Partout dans le monde, des peuples de marins continuent à vivre en harmonie avec l’océan

Marc Thiercelin, skipper de courses au large, a troqué la solitude pour les rencontres. Pendant quatre ans, il a sillonné le globe pour partager le quotidien des peuples des mers.

De Manon Meyer-Hilfiger, ""Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 26 avr. 2022, 16:07 CEST
Au milieu des iles de Cu lao Cham au large de Hoi An, au Vietnam. Afin de récolter ...

Au milieu des iles de Cu lao Cham au large de Hoi An, au Vietnam. Afin de récolter des algues rouges sur les rochers d’une ile avant la tempête, il faut faire avancer ces paniers-bateaux, les Coracles, en godillant. Ici en présence du grand père Shin Tran et son petit fils Ti.

 

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Le CV nautique du skipper Marc Thiercelin, est long comme le bras. Cinq tours du monde en solitaire, plusieurs Vendée Globe et Cap Horn qu’il termine sur le podium, des transatlantiques en pagaille, et même des tours de l’Antarctique. Autant dire qu’il sait tout ou presque des vagues et des vents, lui qui a passé plus d’un demi-siècle à voguer sur l’eau, et une quinzaine d’années à enseigner la voile. Pourtant, à l’approche de la soixantaine, ce n’est pas dans une énième course au large qu’il s’est lancé, mais dans un autre projet beaucoup moins solitaire : la rencontre des peuples des mers.

Cette quête maritime, proposée par Découpages Production et diffusée sur Arte sous la forme d’une série de documentaires, l’a amené à partager le quotidien d’une trentaine de communautés sur quatre continents. Des Jangadeiros du Brésil prêts à prendre tous les risques pour quelques poissons, jusqu’aux Vezos de Madagascar, des nomades des mers qui passent la majorité de leur temps sur l’eau, tous sont pêcheurs et savent vivre de peu, en harmonie avec leur environnement. 

Dans un livre paru aux éditions Glénat, et co-écrit avec le réalisateur Ludovic Fossard, Marc Thiercelin retrace cette aventure hors du commun et les enseignements de ces communautés, qui, pour beaucoup, sont en voie de disparition.

Marc Thiercelin, ancien navigateur et skipper professionnel, il a totalisé, entre autres, 5 tours du monde en solitaire. Il a co-écrit avec le réalisateur Ludovic Fossard, le livre « À la rencontre des peuples des mers », paru aux éditions Glénat. Ici on le voit en route pour pêcher au large de la très grande ile de Tiburon sur la mer de Cortes, au Mexique.

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Le nombre de populations nomades décline, sur terre comme en mer. Certaines persistent, comme à Madagascar, où vous avez rencontré les Vezos... 

Oui, c’est un peuple incroyable, qui passe six à huit mois de l’année en mouvement sur l’eau.  Chaque année, hommes, femmes et enfants quittent leur village de Bétania, à l’ouest de Madagascar, pour rejoindre l’archipel des Barren à quelques centaines de kilomètres de là. Ils chargent aussi du sel pour la conservation des poissons et des sacs de riz à bord de leur boutre – un voilier traditionnel en bois. Ils n’ont ni instrument de navigation, ni lampe torche, ni montre (outil qui permet aux marins d’enregistrer une position).

Les Vezos naviguent « à l’estime », sous un soleil cuisant, dans le détroit du Mozambique. Cette zone peuplée de nombreux requins peut être très violente. Et ils n’ont aucun moyen d’appeler des secours si les conditions météorologiques viennent à se détériorer. D’ailleurs, Vezos signifie dans leur propre langue « ceux qui luttent contre la mer ». Mais, disent-ils, leur maison est là où il y a du poisson, alors ils entament chaque année cette grande migration, où ils se déplacent d’île en île et de côte en côte pour pêcher puis vendre chaque jour le produit de leur travail.

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    Chargement des sacs de sels sur les pirogues avant le départ vers une migration de plusieurs mois avec femmes et enfants : bienvenue  chez les Vézos, dans le détroit du Mozambique.

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    En 50 ans, les populations de poissons migrateurs ont décliné de 76 %, et les poissons sont de moins en moins pêchés de manière durable au niveau mondial... Quelles sont les conséquences sur ces peuples nomades ? 

    Cette baisse des populations de poissons constitue à mes yeux l’aspect le plus choquant des conséquences de la « modernité ». Les Vezos ramènent beaucoup moins de poissons qu’avant, parce qu’ils sont concurrencés depuis des décennies par des chalutiers usines, qui ratissent les fonds marins. C’est la même histoire pour toutes ces communautés qui dépendent de ce qu’elles peuvent pêcher chaque jour – elles ne disposent généralement pas de frigos ni de congélateurs. Mais la surpêche n’est pas la seule menace qui pèse sur ces peuples et ces modes de vie. Certains gouvernements font preuve d’hostilité envers les nomades des mers, insaisissables, et considérés comme un risque pour la stabilité du pays. Les Badjao d’Indonésie (un peuple de nomades génétiquement adaptés à la plongée, ndlr), sont mal vus par le reste de la population. Pourtant, ils ne représentent que 50 000 âmes sur près de 270 millions d’habitants de l’archipel.

