Climat : comment mieux protéger les forêts ?

Après un feu de forêt, planter de nouveaux arbres serait trop simpliste, "même si l’acte de planter le bon arbre au bon endroit peut être utile et reste fédérateur après une catastrophe, car c'est un beau symbole."

De Nadège Lucas, National Geographic
Publication 29 sept. 2023, 16:07 CEST
Feu de forêt à Bowraville, NSW, Australie, novembre 2019.

Feu de forêt à Bowraville, NSW, Australie, novembre 2019.

 

PHOTOGRAPHIE DE Adam Dederer

Depuis quelques années, tous les étés s’écrit la même histoire au cœur des forêts et des massifs montagneux du monde entier. En raison du changement climatique, des sécheresses prolongées et de la hausse des températures, les feux de forêt sont de plus en plus fréquents et dévastateurs. Ces incendies entraînent la destruction massive de la biodiversité, la perte d'habitat pour de nombreuses espèces et contribuent à l'émission de gaz à effet de serre. Le repeuplement des forêts est donc essentiel pour restaurer les écosystèmes dégradés, favoriser la régénération naturelle, réguler le climat, préserver la biodiversité, renforcer la résilience face aux incendies futurs et créer un avenir plus durable pour notre planète. 

Le WWF (Fonds mondial pour la nature) qui mène déjà des opérations de repeuplement des forêts dans plusieurs régions du monde, par la voix de son porte-parole Daniel Vallauri, également responsable du programme forêts WWF-France, nous parle de ces initiatives qui comprennent la plantation d'arbres, la gestion durable des forêts, la sensibilisation des communautés locales et la collaboration avec les gouvernements et les acteurs clés. Entretien. 

L’été 2023 a été, à nouveau, particulièrement destructeur sur le front des feux de forêts en Europe et en Méditerranée, mais aussi aux États-Unis, au Canada…

En Méditerranée, région écologiquement très exposée aux feux en été en raison de la sécheresse estivale qui caractérise la région, la Grèce a particulièrement souffert et payé un lourd tribu avec une surface brûlée quatre fois supérieure à la moyenne habituelle. La France a été moins durement touchée qu’en 2022, mais tout de même presque deux fois plus qu’habituellement. 

Les incendies au Canada ont été cette année d’une ampleur historiquement remarquable. Les feux de grande envergure font naturellement partie de la dynamique écologique de la forêt boréale, souvent déclenchés par la foudre. Cependant, cette fois, ce sont 17,6 millions d’hectares de forêt qui ont été réduits en cendres, ce qui représente plus de 5 % des forêts canadiennes. Ces rythmes de perte du couvert boisé sont supérieurs aux pires fronts de la déforestation que subissent les forêts tropicales. Pour se donner une idée ou un point de comparaison, un français peut imaginer que l’ensemble des forêts de la France hexagonale et de la Corse aient brûlé en un seul été !

 

Après le désastre, que faut-il faire ? Est-il possible, à l’échelle mondiale, de restaurer des écosystèmes complexes au cœur de forêts totalement dévastées ?

Si restaurer signifie replanter entièrement par la main de l’Homme et rapidement, non. Ce n’est ni possible, principalement en raison des coûts, ni souhaitable d’un point de vue écologique. Après de tels incendies, l’objectif principal des actions forestières est de préserver les sols désormais dépourvus des arbres protecteurs, pour que les pluies qui arrivent ne les emportent pas irrémédiablement. Par exemple, il est extrêmement urgent d’installer des fascines, des tressages de branches qui retiennent le sol, surtout dans les régions méditerranéennes soumises à des pluies abondantes. 

Pour le reste, il faut faire preuve de patience : la restauration des arbres brûlés prendra des décennies, tandis que restaurer un sol érodé jusqu’à la roche prendra des millénaires. Il faut également faire confiance à la nature. Celle-ci se chargera en partie de recoloniser naturellement des zones incendiées, la faune et le vent disséminant les graines sur de grandes distances. Ensuite, l’intervention humaine dans la gestion forestière pourra compléter ce processus, notamment en aidant à sélectionner les arbres qui présentent un potentiel économique, tout en préservant les zones sensibles pour la biodiversité.

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    Gauche: Supérieur:

    Feu de forêt à Ponerihouen, Nouvelle-Calédonie.

