Les lentilles gravitationnelles pourraient aider à comprendre l'expansion de l'univers

Une nouvelle méthode de mesure de la vitesse d'expansion de l'univers pourrait aider les astronomes à affronter une potentielle crise cosmologique.

De Michael Greshko
Publication 17 sept. 2019, 14:39 CEST
Sur cette image qui associe les données de l'Observatoire de rayons X Chandra et du télescope ...
Sur cette image qui associe les données de l'Observatoire de rayons X Chandra et du télescope spatial Hubble, on aperçoit les images multiples d'un lointain quasar. Au premier plan, une galaxie massive déforme si intensément la lumière du quasar qu'elle agit comme une lentille et génère cette apparente duplication.
PHOTOGRAPHIE DE Imagerie à rayons X : NASA/CXC/Univ of Michigan/R.C.Reis et al; Optique : NASA/STSCI

Depuis l'explosion qui lui a donné naissance il y a plus de 13 milliards d'années, l'univers n'a cessé de s'étendre et les galaxies de s'éloigner les unes des autres. Afin de cerner les lois physiques qui régissent le cosmos, les astronomes tentent depuis fort longtemps de mesurer l'un des nombres les plus importants en cosmologie, la constante de Hubble, ou H0, qui permet de jauger le rythme auquel cette expansion s'effectue et donc d'estimer l'âge de l'univers.

Récemment cependant, les diverses tentatives pour calculer cette constante se sont transformées en crise cosmologique : l'univers semble s'étendre plus vite que prévu. S'il est confirmé, ce résultat déconcertant obligerait les astrophysiciens à repenser les fondamentaux de notre univers car à l'heure actuelle, ils ne permettent pas d'expliquer un tel changement même en tenant compte de l'énergie noire, cette force mystérieuse qui pousse l'expansion de l'univers à s'accélérer.

À présent, des chercheurs évoquent une nouvelle façon de s'intéresser au problème en observant des galaxies si massives qu'elles déforment l'espace-temps autour d'elles et courbent les rayons lumineux lointains comme de gigantesques lentilles.

Les résultats publiés dans la revue Science le jeudi 12 septembre ne jettent pas un pavé dans la mare. Avec ses marges d'erreur, la dernière mesure correspond aux précédents essais visant à déterminer cette valeur cosmique. En revanche, prise en tant que preuve de concept, cette étude démontre que la nouvelle méthode fonctionne, ce qui est intéressant car elle repose sur un nombre réduit d'hypothèses relatives à la structure de notre univers par rapport aux autres méthodes de calcul de la constante de Hubble.

« On peut apporter un tout nouveau point de vue à la mesure de la constante de Hubble, » déclare l'auteure principale de l'étude Inh Jee, qui a réalisé cette étude en tant que chercheure postdoctoral à l'Institut Max-Planck d'astrophysique.

 

L'ATTAQUE DES CLONES

Jusqu'à il y a peu, les astronomes n'avaient à leur disposition que deux méthodes majeures pour calculer la constante de Hubble.

Pour déduire sa valeur de l'univers primitif, les scientifiques utilisent les données communiquées par le satellite Planck qui mesurait jusqu'à sa fin de mission en 2013 le fond diffus cosmologique, les dernières lueurs émises environ 380 000 ans après le Big Bang. Sous certaines conditions quant à la nature fondamentale de l'univers, les données de Planck suggèrent que la constante de Hubble devrait être de 67,4 km/s/Mpc (kilomètres par seconde par mégaparsec), plus ou moins 0,5. Un parsec étant une distance égale à 3,26 années-lumière et un mégaparsec correspondant à un million de parsecs.

Les chercheurs peuvent également estimer la constante de Hubble à partir d'étoiles et de galaxies bien plus récentes et ces méthodes ne reposent pas sur des hypothèses. Certains types d'étoiles et d'explosions stellaires ont une luminosité fixe ; en comparant cette valeur à la luminosité observée, les chercheurs peuvent déduire la distance à laquelle se trouvent ces objets. Les astronomes relient ensuite ces distances au rythme auquel la vitesse d'expansion de l'univers éloigne ces étoiles de notre planète, ce qu'ils peuvent détecter dans les variations lumineuses de ces objets. Cette approche, affinée par un groupe de recherche nommé SH0ES, aboutit à une constante de Hubble égale à 73,5, plus ou moins 1,7.

« J'apprécie particulièrement l'analogie suivante : vous mesurez la taille d'un enfant de deux ans et essayez de prédire la taille qu'il fera à l'âge adulte puis vous le mesurez lorsqu'il a atteint cet âge et là, vous vous dites, 'Mon dieu, ce n'est pas cohérent du tout, il fait 30 cm de plus que prévu !' » illustre Adam Riess, leader du groupe SH0ES et astronome à l'université Johns-Hopkins.

