Io, la lune la plus volcanique du système solaire

Un nouveau rapport volumineux sur Io, la lune de Jupiter, suggère que ce monde explosif est encore plus étrange qu'on ne le pensait.

De Robin George Andrews
Sur cette photo prise par la sonde Galileo, on distingue nettement un panache volcanique jaillir de ...
Sur cette photo prise par la sonde Galileo, on distingue nettement un panache volcanique jaillir de la surface de Io, la troisième plus grande lune de Jupiter et le corps le plus actif de notre système solaire sur un plan géologique.
PHOTOGRAPHIE DE NASA, JPL, Dlr

Il y a une quarantaine d'années, la sonde Voyager 1 croisait le chemin d'une des plus grandes lunes de Jupiter et faisait au passage la lumière sur un incroyable phénomène : cette lune rocheuse baptisée Io était en fait une championne du volcanisme et présentait en surface les premiers volcans en éruption que l'Homme ait eu l'occasion d'admirer en dehors de la Terre. Sur les centaines de volcans que compte Io, nombreux sont ceux dont la superficie dépasse de loin celles de nos plus grandes villes. Leurs puissantes éruptions donnent parfois naissance à des panaches volcaniques aux proportions surnaturelles, atteignant parfois les 480 km de hauteur.

À présent, des scientifiques lèvent le voile sur plus de cinq ans d'images prises depuis le sommet d'un volcan hawaïen grâce auxquelles ils ont pu recréer l'atlas le plus détaillé de cette mystérieuse lune. Leurs travaux publiés dans la revue The Astronomical Journal témoignent du chemin parcouru depuis les photos granuleuses des panaches volcaniques de Io prises par Voyager.

Les recherches qu'ils ont menées confirment par ailleurs qu'Io est un astre étrange, bien plus étrange et plus difficile à expliquer que quiconque n'avait osé l'imaginer. Les volcans semblent être à la mauvaise place, les éruptions les plus rayonnantes apparaissent comme confinées à un seul hémisphère et Loki Patera, un cratère rempli de lave dont la superficie dépasse les 20 000 km², refuse catégoriquement de se plier aux règles.

Alors certes, ces nouvelles données sont truffées d'énigmes, mais elles n'en sont pas moins un « cadeau pour la communauté des sciences planétaires, » fait remarquer Ashley Davies, coauteur de l'étude et volcanologue au Jet Propulsion Laboratory de la NASA. Après tout, ces éruptions abondantes et primitives sur un plan géochimique sont similaires à celles qui autrefois frappaient la surface de notre planète ; le fait de s'intéresser aujourd'hui à Io est donc une manière de comprendre les éruptions massives survenues ici au cours des 500 millions dernières années.

« C'est une fenêtre sur le passé de la Terre, » conclut Davies.

 

UN BALLET SYNCHRONISÉ

À l'inverse des sommets et des fosses éruptives terrestres, l'activité volcanique sur Io n'est pas alimentée par d'éventuels points chauds piégés au cours de sa formation, ni par la désintégration des composants naturellement radioactifs contenus dans ses roches. Elle est fait le fruit de ses manipulations orbitales.

Io est l'un des quatre satellites galiléens de Jupiter aux côtés de Ganymède, Europe et Callisto. Ces grandes lunes découvertes par Galileo Galilei en 1610 sont toutes visibles depuis la Terre avec un petit télescope. Il s'avère qu'à chaque révolution de Ganymède autour de Jupiter, Io orbite quatre fois et à chaque révolution d'Europe, Io orbite deux fois. Ce phénomène appelé résonance orbitale et plus particulièrement résonance de Laplace dans les proportions des lunes galiléennes de Jupiter contraint Io à adopter un orbite plus elliptique qu'elle ne le ferait autrement et les tiraillements gravitationnels occasionnés entre les satellites entraînent le flux et reflux de la surface solide de Io, avec des différences pouvant atteindre les 100 m.

Combiné à l'attraction gravitationnelle exercée par Jupiter, ce ballet orbital génère par friction une chaleur importante à l'intérieur de Io et produit par conséquent un incroyable volume de magma, ce qu'un article publié en 1979 avait prédit avant même que quiconque ait pu poser les yeux sur les panaches volcaniques qui s'élèvent de la surface du satellite.

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    En raison de son volcanisme bizarre, Io est en proie à des extrêmes redoutables. Son atmosphère instable et éphémère n'est pas assez épaisse pour retenir la chaleur, la température moyenne en surface est donc de - 130 °C. À l'inverse, certaines de ses coulées de laves peuvent atteindre les 1 650 °C, du jamais vu sur Terre.

    Même si Io est âgée d'environ 4,5 milliards d'années, sa production massive de lave indique que sa surface n'a pas plus d'un million d'années, ajoute Alfred McEwen, géologue des planètes à l'université d'Arizona. Ses volcans prennent souvent la forme de chaudrons creusés dans la croûte connus sous le nom de patera. Parfois ils parviennent à contenir leurs coulées de lave mais d'autres fois celles-ci se répandent et de temps en temps, ces pateras explosent en projetant à bonne distance leur contenu.

     

    LE DIEU FARCEUR

    Avec autant de mystères volcaniques à élucider, l'auteure principale de l'étude et planétologue du California Institute of Technology, Katherine de Kleer, s'est tournée vers les observatoires de Keck et Gemini situés au sommet du volcan Mauna Kea sur la Grande ile d'Hawaï en espérant pouvoir étudier dans ses moindres détails l'évolution du comportement de Io. En raison de la forte demande d'accès à ces télescopes, elle devait parfois réduire ses rendez-vous avec Io à des sessions de 20 mns mais au bout de cinq ans, l'accumulation de ces petits entretiens lui a permis de bâtir un ensemble considérable de données.