     

    PHOTOGRAPHIE DE Michel Gunther / WWF
    Droite: Fond:

    Feux de forêt dans le Var (France), 2021.

     

    PHOTOGRAPHIE DE Daniel Vallauri / WWF France

    Comment le WWF préconise-t-il de recréer des sites dégradés ou déforestés et pouvez-vous développer les actions entreprises par votre organisation ?

    Dans le monde entier, le WWF œuvre depuis plus de vingt ans pour comprendre les bonnes pratiques de restauration des forêts, qui entraînent des impacts écologiques et sociaux positifs. Car malheureusement, au fil des années, la surface des forêts dégradées en raison d’une mauvaise gestion, de la déforestation ou, comme cette année, des incendies, ne cesse de s’étendre. C’est pourquoi les Nations unies ont lancé en 2021 une Décennie de la restauration des écosystèmes, dans laquelle les forêts se trouvent en première ligne. 

    Il n’y a pas qu’une seule recette pour restaurer une forêt, mais quelques ingrédients essentiels. Certains voudraient nous faire croire qu’il suffit de planter des arbres. Malheureusement, cette idée est bien trop simpliste, même si l’acte de planter le bon arbre au bon endroit peut être utile et reste fédérateur après une catastrophe, car il est un beau symbole.

    De nos deux décennies d’expérience, nous avons appris que restaurer un écosystème forestier est plus complexe. Cela nécessite du temps, et même des dizaines d’années, ainsi qu’une planification minutieuse et une compréhension scientifique approfondie des différentes espèces qui peuplent chaque forêt. 

    Il faut également investir beaucoup d’énergie, d’engagement, d’accompagnement, et de constance qui ne peuvent être apportés sur le long terme que par les communautés locales vivant dans ces territoires. Il faut rester humble face à cette tâche. La restauration d’un écosystème forestier peut être comparée à de la haute couture ; la combinaison délicate d’une multitude de rouages impliqués dans un écosystème qui permet aux espèces d’y vivre et de s’adapter. Nous ne sommes probablement capables de reconstituer qu’une infime partie de cet écosystème, sans doute à peine 1 %. Notre action se concentre principalement sur quelques espèces d’arbres.

    Rahmi Binti Herman pose des semis dans une pépinière de la plantation Sabah Softwoods à Sabah, Bornéo, Malaisie.

     

    PHOTOGRAPHIE DE Aaron Gekoski / WWF-US

    Quelles sont les principales espèces ciblées par le repeuplement forestier et quelles sont les principales approches et techniques utilisées pour accomplir cette tâche ?

    Les essences et les actions menées pour le renouvellement vont dépendre des forêts. La protection des sols, l’aide à la régénération naturelle, l’accompagnement par des sylvicultures économes, parfois la plantation d’arbres, sont autant d’itinéraires techniques possibles, à panacher dans le territoire brûlé.

     

    Pouvez-vous nous présenter quelques exemples concrets de restauration de forêts dégradées menés par le WWF ? Quels ont été les spécificités et les résultats de ces initiatives ?

    Entre 2018 et 2020, le WWF-France a réalisé un examen mondial basé sur sept initiatives menées par le WWF et ses partenaires sur le terrain à Madagascar, en Nouvelle-Calédonie, en Tanzanie, le long du Bas Danube traversant la Bulgarie, La Moldavie, la Roumanie et l’Ukraine, au Mexique, en Malaisie et dans l’écorégion de la forêt atlantique du Haut Paraná partagée par l’Argentine, le Brésil et le Paraguay.

    Ces initiatives à grande échelle ont été mises en œuvre sur une période allant de dix à vingt ans. Pour chaque initiative, des rapports individuels ont examiné les enseignements et ont rassemblé les résultats factuels. En 2021, nous avons publié un dernier rapport de synthèse pour identifier les tendances, les points communs et les différences. Ces informations sont une source précieuse d’information pour le réseau WWF ainsi que pour tous les acteurs intéressés à s’engager dans une restauration de haute qualité au cours de la prochaine décennie. 

    Mariana Muniz, employée de la Reserva Ecológica de Guapiaçu (REGUA), récupère les graines collectées dans la forêt atlantique. Ces graines seront utilisées pour faire pousser de nouvelles plantes dans le cadre des efforts de restauration de la REGUA.

