Les effets des vols spatiaux décryptés grâce aux jumeaux Kelly

En comparant Scott Kelly à son frère jumeau resté sur Terre, les scientifiques commencent à démêler les effets génétiques, physiques et cognitifs d'un voyage dans l'espace.

De Catherine Zuckerman
L'astronaute Scott Kelly (à droite) et son frère jumeau, l'ex-astronaute Mark Kelly, donnent une conférence de ...
L'astronaute Scott Kelly (à droite) et son frère jumeau, l'ex-astronaute Mark Kelly, donnent une conférence de presse avant le départ de Scott pour sa mission d'un an à bord de la Station spatiale internationale.
PHOTOGRAPHIE DE Robert Markowitz, NASA

La médecine adore les jumeaux, leur patrimoine génétique et leurs caractéristiques physiques quasi identiques en font des sujets d'étude idéaux pour analyser les effets des changements d'environnement sur les réactions humaines. Lorsque ces jumeaux sont également astronautes, c'est un véritable trésor pour la science. C'est pourquoi la NASA n'a pas hésité un seul instant lorsque l'astronaute Scott Kelly a suggéré que lui et son frère, Mark, pourraient faire l'objet d'une étude sur les effets d'un vol spatial longue durée sur la santé.

Une étude sans précédent venait de voir le jour : Scott serait envoyé dans la Station spatiale internationale pour y séjourner pendant un an, période au cours de laquelle il travaillerait et vivrait comme le font habituellement les astronautes aux frontières de la microgravité. Pendant ce temps, sur Terre, Mark servirait de témoin génétique identique, vivant quant à lui la vie d'un terrien lambda.

Cette expérience de haut vol a débuté le 27 mars 2015 pour se finir le 2 mars 2016. Avant, pendant et après cette période d'un an, les deux jumeaux ont été étudiés en continu par une équipe pluridisciplinaire de scientifiques à travers des analyses moléculaires, physiologiques et comportementales. Les découvertes de l'étude, publiées aujourd'hui dans un article du journal Science, apportent toute une palette d'indices qui pourraient être utiles aux futures missions humaines sur la lune, sur Mars et au-delà.

Ce voyage dans l'espace a-t-il provoqué des changements profonds chez Scott Kelly ? Les longs séjours de l'Homme dans l'espace sont-ils voués à l'échec ?

 

COMMENT LE CORPS DE SCOTT A-T-IL RÉAGI À CETTE ANNÉE PASSÉE DANS L'ESPACE ?

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    Après un séjour de six mois dans la SSI en 2011, l'astronaute Scott Kelly observe l'horizon à travers la fenêtre d'un hélicoptère de recherche et de sauvetage avant un voyage de deux heures pour Kustanay, au Kazakhstan, juste après avoir atterri à proximité de la ville d'Arkalyk.
    PHOTOGRAPHIE DE Bill Ingalls, NASA

    De manière générale, Scott est resté en bon état de santé lorsqu'il était à bord de la SSI. Toutefois, en observant les données comparatives, les scientifiques ont noté de légères différences entre son frère et lui.

    L'une de ces différences concerne les coiffes de protection situées à l'extrémité des chromosomes, connues sous le nom de télomères. Ces fragments de matériel génétique sont des biomarqueurs du vieillissement et des menaces potentielles sur la santé, rapporte la coauteure de l'étude Susan Bailey, chercheuse médicale à l'université d'État du Colorado. Pendant son séjour à bord de la SSI, les télomères de Scott se sont allongés, il est toutefois difficile de connaître à ce stade les effets, s'il y en a, d'une telle élongation.

    Les chercheurs ont également mis en évidence des anomalies comme des inversions ou des translocations chromosomiques et des dommages subis par son ADN ainsi que des changements dans l'expression de ses gènes. En dehors de ces conséquences génétiques, Scott a également développé un épaississement de la rétine et de son artère carotide. La flore intestinale de Scott a également subi quelques modifications qui diffèrent de celles subies par son jumeau resté sur Terre.

    Scott Kelly se tient dans une Extravehicular Mobility Unit (EMU) lors d'un entraînement sur Terre en 2010.
    PHOTOGRAPHIE DE Mark Sowa, NASA

     

    À SON RETOUR SUR TERRE, TOUT EST-IL REDEVENU NORMAL ? 

    Pas complètement. Plus de 90 % du patrimoine génétique de Scott est revenu à la normale mais quelques changements ont subsisté. Par ailleurs, même si la plupart de ses télomères ont rapidement retrouvé leur longueur habituelle à son retour, certains sont devenus plus courts qu'ils ne l'étaient avant le décollage. Ce rétrécissement pourrait constituer un problème qui mérite d'être plus longuement étudié chez d'autres astronautes, indique Bailey par e-mail, « car les télomères courts ont été associés à une baisse de la fertilité » ainsi qu'à la démence, à des maladies cardiovasculaires et à certains cancers.

