On retrouve (aussi) des tonnes de pesticides dans les nuages

Armés d’un appareil capable « d’aspirer » les nuages, des scientifiques ont mesuré leur teneur en pesticides. À l’intérieur, ils ont identifié trente-deux substances différentes.

De Romane Rubion
Publication 7 nov. 2025, 10:31 CET
Le soleil se lève sur le puy Pariou, dans le Massif central, et la brume matinale ...

Le soleil se lève sur le puy Pariou, dans le Massif central, et la brume matinale se dissipe.

PHOTOGRAPHIE DE Wirestock, Inc. / Alamy Banque D'Images

Et si la pollution aux pesticides ne se limitait pas aux sols, aux rivières ou aux nappes phréatiques ? Et si elle se trouvait aussi… dans les nuages ?

C’est la question que s’est posée une équipe de chercheurs du CNRS et de l’Université Clermont Auvergne, en collaboration avec le Département de Chimie de l'Université de Turin. Pour y répondre, ils se sont rendus au sommet du puy de Dôme, en Auvergne, à 1 500 mètres d’altitude. Pendant deux ans et à différentes saisons, les scientifiques y ont littéralement « aspiré » des nuages grâce à un dispositif capable d’en recueillir l’eau. À partir de ces prélèvements, ils ont obtenu six échantillons ensuite analysés en laboratoire.

Les résultats, publiés récemment dans la revue Environmental Science & Technology, révèlent la présence de trente-deux substances parmi les quatre cent quarante-six recherchées, dont des herbicides, insecticides, fongicides, additifs, biocides et leurs produits de transformation. Certaines de ces molécules sont pourtant interdites en France depuis plusieurs années.

La moitié des échantillons présentaient par ailleurs des concentrations totales de pesticides supérieures aux normes européennes applicables à l’eau potable. Selon les estimations des chercheurs, les nuages de basse et moyenne altitude survolant la France pourraient contenir entre six et cent quarante tonnes de pesticides.

 

LA PLUIE, LA NEIGE, L’AIR… ET MAINTENANT LES NUAGES

Angelica Bianco, chercheuse CNRS au Laboratoire de Météorologie Physique et à l’Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand, autrice principale de l’étude, rappelle dans un entretien accordé à The Conversation que les pesticides constituent « des contaminants d’intérêt dans toutes les matrices environnementales ». Et le ciel n’y échappe pas.

La contamination des pluies est connue depuis la fin des années 1990. Plus récemment, une étude menée par le chercheur Ludovic Mayer et son équipe a mis en évidence la présence de pesticides dans l’air, transportés par les aérosols atmosphériques prélevés sur vingt-neuf sites européens. Les nuages restaient jusqu’alors une matrice très peu étudiée, en raison des contraintes techniques liées à leur prélèvement et à leur analyse.

L’équipe franco-italienne a donc cherché à mesurer et à quantifier leur teneur en pesticides. « Techniquement, ce n’est pas la première mesure dans les nuages », nuance Angelica Bianco. En 1991, le chercheur allemand Franz Trautner avait déjà identifié la présence d’atrazine, un herbicide aujourd’hui interdit, dans des nuages au-dessus des Vosges.

« C’est un phénomène relativement nouveau », explique Jean-Marc Bonmatin, chimiste-toxicologue et chercheur CNRS au Centre de biophysique moléculaire d'Orléans. « On savait déjà qu’il existait une pollution des sols, de l’eau, [qu’il s’agisse] des eaux de surface ou des eaux souterraines, et même de l’air. […] Ce qu’on ignorait en revanche, c’est que ces substances pouvaient aussi se retrouver dans les nuages ».

Observatoire météorologique au sommet du puy de Dôme, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, en France.

Observatoire météorologique au sommet du puy de Dôme, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, en France.

