Mars : d'immenses lacs pourraient se cacher sous la surface de la planète rouge

Des zones de surbrillance sur les images radar du pôle Sud de la planète rouge suggèrent la présence de lacs ou de poches de boue salée sous la surface, susceptibles d'abriter la vie.

De Nadia Drake
Publication 30 sept. 2020, 10:40 CEST

Cette image en couleur composée de Mars transmise par la sonde Mars Global Surveyor de la NASA en avril 2005 laisse entrevoir la calotte glaciaire du pôle Sud de la planète rouge sous laquelle des lacs d'eau liquide pourraient être enfouis à près de 2 km sous la glace.

PHOTOGRAPHIE DE NASA, JPL, Malin Space Science Systems

Lorsque les scientifiques se mettent en quête d'une forme de vie en dehors de notre planète, leur stratégie repose généralement sur un principe simple : « suivre l'eau ». À l'heure actuelle, le meilleur endroit pour mettre en application cette démarche pourrait bien être le pôle Sud martien, où d'après une nouvelle étude une multitude de petits étangs, enfouis sous plus d'un kilomètre de glace, encercleraient un lac immense.

« Ce n'est pas juste une étendue d'eau ponctuelle, mais un système tout entier, » déclare Elena Pettinelli de l'université de Rome III, coauteure de l'étude parue le 28 septembre dans la revue Nature Astronomy.

En 2018, une équipe de scientifiques annonçait la découverte du plus grand lac subglaciaire martien, une probable étendue d'eau salée de 20 km de diamètre. À présent, la même équipe aurait identifié sur la base de nouvelles observations au moins trois autres poches liquides, plus petites que la première, dans la même région. Ces dépôts salés, peut-être les vestiges d'un ancien océan, pourraient être des oasis au sein desquels la vie aurait pu s'installer.

« Le système existait probablement il y a très longtemps, à une époque où la planète était radicalement différente, et serait le reliquat de ce lointain passé, » suggère Pettinelli.

Cependant, la présence d'eau liquide dans ces poches souterraines n'est pas une vision partagée par tous les spécialistes de la planète Mars. D'après certains scientifiques, cette interprétation n'est pas cohérente avec d'autres observations réalisées dans la même région. À leurs yeux, ces prétendues piscines martiennes seraient plutôt des flaques de boue détrempées. Par ailleurs, il leur est difficile d'expliquer comment de l'eau pourrait rester liquide dans une région où la température n'excède que très rarement les -100 °C.

« Des mares de boue au mieux, et encore… » propose par e-mail Jack Holt de l'université d'Arizona, qui étudie Mars à l'aide de techniques similaires. « Je ne sais pas vraiment quoi en penser. »

 

LUMIÈRE POLAIRE

Il y a plus de dix ans, Pettinelli et ses collègues se tournaient vers une région de Mars appelée strates de dépôts du pôle Sud, au niveau de laquelle les radars avaient détecté des zones de surbrillance en dessous des glaciers.

« L'eau n'était pas le but de nos recherches, » précise-t-elle. « On s'intéressait à ces zones brillantes en essayant de comprendre ce qu'elles étaient. »

Afin de sonder ce qui se trouve sous la glace, les chercheurs ont braqué sur les dépôts un radar appelé MARSIS, embarqué par la sonde Mars Express de l'Agence spatiale européenne. Pour ce faire, MARSIS émet des ondes radio sur le sol martien, ces ondes traversent les couches superficielles de la planète jusqu'à rencontrer un changement de densité ou de composition qui les renvoie vers la sonde. En déchiffrant les schémas formés par ces ondes réfléchies, les scientifiques peuvent déterminer ce que cache la surface d'une planète : liquide, roche ou boue.

Les données recueillies entre 2012 et 2015 indiquaient initialement la présence potentielle d'un grand lac d'eau salée enfoui sous une région baptisée Ultimi Scopuli. Sur Mars, les sels sont aussi étranges que la planète elle-même : au lieu des habituels chlorures de sodium, ce sont des perchlorates toxiques dérivés de la surface rougeâtre de la planète. En s'appuyant sur 29 observations, l'équipe de chercheurs a estimé que le lac mesurait environ 20 km de diamètre. Mais les scientifiques restaient sceptiques, même les membres de l'équipe à l'origine de la découverte, et hésitaient à affirmer que le lac contenait de l'eau liquide plutôt que de la boue.

