Il y a 4,5 milliards d'années, une planète s'est écrasée sur la Terre

La Lune est née de la collision entre la Terre et Théia, un objet de la taille de Mars dont les scientifiques pourraient avoir localisé les vestiges dans le manteau terrestre.

De Liz Kruesi
Publication 4 nov. 2023, 13:09 CET
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D'après une nouvelle étude, une partie de l'impacteur Théia à l'origine de la formation de la Lune aurait survécu à l'histoire mouvementée de la Terre, et serait profondément enfouie dans le manteau de notre planète. 

ILLUSTRATION DE Hongping Deng, Hangzhou Sphere Studio

Il y a 4,5 milliards d'années, le système solaire se résumait à une immense partie de flipper cosmique. À cette époque, une protoplanète de la taille de Mars a percuté la Terre encore en formation. La collision a été si puissante qu'elle a fait voler en éclat cet impacteur, baptisé Théia, et propulsé d'énormes quantités de matière en orbite autour de la Terre, une matière qui a fini par s'amalgamer pour donner naissance à la Lune.

Comme le suggère une nouvelle étude publiée dans la revue Nature, l'impacteur aurait laissé quelques plumes à la surface de la Terre naissante et ces débris auraient ensuite sombré dans les entrailles de notre planète. L'étude montre que cette matière déposée par Théia pourrait expliquer la présence de deux énormes masses particulièrement denses dans le manteau terrestre. 

Depuis plusieurs décennies, les géoscientifiques ont conscience de l'existence de blocs de matière plus denses à la base du manteau, près de la frontière avec le noyau. Dans cette nouvelle étude, le géophysicien Qian Yuan et ses collègues de l'université Caltech utilisent des simulations de l'impact à l'origine de la Lune et de l'évolution de la structure interne de la Terre pour tenter de localiser les vestiges de l'impacteur et étudier leur transformation au fil du temps.

« C'est un résultat fascinant et provocateur, » déclare Robin Canup, planétologue au sein du Southwest Research Institute de Boulder, dans le Colorado, qui n'a pas pris part à l'étude. « Cela voudrait dire qu'il y a sur Terre de la matière qui pourrait nous en apprendre plus sur Théia et nous aider à comprendre l'impact à l'origine de la Lune. »

 

VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE

Tel un oignon, la structure interne de la Terre se compose de différentes couches. En revanche et contrairement à cet aromate, le noyau de notre planète est chaud, dense et en grande partie métallique, constitué d'une couche externe liquide en rotation autour d'une sphère plus dense de 1 216 km de rayon. En dehors du noyau se trouve le manteau qui représente 80 % du volume de notre planète et sur lequel repose la croûte, la surface de la Terre.

Le manteau est le véritable théâtre des opérations terrestres : l'endroit où les plaques continentales s'avancent et s'entrechoquent, où le magma entame sa lente remontée vers la surface. Seulement voilà, le manteau est également difficile d'accès en raison de sa profondeur, ce qui laisse peu d'options aux scientifiques qui souhaitent l'étudier hormis celle de mesurer les ondes sismiques qui le parcourent durant les séismes. En traversant des matériaux de différentes densités, ces ondes changent de vitesse et de direction. En compilant ces fragments d'information, les chercheurs sont en mesure de cartographier l'intérieur de notre planète.

Comprendre : la Terre

Ce type d'étude a permis d'identifier deux énormes blocs dans la partie basse du manteau dont la densité et la composition diffèrent de leur voisinage. Le premier se situe sous l'Afrique du Sud et le second sous l'océan Pacifique. Les ondes sismiques ralentissent en traversant ces masses, ce qui leur a valu le nom scientifique de Large Low-Shear-Velocity Provinces (LLSVP), pour grandes provinces de faible vitesse d’ondes. Également appelées superpanaches, ces régions sont plus denses que le reste du manteau et leur présence semble remonter à plusieurs milliards d'années.

Cela dit, le processus d'apparition de ces superpanaches dans le manteau reste un mystère pour les scientifiques. Selon la nouvelle étude, ils proviendraient de la protoplanète qui a percuté la Terre et conduit à la formation de la Lune.

 

BÂTIR LA LUNE

Lorsque l'impacteur Théia a frappé la Terre il y a 4,5 milliards d'années, il a volé en éclat et des nuages de vapeur et de débris en fusion ont enveloppé la Terre avant de s'amalgamer pour former la Lune. Ces cinquante dernières années, les scientifiques ont étudié des échantillons lunaires recueillis au cours des missions Apollo et sur des chutes de météorites. Ils ont ensuite combiné ces données à des modèles informatiques pour écrire cette histoire qui constitue notre principale théorie sur la formation de la Lune.