PHOTOGRAPHIE DE JAUBERT French Collection / Alamy Banque d'images

« Actuellement, en France, seule la station du puy de Dôme, qui présente une forte occurrence nuageuse (40 % du temps) permet l’étude des nuages », précise la chercheuse. Ces derniers sont constitués de fines gouttelettes d’eau que les scientifiques ont collecté à l’aide d’un dispositif appelé Boogie. L’appareil aspire les gouttelettes, qui impactent sur une plaque, l’eau s’écoule ensuite dans un entonnoir puis dans une bouteille. « La quantité d’eau dans les nuages varie de 0,3 à 1 g/m3 d’air, ce qui signifie qu’il faut aspirer beaucoup de nuages pour avoir peu de millilitres. C’est un des points limitants de notre analyse : le volume de nuage collecté », reconnaît Angelica Bianco.

« Les concentrations de pesticides observées dans les nuages restent faibles, de l’ordre du nano au microgramme par litre », précise-t-elle. Il n’existe aujourd’hui aucune réglementation nationale ou internationale spécifique concernant la présence de pesticides ou d’autres composés chimiques dans les eaux atmosphériques. « Les valeurs limites fixées pour l’eau potable servent uniquement de références pour la discussion et la comparaison des échantillons », poursuit la chercheuse.

 

LES PESTICIDES VOYAGENT LOIN, TRÈS LOIN

L’hypothèse la plus probable pour expliquer la présence de pesticides dans les nuages est celle de leur dispersion dans l’atmosphère lors des épandages agricoles, où les concentrations sont bien plus élevées qu’en altitude. « Dans la majorité des cas, l’épandage consiste à asperger les cultures avec une solution ou une suspension de pesticide dans l’eau. Les gouttelettes projetées sur les plantes peuvent ensuite être transportées par le vent jusqu’à de hautes altitudes », explique Angelica Bianco.

Certains des pesticides détectés dans les nuages ne sont pourtant plus autorisés en Europe. « Cela signifie que les pesticides pourraient être transportés dans l’atmosphère, et dans les nuages, depuis les pays où ils sont encore utilisés et autorisés », souligne la chercheuse. Ces résultats semblent ainsi confirmer l’existence d’un transport atmosphérique des pesticides sur de longues distances.

« Par ailleurs, un lien pourrait aussi exister avec l’utilisation des eaux souterraines pour l’irrigation agricole. La contamination des nappes phréatiques par des pesticides interdits mais persistants est bien connue et leur remontée à la surface par les pratiques d’irrigation pourrait aussi être à l’origine de leur présence dans l’atmosphère et dans les nuages ».

Le rôle exact des nuages dans cette dispersion reste toutefois difficile à déterminer. Plusieurs facteurs entrent en jeu. D’abord, « seulement 10 % des nuages donnent lieu à des précipitations », rappelle Angelica Bianco. Il est donc impossible pour l’instant d’estimer précisément la quantité de pesticides qui retombe au sol avec la pluie. Ensuite, « les pesticides peuvent également être transportés dans l’atmosphère en l’absence de nuages, sous forme de poussières ou de vapeurs ».

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    De lourds nuages chargés de pluie se forment au-dessus d'une rivière dans l'ouest de l'Australie.

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    PHOTOGRAPHIE DE Randy Olson, National Geographic Creative

    De plus, la présence de pesticides dans la pluie ne dépend pas uniquement de leur concentration dans les nuages. En tombant, les gouttes d’eau peuvent capter des composés présents dans la colonne d’air, un phénomène connu sous le nom de lessivage atmosphérique. Enfin, les gouttelettes des nuages possèdent une forte réactivité chimique. Elles agissent comme « de véritables réacteurs », où les pesticides peuvent se dégrader sous l’action de la lumière et d’agents oxydants.