     

    PHOTOGRAPHIE DE Jody MacDonald / WWF-US

    Parmi ces projets, on peut citer la restauration des forêts dans la réserve naturelle de Bukit Piton à Bornéo (Sabah, Malaisie). Bien que récemment protégées, ces forêts étaient en partie dégradées par la surexploitation passée. Sur les 12 000 ha de la réserve, 2 218 ha ont été restaurés au cours des douze dernières années. Cette restauration a été réalisée soit par la replantation de cinquante-cinq espèces natives d’arbres (espèces d’arbres indigènes), soit par la régénération naturelle. La population d’orangs-outans est restée stable, certains individus se réinstallant même déjà dans les parcelles restaurées en seulement douze ans.

    Vue aérienne d'un site de restauration forestière pour la conservation des orangs-outans dans la réserve forestière de Bukit Piton. Bukit Piton, Lahad Datu, Sabah.

     

    PHOTOGRAPHIE DE WWF-Malaysia / Mazidi Abd Ghani

    Il y a aussi eu la restauration du paysage forestier de Fandriana-Marolambo dans le Centre-Est de Madagascar : en 2005, avec le soutien du WWF-France, le WWF-Madagascar a lancé un programme de restauration. Composé d’une forêt tropicale humide entrecoupée de savanes, de plantations forestières et de champs, ce paysage forestier s’étend sur 200 000 ha et abrite quelque 150 000 autochtones. Cette zone fait face à une forte pression due à la déforestation. Durant les treize années de ce projet, cinquante pépinières ont été gérées localement, cultivant cent espèces indigènes différentes. En 2013, plus de 95 000 ha ont été officiellement protégés en tant que parc national, tandis que la gestion des 51 500 ha environnants a été confiée aux organisations communautaires. De plus, près de 7 000 ha étaient en cours de restauration active ou passive. 

    À partir de 2015, le WWF s’est progressivement retiré du terrain, laissant les associations locales prendre pleinement le relai.

    Mère et bébé orangs-outans observés dans la réserve forestière de classe 1 de Bukit Piton.

     

    PHOTOGRAPHIE DE WWF-Malaysia / Edwin Matulin

    Justement, comment le WWF collabore-t-il avec les communautés locales, les gouvernements et toutes les parties prenantes pour contribuer à cette mission, et pouvez-vous nous expliquer les mécanismes de coopération mis en place avec tous ces intervenants ?

    Comme évoqué précédemment, les communautés locales jouent un rôle clé dans la restauration des forêts. Elles peuvent parfois être à l’origine de la dégradation, mais en travaillant avec elles, elles peuvent devenir une partie de la solution. Pour que cela fonctionne, il est essentiel de les sensibiliser et de les associer à une vision d’avenir différente pour leur territoire ! Cela peut être réalisé en les aidant à mettre en place des alternatives aux activités destructives, comme par exemple des pratiques agricoles ne nécessitant pas de culture sur brûlis, mais aussi des activités générant d’autres sources de revenus durables. De plus, il est important de les mobiliser pour produire des plants destinés à être replantés dans leur environnement naturel, ainsi que pour entretenir et gérer les forêts. 

    À long terme, la restauration des forêts ne peut être viable que si les communautés s’approprient pleinement les objectifs du territoire, en participant activement à les définir. Dès le début d’un projet, il est primordial de travailler à une bonne compréhension de leurs besoins, de les associer aux choix de restauration et de développer une gouvernance aussi large que possible, qui permet à tous de s’exprimer et d’agir, notamment les associations de femmes et de jeunes qui sont souvent les plus dynamiques.

    Plantation de semis à Usambara Est, Tanzanie.

     

    PHOTOGRAPHIE DE Juha-Pekka Kervinen / WWF

    Quelles sont les mesures et actions de préservation mises en place pour garantir la durabilité et la résilience des écosystèmes forestiers une fois qu’ils ont été repeuplés ?

    Comme je le disais, restaurer une forêt dégradée demande un véritable travail à long terme. Il est nécessaire d’effectuer un suivi et une évaluation des impacts des projets comme leur impact sur la biodiversité, le renouvellement des arbres, la séquestration du carbone et les besoins des communautés... Cela permet également de corriger les erreurs, les échecs, et d’apprendre au fur et à mesure des projets. Et surtout, de s’adapter à un climat de plus en plus incertain en ces temps de changement climatique. 

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