Quelques questions subsistent toutefois au sujet de cette théorie et l'une d'entre elles n'a pas manqué de retenir l'attention du géophysicien Qian Yuan alors qu'il était encore étudiant : pourquoi n'avons-nous pas trouvé de vestiges de Théia sur Terre ?

Yuan s'est plongé dans le sujet pour sa thèse à l'université d'État de l'Arizona sous la direction de Mingming Li. Le binôme a tout d'abord contacté les scientifiques responsables de la modélisation des hypothèses de l'impact géant.

L'astrophysicien Hongping Deng de l'observatoire astronomique de Shanghaï en Chine s'est chargé de modéliser la collision entre Théia et notre jeune planète, pour ensuite simuler la façon dont les matériaux des deux corps se seraient mélangés ou non à l'intérieur de la Terre. En intégrant des données plus précises que les précédentes simulations, son modèle a permis de révéler qu'une partie de la matière de Théia entrée en fusion après l'impact serait restée sur Terre. 

Toujours selon le modèle, cette matière plus dense que le manteau supérieur de la proto-Terre se serait enfoncée dans le manteau inférieur, où elle aurait formé cette masse identifiable, sans jamais se mélanger à la matière terrestre. « J'ai essayé de les mélanger, assure Deng à propos de sa simulation, mais elles ne voulaient pas. »

 

MÉLANGE EN FUSION

La principale problématique à laquelle se heurte ce nouveau modèle, reprend Canup, c'est de savoir si la matière déposée par l'impact « a réellement pu échapper au mélange et à l'homogénéisation dans le manteau terrestre au cours des 4,5 milliards d'années qui ont suivi. »

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    L'hypothèse est loin de faire l'unanimité. « Dans nos simulations, le manteau de Theia et celui de la Terre se sont plutôt bien mélangés » témoigne la planétologue Miki Nakajima de l'université de Rochester à New York. Ces dernières années, ses travaux se sont intéressés à l'évolution de la structure interne des planètes rocheuses de notre système solaire.

    « Je ne pense pas que la matière de l'impacteur se serait complètement mélangée, mais le degré d'homogénéisation est sous-estimé dans cette étude, » ajoute le géodynamicien Maxim Ballmer de l'University College de Londres. Sans être associé à l'étude récemment publiée dans la revue Nature, Ballmer a collaboré avec Deng sur une étude connexe il y a quelques années.

    Les scientifiques reconnaissent que ces régions à la densité supérieure occupent depuis bien longtemps le manteau terrestre, mais leur âge exact et leur origine restent encore sujets à débat.

    « Il existe une explication alternative à la formation de ces superpanaches, » ajoute Ballmer. Il évoque notamment une théorie selon laquelle le manteau solide que nous connaissons aujourd'hui était autrefois une épaisse couche de magma en fusion, avant de se différencier pour former les couches actuelles. La couche supérieure s'est solidifiée rapidement en diffusant sa chaleur dans l'espace. La couche inférieure s'est quant à elle solidifiée plus lentement et aurait donc eu le temps de former des régions plus ou moins denses, selon certaines études.

    La prochaine étape sera de comparer les signatures chimiques des matériaux présents dans ces superpanaches et sur la Lune, en grande partie composée de Théia. « S'ils ont la même empreinte géochimique, ils proviennent forcément de la même planète, » indique Yuan.

    Prélever de nouveaux échantillons reste cependant plus facile à dire qu'à faire. Il est impossible de forer la Terre jusqu'aux superpanaches. Cela dit, comme nous l'explique Yuan, il arrive que des roches du manteau inférieur se fraient un chemin jusqu'en surface, c'est notamment le cas des basaltes des îles océaniques.

    La surface de la Lune est exposée à l'érosion spatiale depuis des milliards d'années et risque d'être contaminée par des météorites ; les chercheurs aimeraient donc analyser des échantillons du manteau lunaire également. Ceux dont ils disposent à ce jour proviennent principalement de la surface.

    Pour obtenir de nouveaux fragments de la Lune, il faudra attendre une future mission de retour d'échantillons à destination de son pôle Sud, où le manteau est plus exposé et accessible. D'ici là, les scientifiques continueront d'affiner leurs modèles pour essayer d'identifier le spectre de Théia.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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