    Comme à son habitude, le Loki Patera s'est imposé sur le devant de la scène. Plus puissant et plus endurant que n'importe lequel de ses concurrents sur Io, le Loki Patera est responsable d'un vénérable 10 % de la chaleur dégagée par la lune. L'association d'anciennes données à ces observations récentes semble montrer que le volcan s'active et s'éteint tous les 460 à 480 jours, ce qui d'après de Kleer correspond aux variations répétées intervenant dans la forme de l'orbite de Io.

    De plus amples données sont nécessaires pour confirmer cette tendance et, pour le moment, il est difficile de déterminer si des volcans ioniens moins puissants suivent un cycle similaire. Selon McEwen, c'est une hypothèse raisonnable puisque la luminosité des panaches s'élevant du pôle sud de la lune glacée Encelade fluctue également en fonction de son orbite autour de Saturne.

    Cependant, de Kleer préfère rester prudente étant donné la fâcheuse tendance du Loki Patera à contredire tous les articles écrits au sujet de son comportement peu de temps après leur publication.

    En effet, il y a un peu plus d'un an, une équipe dirigée par Julie Rathbun, scientifique du Planetary Science Institute, s'était servie de l'apparent cycle de luminosité et d'assombrissement du Loki Patera pour prédire la prochaine éruption à mai 2018, et elle avait eu raison. Sur cette lancée, les mêmes chercheurs avaient ensuite prédit une éruption en septembre de cette année ; quelle ne fut pas leur déception lorsqu'au mois de juillet l'activité volcanique du Loki Patera atteignit son paroxysme avant de replonger dans le silence quelques jours plus tard, défiant là encore toutes les prédictions.

    « Nous devons absolument arrêter de donner des noms de dieux farceurs aux reliefs ! » plaisante Rathbun.

    On pense que le cycle lumineux du Loki Patera pourrait être influencé par la régénération du lac de lave. Lorsque certaines parties du lac de lave du satellite se refroidissent, elles plongent sous la surface et pourraient déclencher une série de larges vagues progressives visibles en surface. Malheureusement, comme le fait remarquer Davies, il est assez difficile d'obtenir des réponses satisfaisantes en comparant Loki aux lacs de lave présents actuellement sur Terre car la différence de taille est telle qu'une simple mise à l'échelle des mécanismes terrestres ne suffit pas.

     

    DES QUESTIONS ARDENTES

    Les données semblent également confirmer un autre mystère ionien : les éruptions les plus brillantes ont le monopole dans l'hémisphère en permanence tourné vers Jupiter. Personne ne peut réellement expliquer ce biais volcanique pour le moment, de Kleer le qualifie d'ailleurs « d'entièrement énigmatique à ce stade. »

    En outre, les volcans eux-mêmes semblent ne pas s'être installés là où tous les modèles affirment qu'ils devraient se trouver. En se basant sur les régions intérieures du satellite chauffées par les forces gravitationnelles, les modèles estiment que les volcans devraient se concentrer à proximité des pôles ou de l'équateur. Cependant, les observations montrent que les positions réelles des volcans de Io ne correspondent à aucun modèle majeur de réchauffement.

    Les débats s'animent également autour de l'aspect de la sous-surface infernale du satellite. Dans les années 1990 et au début des années 2000, la sonde spatiale Galileo a fourni aux experts des preuves laissant penser qu'un océan colossal de magma se cachait sous la surface. Il n'est toutefois pas impossible que cet immense océan soit en fait plusieurs poches de magma ou même une seule couche spongieuse imbibée de fluide.

    Il existe également sur Io des éruptions explosives si puissantes qu'une seule d'entre elles est capable de doubler la luminosité du satellite. En 2013, de Kleer avait observé trois de ces éruptions en l'espace de deux semaines et depuis, malgré les cinq années passés à scruter cette lune, plus rien. « C'est bizarre, » commente-t-elle. « Où sont-elles passées ? »

     

    UNE VISION NOUVELLE

    Même s'il peut sembler que cette nouvelle étude apporte plus de questions que de réponses, les travaux font la lumière sur les différentes façons dont une connaissance approfondie de Io pourrait aider à percer certains mystères sur Terre et sur d'autres corps géologiquement actifs.

    « L'histoire de la volcanologie est la suivante, on observe d'anciens dépôts sans vraiment les comprendre, » explique McEwen. « Puis on assiste à une éruption et là on se dit, Ah-ha, maintenant je comprends. » Eh bien, de la même façon, le fait d'observer des éruptions sur Io pourrait nous aider à recoller les morceaux de l'histoire des éruptions sur notre planète. Et ce, en particulier pour les Trapps de Sibérie dont les éruptions longues et puissantes auraient vraisemblablement provoqué l'extinction de masse la plus importante que la Terre ait connue.

    Comprendre les effets de la source de chaleur de Io pourrait permettre de lever le voile sur les forces en jeu dans les profondeurs des mondes aquatiques comme Encelade. Là, des forces similaires de friction marémotrice pourraient avoir provoqué, suite à l'influence des conditions géothermiques, l'apparition d'un océan liquide sous la coque de glace du satellite saturnien. Un océan qui pourrait potentiellement accueillir la vie.

    « Io a réellement transformé notre vision de l'avenir de l'exploration et a redéfini nos attentes, » conclut Linda Morabito qui fut la première à déceler l'activité volcanique de Io alors qu'elle travaillait au Jet Propulsion Laboratory de la NASA en 1979. Il n'est donc pas étonnant d'apprendre que McEwen et ses collègues ont bon espoir d'envoyer un jour une sonde spatiale faire le tour de Io, un événement que l'on pourrait considérer comme la reconnaissance ultime de ces observations révolutionnaires faites depuis la Terre du phare de notre système solaire.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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