    Toutefois, en l'état tout cela ne prouve rien, met en garde Carol Greider, prix Nobel de biologie moléculaire non impliquée dans l'étude. « Nous ne connaissons pas la corrélation et les variations de la longueur des télomères des jumeaux sur Terre, » précise-t-elle par e-mail, « on ne sait donc pas à quoi s'attendre. »

    Certaines inversions chromosomiques ont également persisté, ajoute Bailey, « ce qui pourrait contribuer à une instabilité génomique et donc augmenter les risques de développer un cancer. » Dans les mois qui ont suivi son retour, les chercheurs ont également remarqué une diminution persistante de ses capacités cognitives.

    « Son état cognitif ne s'aggravait pas mais il ne s'améliorait pas non plus, » confie le coauteur de l'étude Matthias Basner, du département du sommeil et de la psychiatrie de l'université de Pennsylvanie.

     

    UN LONG SÉJOUR DANS L'ESPACE VOUS REND DONC MALADE ET MOINS INTELLIGENT ?

    En aucun cas. Tout d'abord, l'équipe de recherche au complet souhaite insister sur les lacunes induites par la très petite taille de l'échantillon étudié.

    « La principale réserve à émettre est qu'ici n = 1, » déclare Basner, étant le symbole utilisé par les scientifiques pour quantifier la taille d'un échantillon ou le nombre de participants. « Si l'on compte Mark, alors au mieux n = 2. » Sans étudier davantage de sujets, il est impossible de savoir avec certitude si les effets constatés sur la santé de Scott sont spécifiques à sa propre physiologie ou s'ils représentent plus généralement la réaction de la majorité face à de telles conditions.

    « Les changements persistants observés étaient très légers et il faudrait les retrouver chez d'autres astronautes avant de les imputer au vol spatial, ou même de les considérer comme différents d'une évolution normale, » explique le coauteur de l'étude Andy Feinberg de l'université Johns Hopkins. (Découvrez la différence entre une mutation de la séquence génétique et des changements dans l'expression génétique.)

     

    L'ÉTUDE COMPORTE-T-ELLE D'AUTRES BIAIS ?

    Bien que cette étude fasse la lumière sur les potentiels risques des vols spatiaux prolongés, elle n'apporte pas pour autant de réponses sur ce qui attend les astronautes qui s'aventureront dans une mission à destination de Mars. Cela est dû en partie au fait que la Station spatiale internationale ne se trouve pas dans l'espace lointain à proprement parler, elle est en fait en orbite terrestre basse, ce qui implique qu'elle est toujours protégée par le champ magnétique de notre planète contre les radiations cosmiques les plus dangereuses.

    Les astronautes Stephanie D. Wilson et Mark Kelly flottent à bord du vaisseau spatial Discovery en 2006 alors qu'il est amarré à la Station spatiale internationale.
    PHOTOGRAPHIE DE NASA

    Par ailleurs, la coordination logistique d'une telle étude intégrée constitue également un réel défi. Les chercheurs avaient besoin d'échantillons récents de sang, Scott devait donc se faire prélever du sang alors qu'il était dans l'espace les jours ou du matériel était expédié vers la SSI, afin que les prélèvements puissent être envoyés par retour de navette spatiale en Russie, puis redirigés vers différents laboratoires terrestres.

    Un autre défi résidait dans la faible quantité de sang contenue dans chaque échantillon, raconte Feinberg, ce qui limitait l'étendue des recherches.

    « La quantité de sang que nous pouvions prélever à Scott était inférieure à celle autorisée pour les enfants de passage à l'hôpital, et ce, pour différentes raisons, » fait-il savoir dans un communiqué de presse. « Certaines d'entre elles sont d'ordre logistique et d'autres concernent simplement sa propre sécurité. »

    Mark Kelly se prépare pour un vol à bord d'un avion d'entraînement T-38 en 2006 près du Centre spatial Lyndon B. Johnson de la NASA.
    PHOTOGRAPHIE DE Robert Markowitz, NASA

     

    QUE FAUDRA-T-IL FAIRE POUR CONNAÎTRE LES RÉELS DANGERS DES VOLS SPATIAUX ?

    Afin d'approfondir notre compréhension des effets du vol spatial prolongé sur le corps humain, la NASA prévoit de futures missions d'un an à bord de la SSI ainsi que des études sur Terre.

    Dans l'idéal, ces futures recherches devront intégrer des astronautes travaillant au-delà de l'orbite terrestre basse, par exemple autour de la lune ou même plus loin dans l'espace. L'équipe espère également pouvoir procurer aux astronautes l'équipement et la technologie nécessaires pour analyser leur propre ADN pendant la mission.

    Et si, à tout hasard, cette future équipe d'astronautes pouvait inclure des jumeaux, ce ne serait pas plus mal.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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