    « Quels que soient les processus de dégradation, [ils génèrent] des molécules secondaires qui, en général, sont tout aussi toxiques que les molécules de départ. Et ces molécules secondaires vont, elles aussi, migrer », prévient Jean-Marc Bonmatin. « Les nuages sont des transporteurs », ajoute-t-il. « L’ordre de grandeur des zones susceptibles d’être contaminées par leur intermédiaire est complètement différent de celui qu’on observait auparavant ». Ces composés peuvent ainsi affecter des régions situées bien au-delà des zones agricoles directement concernées.

     

    « DES TONNES DE PESTICIDES »

    À partir des données recueillies sur leurs échantillons, les chercheurs ont tenté d’évaluer la masse totale de pesticides potentiellement présents dans les nuages survolant la France métropolitaine. « Pour cela, nous avons pris le parti de formuler une hypothèse importante, à savoir que la concentration mesurée dans les nuages puydomois est représentative des nuages de basse altitude présents sur l’ensemble du territoire français. C’est discutable, certes, mais probablement pas si éloigné de la vérité », reconnaît Angelica Bianco.

    Leur estimation se situe entre six et cent quarante tonnes de pesticides. « Il faut savoir que les nuages contiennent énormément d’eau, de l’ordre du milliard de tonnes, mais, personnellement et naïvement, je ne pensais pas trouver des tonnes de pesticides ! », confie la chercheuse. « Au-delà des chiffres, l’essentiel est la prise de conscience collective de l’ampleur de la pollution que nous apportons dans l’environnement ».

    Pour Jean-Marc Bonmatin, bien que « les modèles utilisés restent imprécis par manque de données », ces résultats sont particulièrement préoccupants. « Ce ne sont pas des grammes, ni des kilos [...] mais des dizaines, voire des centaines de tonnes de pesticides qui se baladent au-dessus de nos têtes et qui vont, un jour ou l’autre, forcément retomber avec la pluie », avertit-il. « Cela montre deux choses. Un : quand on met des pesticides quelque part, on en retrouve partout. Deux : les évaluations faites par les autorités sur la base des dossiers constitués par les fabricants de pesticides afin d’homologuer ces produits sont particulièrement légères et trop permissives, puisqu’elles ne prennent pas en compte ce type de pollution par exemple ». 

    Le chercheur rappelle que « les pesticides utilisés depuis près de cinquante ans sont particulièrement solides » et se dégradent très lentement. Lorsqu’ils retombent avec les précipitations, ces composés s’infiltrent dans les sols, rejoignent les eaux de surface puis les nappes souterraines, avant de se retrouver jusque dans l’eau du robinet. « S’il pleut des pesticides, forcément, on les retrouve un jour ou l’autre dans les eaux potables », souligne-t-il.

    « Ce qui est choquant, c’est que lorsque le monde agricole utilise des pesticides, il empoisonne tout le reste. Et ça, ce n’est pas acceptable », déplore Jean-Marc Bonmatin. Pour le toxicologue, la solution est claire. « Si l’on veut protéger les populations, le seul moyen, ce n’est pas de détourner les nuages, c’est d’empêcher les traitements ». En France, près de 300 pesticides sont encore employés, auxquels s’ajoutent « au moins trois fois plus de métabolites », ces composés issus de leur dégradation. Leur toxicité à long terme reste pour beaucoup encore mal connue. « Les herbicides, fongicides et insecticides n'ont pas de cible spécifique mais agissent sur une multitude d'espèce dites non-cibles, dont l'humain », poursuit-il.

    Selon lui, les politiques actuelles de régulation des pesticides restent encore trop permissives. « Tandis qu’il faut des dizaines d’années pour retirer un pesticide, de nouveaux produits arrivent sur le marché à une vitesse bien supérieure. Les autorités vont devoir durcir très significativement leur mode d’évaluation, sans quoi les écosystèmes, la biodiversité et la santé publique atteindront des situations extrêmement préjudiciables pour tous, avec probablement des points de non-retour que nous sommes en train de franchir. Un peu comme pour le climat. Nous ne semblons pas capables d'apprendre de nos erreurs lorsqu’il s’agit de business », conclut Jean-Marc Bonmatin.

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