Ce mystérieux objet cosmique a été « avalé » par un trou noir

Un objet non identifié s'est laissé dévorer par un trou noir au cours d'une fusion cosmique qui a libéré suffisamment d'énergie pour courber l'espace-temps.

De Nadia Drake
Publication 25 juin 2020, 17:07 CEST
Cette illustration représente deux trous noirs tourbillonnant l'un autour de l'autre avant de fusionner, ainsi que ...

Cette illustration représente deux trous noirs tourbillonnant l'un autour de l'autre avant de fusionner, ainsi que les ondes gravitationnelles émises par le processus. Les bandes orange correspondent aux plus grandes quantités de rayonnements en provenance du système. Dans cette fusion, observée le 14 août 2019 par les détecteurs d'ondes gravitationnelles Virgo et LIGO, le plus petit objet a une masse 2,6 fois supérieure à celle du Soleil, une taille mystérieuse qui laisserait apparaître la frontière entre une étoile à neutrons et un trou noir.

Image de N. Fischer, S. Ossokine, H. Pfeiffer, A. Buonanno Institut Max-Planck de physique gravitationnelle, Simulating eXtreme Spacetimes SXS Collaboration

Une étrange collision a fait vibrer l'univers.

À 800 millions d'années-lumière environ, un objet non identifié s'est laissé dévorer par un trou noir au cours d'une fusion cosmique qui a libéré suffisamment d'énergie pour courber l'espace-temps. Ces remous, appelés ondes gravitationnelles, ont traversé l'univers à toute vitesse pour s'échouer sur les rivages cosmiques de notre planète le 14 août 2019. De là, trois détecteurs suffisamment sensibles pour mesurer des perturbations aussi infimes ont enregistré la fusion et lorsque les astronomes se sont essayés au décodage de l'information contenue dans les ondes gravitationnelles, ils se sont heurtés à une énigme.

Baptisée GW190814, la collision se distingue des dizaines de fusions cosmiques détectées par Virgo, un interféromètre installé en Italie fruit de la collaboration entre cinq pays européens dont la France, et son homologue aux États-Unis, le Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory (LIGO), conjointement supervisé par plusieurs universités américaines. Pendant des millions voire des milliards d'années, les deux objets ont tourné l'un autour de l'autre en formant une spirale à mesure qu'ils se rapprochaient jusqu'à entrer en collision. Les astronomes ont déterminé que l'un de ces objets était un trou noir d'une masse égale à 23 masses solaires. L'autre, dont le premier n'a fait qu'une bouchée, dépassait à peine les 2,6 masses solaires, un objet mystère qui échappe à toute définition.

« Nous n'avons jamais vu, à ma connaissance, quoi que ce soit de ce genre, » déclare Vicky Kalogera de l'université Northwestern qui a coordonné le rapport sur la fusion publié hier dans la revue Astrophysical Journal Letters.

L'objet mystère en question se situe pile entre l'étoile, vêtue d'une surface, et le trou noir, un trou béant dans l'espace-temps. Sa masse le place dans une zone d'ombre entre les étoiles à neutrons les plus lourdes connues à ce jour, nées de l'explosion d'une étoile en supernova, et les trous noirs les moins massifs, des points de densité infinie formés par l'affaissement d'un reliquat stellaire suffisamment compact.

Où se situe la frontière entre une étoile à neutrons et un trou noir ? C'est l'une des questions qui occupent aujourd'hui l'esprit des scientifiques, car cette frontière leur permettrait d'en apprendre plus sur le comportement de la matière dans les conditions les plus extrêmes de l'univers. Et puisque ces objets exotiques marquent l'étape finale de l'évolution d'une étoile, à un certain point, lorsque toutes les étoiles se seront consumées, ils pourraient bien être les derniers corps à la dérive au beau milieu d'un océan cosmique à l'abandon. Tout cela confère un intérêt majeur à l'identification de l'objet aperçu dans la collision GW190814.

« Si c'est une étoile à neutron, sa masse est surprenante. Si c'est un trou noir, sa masse est tout aussi surprenante, » résume Kalogera. « Quoi qu'il en soit, nos antennes se sont dressées en l'apercevant. »

 

À L'ÉCOUTE DE LA GRAVITÉ

En traversant l'univers à la vitesse de la lumière, les ondes gravitationnelles bousculent tout sur leur passage. Cependant, la déformation de l'espace-temps qu'elles provoquent est si infime qu'elles sont incroyablement difficiles à détecter. Pour cela, les détecteurs LIGO à Washington et en Louisiane, ainsi que le détecteur Virgo en Italie, chronomètrent les allers-retours de la lumière d'un rayon laser, la moindre variation du temps de parcours reflétant un mouvement de contraction et d'expansion de l'espace-temps.

Les efforts de détection ont porté leurs fruits pour la première fois en 2015, avec une observation récompensée par le prix Nobel de physique. Depuis, la plupart des détections concernaient des duos de trous noirs en collision. Les astronomes ont également détecté des frémissements de l'espace-temps causés par la collision d'étoiles à neutrons. En revanche, contrairement à ces premières observations, les chercheurs s'interrogent toujours quant à la véritable nature des objets impliqués dans GW190814.