« On ne peut pas choisir l'un ou l'autre avec certitude, » déclarait Pettinelli à l'époque. « Nous n'avons pas assez d'informations pour affirmer que c'est un lac ou un sol saturé en eau comme un aquifère. »

Aujourd'hui, 105 observations supplémentaires recueillies entre 2015 et 2019 sur une zone élargie sont venues renforcer la détection initiale. Pettinelli et ses collègues ont également procédé à l'analyse des nouvelles données à l'aide de techniques fréquemment utilisées dans la recherche de lacs subglaciaires près des pôles terrestres. Non seulement les nouvelles données ont apporté la preuve de la présence d'eau liquide dans le réservoir, mais elles ont également permis l'identification de trois autres poches plus petites, séparées par un sol sec.

Même si l'équipe est désormais convaincue de la présence d'eau salée dans le grand réservoir, Pettinelli indique que les poches plus petites pourraient aisément n'être que des sédiments détrempés, un environnement qui pourrait tout de même abriter la vie.

« Je rejoins les auteurs sur le fait que l'explication la plus plausible des observations de MARSIS est la présence d'une étendue localisée d'eau liquide, entourée soit de poches d'eau liquide plus petites, soit de sédiments saturés en eau, » indique par e-mail Steve Clifford du Planetary Science Institute.

 

ÉTRANGES DISPARITIONS

Alors que l'eau liquide abonde sur Terre et sur les lunes glacées qui peuplent les confins de notre système solaire, c'est une ressource étonnamment difficile à trouver sur Mars. Sa signature est pourtant présente sur toute la surface de la planète rouge sous la forme de lits de rivières taillés dans la roche, de vastes deltas et d'anciens rivages ; les scientifiques savent donc pertinemment que Mars était autrefois un monde plus aquatique que la planète qu'il nous est donné de voir aujourd'hui, peut-être même tempéré et hospitalier.

Les conditions climatiques exactes de cette époque révolue prêtent encore à débat mais une chose est sûre, le climat a basculé de façon précoce dans l'histoire de Mars et la planète est alors passée d'un monde plus humide au corps desséché que l'on connaît aujourd'hui. Une question taraude alors les scientifiques : où est passée toute cette eau ?

Une partie s'est retrouvée prise au piège dans les calottes glaciaires qui coiffent les pôles martiens, des dépôts glaciaires permanents dont la taille varie au gré des saisons. Éclatantes à travers nos télescopes, ces calottes polaires sont étudiées depuis plusieurs décennies par des scientifiques déterminés à explorer l'histoire immortalisée dans cette succession de strates.

Les reflets brillants qui apparaissent sous les calottes polaires pourraient renfermer une partie de cette histoire. Mais certains experts remettent encore en question la véritable nature de ce que dissimulent les glaciers.

 

MYSTÈRE SUBGLACIAIRE

Pour Holt, les nouvelles données sont plus convaincantes que la détection initiale, mais il n'est pas pour autant convaincu de l'interprétation faite par l'équipe de chercheurs. Un autre instrument radar embarqué sur la sonde Mars Reconnaissance Orbiter n'a pas été en mesure de détecter les zones de surbrillance. Ce second radar fonctionne peut-être à des fréquences différentes et n'a pas pu sonder les dépôts jusqu'à leur fondement, mais un lac est un réflecteur si puissant qu'il devrait tout de même apparaître, indique-t-il.

L'interprétation est également incohérente avec les observations faites par MARSIS des régions voisines, où des zones tout aussi brillantes s'étendent aux limites des calottes glaciaires. À ce stade, poursuit Holt, personne n'a donné d'explication pour ces zones brillantes, mais ce ne sont certainement pas des poches d'eau salée car, le cas échéant, rien ne les empêcherait de remonter à la surface dans cette région.

