étude, il était possible qu’une hausse des températures mondiales cause l’autodestruction des immenses falaises de glace bordant la calotte glaciaire de l’Antarctique, qui s’effondreraient alors comme des dominos.

Le plus choquant dans ce scénario catastrophe était la rapidité avec laquelle la glace de l’Antarctique fonderait, provoquant à elle seule une élévation du niveau de la mer de près d’un mètre d’ici 2100. Cela était bien plus important que les estimations précédentes, qui évoquaient généralement une élévation de quelques centimètres seulement d’ici la fin du siècle.

Désormais, deux nouvelles recherches publiées mercredi dans la revue Nature suggèrent qu’une fonte plus mesurée pourrait être constatée au cours des prochaines décennies. Les deux études ont revu les estimations d’élévation du niveau de la mer d’ici 2100 à la baisse, avançant que dans le pire des scénarios, l’Antarctique contribuerait à cette dernière à hauteur de 7 à 40 cm.

En ajoutant à cela les autres facteurs qui contribuent à la montée des eaux, à savoir l’expansion des océans au fur et à mesure qu’ils se réchauffent (qui pourraient sans doute causer une hausse du niveau des océans à hauteur de 25 cm) ; l’eau de fonte provenant des glaciers de montagne (environ 15 cm) et les changements relatifs aux quantités d’eau stockées dans les lacs et les rivières sur la terre ferme (près de 4 cm), l’élévation totale du niveau de la mer serait comprise entre 60 et 90 cm, un chiffre qui reste important.

D’après les auteurs des deux études, cela n’est en aucun cas une bonne nouvelle. Cela représente toujours une énorme quantité d’eau supplémentaire qui pourrait grignoter les côtes, suffisante pour paralyser les villes de Boston à Shanghai. Les scientifiques estiment toutefois que les plus importantes conséquences de la montée des eaux devraient se faire ressentir au siècle prochain, ce qui laisse du temps aux communautés du monde entier pour s’adapter.

De plus, les changements qui affectent les calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland pourraient également provoquer des changements relatifs à la températures, à la circulation maritime et à de nombreux autres aspects du système climatique à l’échelle mondiale, a déclaré Nick Golledge, climatologue au Centre de recherche pour l’Antarctique de l’université de Victoria, située à Wellington, et auteur principal d’une des études.

« Si les estimations d’élévation du niveau de la mer ne sont pas aussi mauvaises que nous le pensions, les prévisions climatiques sont pires », souligne le climatologue.

 

L'INSTABILITÉ DES FALAISES MARINES : MYTHE OU RÉALITÉ ?

Chaque année, de plus en plus de preuves démontrent que les calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland rétrécissent. Mais les questions auxquelles les scientifiques et les communautés du monde entier qui s’inquiètent pour leur futur souhaitent trouver une réponse sont les suivantes : à quel point vont-elles rétrécir ? Et à quelle vitesse ?

Des réponses qui trouveront un écho bien au-delà de la communauté scientifique. Si près d’un mètre d’eau supplémentaire viendra grignoter les Palaos d’ici 2100, les habitants de l’archipel ont besoin de le savoir le plus tôt possible.

Pour répondre à ces questions, les scientifiques ont dû mettre au point des simulations par ordinateur qui reproduisent la façon dont se comportent les calottes glaciaires. Afin de vérifier leur bon fonctionnement, ils ont comparé leurs modèles aux observations faites sur le terrain.

Ce n’est que depuis peu que des satellites capables d’estimer avec précision le poids d’une calotte glaciaire à distance ont été envoyés dans l’espace, permettant d’avoir une idée concrète de la quantité de glace qui se détache. Mais ces données ne remontent que sur quelques décennies, l’équivalent d’un battement de cils à l'échelle de l'histoire de la Terre.

Les scientifiques se sont donc intéressés au passé, et notamment aux périodes pendant lesquelles les températures sur Terre étaient aussi élevées voire plus chaudes qu’aujourd’hui, à l’instar du Pliocène (il y a 3,4 millions d’années) ou du dernier interglaciaire (il y a 120 000 ans). Ils ont testé leurs modèles pour voir si ces derniers correspondaient à ce que nous savons sur la rapidité à laquelle les calottes glaciaires ont fondu et sur l’ampleur de l’élévation du niveau de la mer au cours de ces périodes.

Une étude, menée par des chercheurs de l’université du Massachusetts, a découvert que les calottes glaciaires de leurs modèles ne correspondaient aux données du passé que si un mécanisme appelé « instabilité des falaises marines » (marine ice cliff instability en anglais, ou MICI) était inclus dans ces modèles.

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    L’idée était simple : la glace est un matériau, qui, comme l’acier ou le bois, peut supporter une certaine pression avant de plier ou de céder. De nombreuses calottes glaciaires en Antarctique et au Groenland s’étendent jusque dans la mer qui les entoure, un peu comme le chapeau d’un champignon qui flotterait au-dessus de l’eau. Ces bords sont soutenus par de longues plate-formes de glace flottante, qui aident à stabiliser la glace qui se trouve derrière eux. Si ces plate-formes disparaissent, elles peuvent laisser dans leur sillage de hautes falaises qui surplombent l’océan ou la roche en contrebas. Et si ces falaises font plus de 90 mètres de haut, la glace située derrière elles cédera et se détachera en énormes blocs.

    Ce phénomène, la MICI, semble se produire au glacier Jakobshavn, au Groenland. Comme l’explique Richard Alley, climatologue de l’université d’État de la Pennsylvanie qui n’a pas pris part à l’étude, une plate-forme de glace étayée a fondu, provoquant le recul encore plus rapide du glacier qui se trouvait derrière elle en « « décompressant » la calotte glaciaire ».

