L'esclavage moderne et les fantômes du passé

Près de 170 ans après l’abolition de l’esclavage en France, une nouvelle initiative internationale vient de voir le jour. Elle est dédiée aux legs de l’esclavage en Afrique et en Europe.

De Juliette Heuzebroc
Des femmes se relaient dans une fabrique de briques. De nombreuses femmes se retrouvent dans la ...
Des femmes se relaient dans une fabrique de briques. De nombreuses femmes se retrouvent dans la position d'exercer des métiers pénibles pour rembourser leurs dettes contractées pour payer des soins médicaux, des funérailles... Les familles les plus pauvres sont retenues captives jusqu'au remboursement des dettes, parfois sur plusieurs générations. La plupart des millions d'esclaves pour dettes vivent en Inde, au Pakistan, au Bangladesh et au Népal.
PHOTOGRAPHIE DE Jodi Cobb

« Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. » rappelle l'Article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme des Nations Unies. Pourtant aujourd'hui encore, les fantômes du passé colonial et les formes modernes d'esclavage continuent de coexister.

 

L’ESCLAVAGE MODERNE, UNE DANGEREUSE CROISSANCE

40 millions. C’est le nombre de personnes victimes d’esclavagisme moderne en 2016. Sur les cinq dernières années, c’est plus de 89 millions de personnes à travers le monde qui ont été victimes d’esclavagisme moderne. Ce phénomène est conforté par l’absence de toute référence à l’esclavage dans la législation internationale. Dans un rapport publié en septembre sur « l’esclavage moderne et le travail des enfants », l’Organisation internationale du travail (OIT) rappelle la difficulté à encadrer une définition de l’esclavage moderne tant ses formes sont diverses et les lois approximatives. La démarche est inédite puisque, pour la première fois, elle permet de recouper les données de l’OIT, de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et de la Walk Free Foundation, toutes trois à l’initiative du rapport. La recherche rapporte qu’environ 25 millions de personnes concernées étaient soumises au travail forcé et 15 millions étaient victimes de mariages forcés. Parmi ces 40 millions d’esclaves contemporains, on sait que la répartition est disproportionnée : il apparaît que plus de 71 % sont des femmes, soit 29 millions de femmes et de petites filles. Le chiffre est d'autant plus important pour l'industrie du sexe, dans laquelle plus de 99 % des esclaves modernes sont des femmes.

À ces chiffres, il faut ajouter plus de 152 millions d’enfants entre 5 et 17 ans victimes de travail forcé, avec en tête le travail agricole suivi du travail de service puis du travail industriel. L’Afrique est le continent employant le plus d’enfants (72,1 millions) devant l’Asie et la région pacifique (62 millions) puis les Amériques (10,7 millions) ainsi que l’Europe et l’Asie centrale (5,5 millions) et les Etats arabes (1,2 millions). Et ces chiffres ne concernent que le travail forcé, ils sont à compléter avec les 5,7 millions d’enfants mariés de force, soit 37 % de l’ensemble des mariages forcés.

De jeunes garçons passent un œil dans une toile tendue, en Inde. Plus de 300 000 enfants indiens travaillent dans l'industrie des tapis. La plupart sont des esclaves.
PHOTOGRAPHIE DE Jodi Cobb

 

LA MÉMOIRE DES FANTÔMES DU PASSÉ

Dans un devoir de mémoire et de legs, l’Europe lance cette année un nouveau projet consacré au « patrimoine » légué par l’esclavage : SLAFNET. Il s’agit d’une grande première dans le travail des sciences humaines et sociales. Coordonné par l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), le projet SLAFNET rassemble une équipe d’une cinquantaine de chercheurs pluridisciplinaires venus d’Afrique et d’Europe. SLAFNET cherche à remplir quatre objectifs principaux :

? Comprendre les questions relatives à la citoyenneté, à la marginalisation et à l’injustice dans les sociétés post-esclavagistes en Afrique et en Europe

? Analyser la dialectique entre le souvenir et l’oubli de l’esclavage

? Initier une réflexion sur les processus de patrimonialisation de cette histoire à l’échelle individuelle et nationale.

? Réaliser un inventaire des bases de données des ressources existantes sur l’esclavage dans l’Atlantique et l’océan Indien occidental

Le projet, financé à hauteur de 1 107 000 € sur trois ans par la Commission Européenne, mobilise, entre autres, le Kenya, l’Île Maurice, le Cameroun, l’Ethiopie, le Sénégal, l’Allemagne, le Portugal, le Royaume-Uni et la France, pays historiquement connus pour leurs rôles passés d'esclavagés ou d'esclavagistes. SLAFNET se présentera par trois types d’actions : formation, recherche et valorisation, afin de promouvoir et soutenir la coopération entre chercheurs et institutions des deux continents ; renforcer le soutien aux jeunes chercheurs africains et européens et développer de nouvelles synergies avec le monde académique et non-académique.

SLAFNET n’est pas la seule initiative internationale contribuant à ce travail sur l’histoire de l’esclavage. Créé en 1994 à l’initiative de l’UNESCO, « La Route de l’esclave » lutte quotidiennement pour briser le silence autour de la traite négrière et cherche à promouvoir mondialement le rapprochement des peuples à travers ce patrimoine commun. Le projet a notamment contribué à la reconnaissance de la traite négrière comme crime contre l’humanité en 2001.

À travers cette entité, l’UNESCO a pu mettre en place des comités régionaux à Cuba, au Bénin et au Portugal entre autres, ainsi que des réseaux scientifiques en Amérique latine, aux Caraïbes, dans le monde arabo-musulman, etc. Concrètement, des projets culturels et éducatifs sont créés pour renforcer la prise de conscience de l’esclavage et surtout de ses conséquences, ainsi que la sauvegarde des sites de mémoire et d’archives.

Reconnaître les fantômes du passé pour mieux percevoir les douleurs présentes, un double pari pour l'Union Européenne, dans un souci d'unification et de pacification.

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