    Autre exemple, les Moken, un peuple autrefois nomade qui vivait librement entre la côte thaïlandaise et la Birmanie, s’est sédentarisé notamment sous la pression des autorités locales. Mais ils continuent d’entretenir une relation privilégiée avec l’océan. Ils continuent de pêcher. Et là où nous les avons rencontrés, en Thaïlande, les Moken habitent des maisons sur pilotis au ras de l’eau, dans un cadre réglementé par le gouvernement. Dès que les autorités ont le dos tourné, ils déplacent leurs maisons pour être plus proches encore de la mer. J’ai trouvé cela touchant, même s’il faut garder à l’esprit que le nomadisme est une vie difficile. Beaucoup trouvent leur compte dans cette sédentarité proche de l’eau, qui apporte aussi une certaine sécurité.

    Réparation du gouvernail du Cabang avant d’embarquer pour une migration dans les archipels d’iles en mer d’Andaman, en Thaïlande, Marc Thiercelin a passé une dizaine de jours avec toute la famille sur un bateau où tout doit se trouver à bord.

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    La raréfaction des ressources est aussi remarquée par les Jangadeiros du Brésil, qui partent à la pêche sur de petites embarcations, les jangadas. Ils sont prêts à prendre tous les risques pour quelques poissons.

    Ces pêcheurs brésiliens affrontent des vagues de 4 à 6 mètres de haut formées par un alizé puissant, debout sur une sorte de planche à voile en bois de balza ! De sacrés marins qui s’en vont pour quelques jours à bord de ces radeaux de 5m de long, pour se rendre parfois à plus de 50 kilomètres du rivage. Une glacière, une voile, un mat, et c’est tout... La nuit, ils se glissent dans la coque sans hublot pour dormir. Une particularité de ce mode de pêche : ils n’ont pas de feu de navigation, et naviguent vraiment au ras de l’eau.

    C’est un miracle qu’ils existent encore, car, ils pêchent dans les eaux les plus passantes du monde et cohabitent avec de beaucoup plus grosses embarcations, notamment d’immenses bateaux pétroliers. D’ailleurs, la première fois de ma vie que je les ai croisés, c’était lors de mon deuxième tour du monde à la voile : ils étaient au creux d’une vague et mon bateau lancé à pleine vitesse a failli leur monter dessus. Heureusement nous avons réussi à éviter la collision. J’ai été impressionné de leur amour de la mer comme celui de la compétition, car, parfois, ils revenaient de trois jours de pêche puis repartaient quelques heures plus tard pour faire des régates à bord des mêmes jangadas !

    Réunion atour de la doyenne du peuple APALAANCHIS  (Wayuus) dans le désert de la Guajira sur la mer Caraïbe, en Colombie, au milieu des cactus géants.

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    Une autre embarcation remarquable de ce périple, c’est le « bateau-lune », que l’on peut observer uniquement au Bangladesh. 

    Je me suis rendu à Cox’s Bazar, l’une des plus grandes plages du monde – elle s’étend sur 120 km – à la frontière entre le Bangladesh et la Birmanie.  Ces eaux du golfe du Bengale présentent une particularité nommée « ponchodau » : une barre de cinq vagues successives. Autant dire que l’accès à l’océan est compliqué.  Les ancêtres des Jailla, un peuple de pêcheurs, ont imaginé il y a des centaines d’années cette embarcation à la coque arrondie qui peut se soulever jusqu’à un angle de 45 degrés et ainsi affronter les vagues. Aujourd’hui, les bateaux-lunes disposent d’un moteur et pèsent près de deux tonnes – la mise à l’eau demande l’engagement de tout un groupe ! 

    Autre problématique de cette communauté : les pirates rôdent et viennent les attaquer dès qu’ils réussissent à attraper un peu de poissons. Mahmud, l’homme que nous avons suivi pendant la pêche, présente une cicatrice de 20 centimètres de long sur le crâne, douloureux souvenir d’une de ces rencontres. C’est d’autant plus difficile que les pêcheurs ne possèdent pas les embarcations mais les louent - près de 50 % des revenus de la pêche reviennent au propriétaire du bateau ! Beaucoup de ces hommes rêvent ainsi d’acquérir, eux aussi, un bateau lune.

    Soirée autour du feu sur la plage de Cox Bazar, au Bangladesh, après la célébration de baptême du nouveau Moon Boat.

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    Que retenez-vous en particulier de ces quatre années à sillonner le globe à la rencontre de ces peuples de marins ? 

    Toutes ces communautés font avec peu, composent avec ce qu’ils ont, en toute humilité et en harmonie avec leur environnement. J’ai aussi noté l’importance de la transmission des savoirs. Beaucoup de ces marins vivent à plusieurs générations sous le même toit. Les jeunes ont donc le temps d’apprendre auprès des plus anciens. Où trouver de l’eau ? Quelles sont les plantes vénéneuses ? C’est cette pratique et ce temps qui comptent. Aujourd’hui, en France, on peut en théorie tout savoir grâce à Internet, mais on ne dispose pourtant plus de cette connaissance profonde de la nature. Je ne cherche pas à donner une vision idéalisée des autres, mais plutôt à partager leurs cultures. Cela permet un certain regard sur la capacité de communautés humaines à préserver les ressources marines.

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