    En Antarctique, où se trouvent des glaciers bien plus imposants, la MICI n’a pas encore été observée. Mais d’après les auteurs de l’étude, si le phénomène s’y produisait, quelques-uns des plus gros glaciers de l’Antarctique, comme ceux de Thwaites ou de l’île du Pin, situés dans la partie occidentale du continent, pourraient s’effondrer rapidement et pour toujours, provoquant une élévation supplémentaire du niveau de l’eau de près de trois mètres au cours des prochains siècles.

    Ces chiffres étaient plus importants et l’étude prédisait une montée des eaux plus tôt que ce qu’estimaient la plupart des études antérieures. Au sein de la communauté scientifique, les chercheurs ont commencé à se demander si la MICI existait bien et s’il était possible qu’elle puisse avoir une influence sur les grands glaciers de l’Antarctique occidental, dont certains étaient au moins dix fois plus massifs que celui de Jakobshavn.

    « Cela n’a pas été observé en Antarctique, et certainement pas à cette échelle », confie Frank Pattyn, glaciologue à l’université libre de Bruxelles, en Belgique, qui n’a pas pris part à l’étude. « Nous nous demandions tous si un tel mécanisme pouvait être transposé plus globalement. »

     

    FAUT-IL INTÉGRER LA MICI AUX MODÈLES ?

    Tamsin Edwards, climatologue au Kings College de Londres, a lu l’étude originelle et s’est immédiatement demandé si elle pouvait mieux déterminer la probabilité qu’un phénomène MICI se produise en recourant à des calculs complexes.

    Depuis son bureau de Grenoble où elle était de passage, la scientifique a commencé à travailler sur le modèle, utilisant des statistiques pour étudier dans le détail l'influence que les différents éléments de physique pouvaient avoir sur la forme, la taille et le comportement des calottes glaciaires. Après avoir vérifié que les résultats obtenus avec le modèle correspondaient aux données passées et présentes, Tasmin Edwards était plus confiante quant à sa capacité à prévoir le futur correctement.

    Elle découvrit ainsi qu’en « désactivant » la partie MICI du modèle, elle obtenait toujours des réponses qui correspondaient avec celles des reconstitutions passées et présentes de la calotte glaciaire.

    Cela ne veut pas dire que la MICI n’existe pas, souligne la scientifique, seulement qu’il reste encore beaucoup de travail pour comprendre comment, pourquoi et peut-être quand elle pourrait avoir lieu.

    Avec ses collègues, la climatologue a également étudié les versions du modèle qui n’incluaient pas le phénomène MICI afin de prévoir ce qui pourrait arriver à ces calottes glaciaires. Ils ont ainsi découvert qu’au cours de la décennie 2060-2070, le niveau de la mer augmenterait de façon significative. L’élévation serait toutefois inférieure de 40 cm à celle prédite par le scénario RCP 8.5 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, plus communément désigné comme le « scénario du pire ».

     

    L'ANTARCTIQUE FOND, ET LE MONDE EN RESSENT LES EFFETS

    Dans une analyse distincte, l’équipe de Nick Golledge a découvert que, toujours en excluant la MICI, leur modèle de calotte glaciaire correspondait bien aux données modernes et du dernier interglaciaire. L’eau chaude dans laquelle trempait la base des calottes glaciaires suffisait à faire fondre des parties essentielles de ces dernières.

    Les scientifiques se sont servis de ce modèle pour prédire comment la fonte des calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland s’accélérera au cours des prochaines décennies. Dans le pire des scénarios, si nous continuons d’émettre autant de gaz à effet de serre, les auteurs prédisent que les deux calottes glaciaires provoqueront une élévation du niveau de la mer de l’ordre de 25 cm d’ici 2100.

    Ce chiffre est similaire aux prédictions pour le « pire des scénarios » réalisées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat dans leur dernier rapport détaillé de 2013, dans lequel il était indiqué que le Groenland et l’Antarctique participeraient à l’élévation du niveau de la mer à hauteur de 23 cm environ. Une estimation moindre que celle de l’étude de 2016, qui suggérait que l’Antarctique pourrait faire monter les eaux de 90 cm d’ici 2100 à lui seul.

    Bien que les estimations relatives à l’élévation du niveau de la mer soient plus faibles, l’ensemble des conséquences de la fonte des calottes glaciaires sur le climat sont peu réjouissantes.

    Nick Golledge et ses collègues ont également appliqué leur modèle de calotte glaciaire à un modèle climatique mondial, afin de voir comment les conséquences de la fonte des glaces aux pôles pourraient avoir une influence sur le climat et les océans dans des parties reculées du globe. Par le passé, les modèles de calotte glaciaire étaient en général exécutés séparément, principalement à cause des ordinateurs qui n’étaient pas suffisamment puissants pour pouvoir les relier entre eux.

    Les chercheurs ont découvert que les changements qui touchent les calottes glaciaires pouvaient fortement influencer le climat mondial, notamment en ralentissant les principales trajectoires de circulation océanique, en faussant les températures de l’air dans le monde et, cela est quelque peu surprenant, en rendant le climat plus variable d’une année à l’autre.

    « Ce qui se passe en Antarctique ne reste pas en Antarctique, et c’est qu’ils montrent très clairement », indique Frank Pattyn.

    Les conséquences se font déjà ressentir ailleurs qu’aux pôles. « Nous vivons à une époque où, même au cours des dernières années, nous assistons à des phénomènes météorologiques extrêmes qui deviennent de plus en plus fréquents », explique Nick Golledge. « À bien des égards, il est plus facile de faire face à un réchauffement régulier. Mais si les choses sont imprévisibles et extrêmement variables d’une année sur l’autre, eh bien, il est bien plus difficile pour la société de résoudre le problème. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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