Thon rouge en Méditerranée, un retour pérenne ?

Dans les années 2000, le stock de thon rouge est passé près de l’effondrement. Aujourd’hui, après plus d’une dizaine d’années d’un contrôle strict de la pêche en Méditerranée, il est rétabli. Les scientifiques s’interrogent sur les quotas à fixer.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Thons rouges dans une senne au sud de Malte, photographiés avec un drone sous-marin (2019).

Thons rouges dans une senne au sud de Malte, photographiés avec un drone sous-marin (2019).

PHOTOGRAPHIE DE Ifremer

Sous le ciel azur de Marseille, le marché aux poissons du Vieux-Port bat son plein. Les passants s’affairent au rythme des harangues de pêcheurs vantant la fraîcheur de leurs produits. Sur l’un des étals, un thon rouge occupe une petite table dans toute sa longueur. Découpée en tranches, l’imposante bête est vendue à 35 euros le kilo. Les femmes et hommes de la mer s’en réjouissent. « Dans les environs, il y en a plein ! Pas besoin de s’éloigner beaucoup » assure Jérôme, 38 ans, qui pratique une pêche artisanale. « On peut attraper des thons à une dizaine de kilomètres du port ».

Cela n’avait pourtant rien d’une évidence voilà une vingtaine d’années. En 1996, les scientifiques de la Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l’Atlantique (CICTA) sonnent l’alerte : le thon rouge est surexploité. Ils confirment leur diagnostic par deux fois, en 1998 et en 2002. En cause, principalement : l’essor du marché des sushis et sashimis. Les gourmets en redemandent, les acheteurs se l’arrachent, parfois à prix d’or. Selon la qualité et la fluctuation des cours, il peut être vendu entre 10 et 40 euros le kilo. Certains thons rouges partent même à près de 100 euros le kilo !

Mais dans les années 1990, la réglementation faisait défaut. Les captures explosaient, atteignant des niveaux historiques. De 1995 jusqu’à 2007, près de 50 000 tonnes de thons étaient pêchées chaque année. Et sans aucun refuge pour sa reproduction, le thon rouge était en danger. Tous les facteurs se trouvaient réunis pour conduire à l’effondrement du stock.

 

CAMÉRAS EMBARQUÉES

Dès 1998, face à ce danger pour la viabilité de l’espèce, la CICTA instaure un quota à 30 000 tonnes par an. C’est encore bien au-dessus de ce que préconisent les scientifiques. Et sans contrôles, c’est peine perdue. La surpêche demeure. Près de 20 000 tonnes de thons au-delà du quota sont sortis de l’eau chaque année.

Thons rouges dans une cage d'engraissement à Malte.

PHOTOGRAPHIE DE Bertrand Wendling

« C’est à partir de 2007, grâce à la pression des ONG, qu’une réglementation à la fois plus restrictive et réellement contraignante est adoptée » rembobine Tristan Rouyer, chercheur spécialiste du thon rouge à l’Ifremer. Pour régénérer la population, la capture est strictement limitée aux poissons de taille adulte, autrement dit les spécimens de plus de 30 kilos. Et en 2009, le quota mondial de pêche est quasiment divisé par trois, fixé à 13 500 tonnes. « C’est suivi d’effets grâce aux contrôles » se réjouit le chercheur. 

Tous les pêcheurs le savent bien. À bord des thoniers senneurs, gros bateaux d’une trentaine de mètres responsables d’environ 60 % des captures mondiales, des caméras surveillent la quantité de thon rouge pêché. Ponctuellement, la Marine nationale effectue aussi des contrôles grâce à ses plongeurs.

Quant aux pêcheurs artisanaux, ils ont obligation d’informer les autorités de chacune de leur prise.

Marquage d’un thon de 250 kg sur un senneur.

PHOTOGRAPHIE DE Serge Bernard, LIRMM

« On appelle le centre national de surveillance des pêches pour dire que l’on a sorti deux thons de l’eau, par exemple. Ils renvoient ensuite cette information aux gendarmes, qui viennent parfois contrôler » explique Daniel Defusco, pêcheur artisanal et vice-président de la commission Méditerranée au sein de l’organisme chargé de défendre les intérêts des pêcheurs, le Comité National des Pêches Maritimes et des Élevages Marins (CNPMEM).

 

UN RETOUR INCERTAIN

Avec ces méthodes, la situation du thon rouge s’est nettement améliorée. L’espèce se porterait aujourd’hui plutôt bien en Méditerranée et dans l’est de l’Atlantique. « Nous ne pouvons pas donner le nombre de thons rouges exactement, mais nous sommes capables de dire si la population s’accroît ou diminue » précise Tristan Rouyer. Depuis 2009, l’Ifremer observe grâce à des prises de vues aériennes une forte augmentation des bancs de jeunes thons rouges. Une constatation partagée par les pêcheurs sur le terrain, qui sont une source d’information très importante pour les scientifiques.

Dans ces conditions, la CICTA a décidé de relever progressivement les quotas jusqu’au record de 36 000 tonnes en 2020, dont 6026 tonnes pour les pêcheurs français. Tout cela en assurant un suivi rigoureux de l’évolution des populations, avec un point d’étape programmé l’an dernier.  « Mais les analyses prévues n'ont pas été concluantes » souligne Tristan Rouyer. « Ceci dit, comme nous n'avions pas de raison de nous alerter, nous ne nous sommes pas opposés à la reconduction de ce quota pour 2021. Personnellement, lorsque les 36.000 tonnes ont été décidées en 2017 j'ai pensé que c'était monté un peu vite. À chaque fois que nous avons dépassé les 35 000 tonnes de quota dans l'histoire, les captures de pêches ont ensuite baissé » explique-t-il. D’autres scientifiques formulent l’hypothèse que les thons rouges se reproduisent aujourd’hui davantage, à la faveur par exemple du réchauffement climatique. Ce quota record n’aurait donc pas d’impact sur le stock. Cette théorie sera confrontée aux résultats de la prochaine évaluation, prévue pour 2022.

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