« Si l'on suit leur logique, il devrait y avoir des sources sur le pourtour du glacier, » dit-il. « Évidemment ce n'est pas le cas. »

En l'absence d'eau salée ruisselant des extrémités de la calotte glaciaire, Holt suggère qu'une façon de résoudre le mystère des supposés lacs subglaciaires serait d'appliquer les mêmes techniques analytiques à un ensemble élargi de données qui inclurait ces autres zones de surbrillance. Il ajoute également que la permittivité diélectrique du liquide observé est trop faible pour de l'eau salée. Cette grandeur mesure la capacité d'un matériau à retenir une charge électrique, elle est calculée par le radar.

« S'il y avait un lac, ou un grand volume de liquide, la valeur serait nettement supérieure aux relevés actuels, » explique-t-il. Et dans l'éventualité où il existerait une explication à ces mesures impliquant de l'eau, « il faudrait encore expliquer la persistance de l'eau salée dans les conditions actuelles. »

 

DES CONDITIONS GLACIALES

L'eau ne fond pas facilement aux températures glaciales des pôles martiens. En surface, ces températures se situent autour -170 °C, et même si elles sont légèrement plus douces sous la glace, elles ne sont en aucun cas suffisamment chaudes pour maintenir l'eau à l'état liquide.

En 2019, après avoir eu connaissance de la première découverte de Pettinelli, un binôme de scientifiques avait suggéré qu'une activité magmatique récente aurait pu créer un point chaud sous la surface du pôle Sud martien. Peut-être, supposaient-ils, qu'une jeune chambre magmatique s'était ouverte et produisait suffisamment de chaleur pour maintenir cette région autrement glaciale à des températures appropriées à la persistance de l'eau salée sous forme liquide. Cependant, en l'absence d'une source de chaleur souterraine, il est difficile d'expliquer la présence d'eau liquide.

« Je fais preuve d'un optimisme prudent quant à la présence d'eau liquide, » déclare par e-mail Ali Bramson de l'université Purdue, l'un des deux auteurs de l'étude. « Ma prudence est principalement liée aux températures extrêmement froides de cette région. »

Pettinelli et son équipe soutiennent que le fait de s'appuyer sur une activité volcanique récente pour expliquer la présence de poches liquides requiert un ensemble de circonstances improbables. À leurs yeux, ce serait plutôt la composition chimique de cette saumure martienne qui permettrait à l'eau de rester liquide à de telles températures. C'est une possibilité, reprend Bramson, mais les scientifiques ne savent pas encore si la chimie et les conditions sur Mars permettent de créer et de maintenir des poches d'eau salée liquides.

« Je suis persuadé de la présence d'un élément étrange sur ce site » concède Bramson. « Bien entendu, s'il y a une mystérieuse solution saline visqueuse super-froide à la base de la calotte polaire, c'est génial. »

Ces nouvelles observations pourraient nous révéler le sort de l'océan perdu de Mars, suggère Clifford. « Lors du refroidissement du climat martien, un tel océan aurait gelé avant de se sublimer, » il se serait évaporé sans même fondre, explique-t-il. Une fois dans l'atmosphère, la vapeur d'eau aurait été transportée puis déposée sous forme de glace aux pôles plus froids de la planète. Clifford indique que les calottes polaires étaient autrefois plus étendues et que le flux de chaleur interne de la planète était nettement plus important, ce qui implique que l'eau à la base des calottes polaires aurait progressivement fondu avant de s'infiltrer dans le sous-sol.

Avec le temps, l'océan disparu a peut-être fini stocké sous forme de pergélisol ou d'eau souterraine. Les poches d'eau salée qui apparaissent aujourd'hui pourraient être les vestiges de ce processus, des vestiges à l'abri des radiations où au fil des milliards d'années la vie a peut-être trouvé le moyen de prendre pied.

« Ce serait évidemment fascinant que ce soit de l'eau liquide, » conclut Bramson. « Je pense que c'est ce que nous voulons tous. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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