Afin de vérifier si cet écart est bien réel, les astronomes ont mis au point d'autres méthodes indépendantes de calcul de la constante de Hubble. C'est là qu'intervient COSMOGRAIL. Cette initiative suisse cherche et surveille les lentilles gravitationnelles, des régions de l'espace suffisamment denses pour déformer l'espace-temps et courber la lumière qui les traverse.

Ces lentilles gravitationnelles se retrouvent parfois directement entre la Terre et un objet lointain. La lumière qu'il émet est alors si intensément courbée que nous apercevons plusieurs images de l'objet clonées sur les contours de la lentille. Ces images ne sont pas temporellement synchronisées. La lumière d'une image a pu être moins déformée, sa trajectoire sera donc plus directe et elle nous parviendra plus rapidement. La lumière d'une autre image a pu être retardée en traversant une portion de l'espace-temps particulièrement altérée.

COSMOGRAIL s'intéresse aux lentilles gravitationnelles rétroéclairées par des quasars, des objets extrêmement brillants alimentés par des trous noirs supermassifs. Le principe est le suivant : les images du quasar à travers la lentille scintilleront tout comme le fait le quasar, mais pas toutes en même temps. Ces légers décalages dépendent de la distribution de la masse au sein de la lentille et des distances entre nous, le quasar et la lentille. Donc, si les chercheurs parviennent à déterminer la masse nécessaire pour obtenir le mirage observé, ils peuvent l'associer aux écarts temporels pour estimer la constante de Hubble.

Un groupe de collaboration internationale baptisé H0LiCOW a déjà utilisé cette approche et leur estimation de la constante de Hubble (73,3, plus ou moins 1,8) s'accorde avec les résultats de SH0ES. En juillet, H0LiCOW annonçait qu'il y avait moins d'une chance sur 10 millions que la différence entre les résultats combinés de deux équipes et la valeur de Planck ne soit due qu'au hasard.

 

LE RÉVEIL DE LA FORCE

Et comme le démontrent à présent Jee et ses collègues, les mirages de quasars d'H0LiCOW sont une réelle corne d'abondance : ils peuvent être remaniés d'une façon totalement différente pour estimer la constante de Hubble.

Si la matière au centre d'une lentille gravitationnelle est une galaxie, les chercheurs peuvent mesurer la vitesse de rotation de ses étoiles puis associer cette donnée aux décalages temporels afin de déterminer la taille de cette galaxie. En comparant son diamètre réel à celui observé dans notre ciel, les chercheurs peuvent ensuite déduire la distance qui sépare la galaxie-lentille de notre planète.

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    Jee et ses collègues se sont concentrés sur deux objets baptisés B1608+656 et RXJ1131-1231, des lentilles gravitationnelles qui courbent la lumière de lointains quasars. À l'aide de la nouvelle méthode, ils ont déterminé que B1608+656 se situait à quatre milliards d'années-lumière de la Terre et RXJ1131-1231 à 2,6 milliards d'années-lumière. 

    Ils ont ensuite combiné ces distances aux variations de lumière des galaxies pour étalonner leurs estimations de la constante de Hubble. Les résultats des chercheurs indiquent que sa valeur serait de 82,4, plus ou moins 8,4, ce qui place la constante dans la même fourchette que les valeurs communiquées par H0LiCOW et SH0ES.

    Coauteure de l'étude, Sherry Suyu précise qu'H0LiCOW tire déjà profit de cette nouvelle méthode pour affiner son estimation de la constante et ajoute qu'à l'avenir, la méthode mise au point par Jee aura de plus amples données à sa disposition. Comme le rappelle Suyu, ces dernières années les astronomes ont trouvé près de 40 nouveaux systèmes de lentilles rétroéclairées par des quasars comme celui utilisé par l'étude publiée dans Science.

    « C'est plutôt remarquable, » observe Suyu, responsable de groupe à l'Institut Max Planck d'astrophysique. « On peut mesurer la distance qui nous sépare d'une galaxie située à plusieurs milliards d'années-lumière avec une marge d'erreur de quelques pour cent, ce qui est plutôt satisfaisant. »

    Pendant que l'étude de Jee subissait l'habituelle évaluation par des pairs, un autre article rédigé par Radosław Wojtak et Adriano Agnello publié plus tôt cette année dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society démontrait également que la technique des lentilles fonctionne.

    « Ce n'est que le point de départ de cette méthode, » affirme Wojtak, astrophysicien à l'université de Copenhague. D'autres méthodes vont voir le jour. À l'avenir, la détection de remous dans l'espace-temps connus sous le nom d'ondes gravitationnelles et provoqués par la collision d'étoiles à neutrons pourrait apporter de nouvelles estimations.

    Pour l'instant, la cosmologie se tient toujours au bord du gouffre et pourrait être sur le point de basculer dans l'inconnu.

    « La principale préoccupation, selon moi, est de savoir si notre modèle cosmologique est en danger, » conclut Wojtak. « Je ne connais pas la réponse à cette question mais je peux vous dire que nous allons bientôt devoir envisager très sérieusement cette option. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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