Alors que le plus massif des deux semble clairement être un trou noir, l'autre objet figure sur la courte liste des corps célestes dont la masse se situe entre 2,5 et 5 masses solaires, entre les étoiles à neutrons et les trous noirs, un intervalle appelé « mass gap » que l'on pourrait traduire par « lacune dans la distribution de masses » d'après le CNRS. À un certain point dans cet intervalle, la matière devient instable et s'effondre pour former un trou noir ; les étoiles à neutrons existent quant à elles juste avant cette limite.

« La nature impose une limite de densité à la matière stable, » explique Zaven Arzoumanian, directeur scientifique du programme NICER de la NASA au Goddard Space Flight Center, axé sur l'étude des étoiles à neutrons depuis la Station spatiale internationale. « Mais nous ne savons pas quelle est cette limite ni ce qu'il advient de la matière de l'autre côté, » poursuit-il.

Les observations suggèrent que les étoiles à neutrons n'existeraient pas au-delà des 2,1 masses solaires et la plupart se situent plutôt autour de 1,4 masse solaire, indique Feryal Özel qui étudie les limites de ces objets au sein de l'université d'Arizona. Certaines observations sous-entendent l'existence d'étoiles à neutrons encore plus massives, autour de 2,5 masses solaires, mais les données ne sont pas aussi solides pour le moment. De plus, les théories relatives aux propriétés physiques internes des étoiles à neutrons ont du mal à déterminer ce qui empêcherait l'étoile de s'effondrer après une telle prise de masse.

De l'autre côté du mass gap se trouvent les trous noirs les plus légers jamais observés avec une masse approchant les 5 masses solaires. Jusqu'à récemment, l'entre-deux était pratiquement dépeuplé. On notera toutefois l'existence d'un objet, détecté par LIGO, produit par la collision de deux étoiles à neutrons et approchant les 2,7 masses solaires.

Pour le moment, personne ne sait si le trou noir de la dernière fusion a jeté son dévolu sur l'un de ses semblables ou une étoile à neutrons.

« Si c'est une étoile à neutrons, en d'autres termes si une étoile à neutrons peut atteindre les 2,6 masses solaires, alors nous sommes face à un changement de paradigme, » affirme Özel.

Avec Kalogera, elles soupçonnent l'objet mystère d'être un modeste trou noir. « Nous ne disposons d'aucune explication physique pour l'existence d'un trou noir de 2,6 masses solaires, » indique Özel. Toutes deux s'accordent à dire qu'il sera difficile de percer le mystère. Le système est bien trop éloigné pour être étudié par d'autres observatoires. De plus, le rapport élevé des masses a éclipsé un indice potentiel : si le trou noir avait été moins massif, nous aurions assisté à la déformation puis la dislocation de l'étoile à neutrons en approche, mais l'objet a été avalé d'un seul tenant. Un repas plus brouillon aurait laissé des traces identifiables dans les ondes gravitationnelles.

« Je ne pense pas que nous aurons une chance d'identifier cet objet, » admet Özel. « Les signes avant-coureurs d'une étoile à neutrons ne sont tout simplement pas présents, mais leur absence ne signifie rien non plus. »

 

ORIGINE INCONNUE

Même sans connaître l'une de leurs deux identités, les protagonistes de la fusion GW190814 restent fascinants en raison de leur disproportion. La majeure partie des collisions observées par LIGO et Virgo impliquaient des binômes de masse relativement similaire ; mais avec 23 masses solaires sur la balance, le trou noir de notre tandem est près de neuf fois plus lourd que son poids plume de partenaire.

« C'est un rapport sans précédent, » témoigne Özel. « Il ouvre la voie à des tests gravitationnels que nous n'avons jamais pu faire auparavant et soulève des questions sur la façon dont se forment ces systèmes binaires. »

L'asymétrie du système complique la tâche aux scientifiques qui voudraient expliquer son origine et son environnement. Ainsi, à l'intérieur des amas globulaires, ces amas stellaires très denses et âgés qui orbitent les galaxies, les duos d'objets compacts sont censés avoir une masse similaire. À présent, au sein même des galaxies, il est possible que les systèmes évoluant en isolement produisent des paires disproportionnées, mais ces systèmes n'entrent pas assez fréquemment en collision pour donner à voir ce genre d'observation.

L'équipe envisage des scénarios de formation plus exotiques, notamment des systèmes de fusions multiples, des amas stellaires faiblement liés et des objets englués dans des disques de matière tournant autour de trous noirs supermassifs.

Quoi qu'il en soit, comme c'est souvent le cas dans un univers aux possibilités infinies, les inconnues ne manquent pas.

« La fascination pour les étoiles à neutrons tient en partie du fait qu'elles représentent le dernier arrêt pour la matière avant l'effondrement gravitationnel, » illustre Arzoumanian. « Quel niveau de densité stable la matière peut-elle atteindre avant d'imploser puis s'effondrer sur son propre horizon des événements et disparaître à tout jamais ? » 

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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