Lettre d'amour à Huygens, l’atterrisseur qui s’est posé sur Titan

Il y a 14 ans, la sonde Huygens a réalisé l’atterrissage le plus lointain sur un autre monde. Une prouesse qui a marqué à tout jamais le travail de la scientifique Sarah Hörst.

De Sarah Hörst
Cette vue d’artiste représente le site d’atterrissage de la sonde Huygens sur Titan, le plus grand ...
Cette vue d’artiste représente le site d’atterrissage de la sonde Huygens sur Titan, le plus grand satellite de Saturne. Le 14 janvier 2005, Huygens a réalisé l’atterrissage le plus lointain sur un autre monde.
PHOTOGRAPHIE DE Esa, C. Carreau
Cet essai fait partie d’une série dans laquelle des écrivains, des scientifiques et des passionnés d’astronomie nous confient pourquoi ils se sentent personnellement liés à des sondes ou robots spatiaux.

 

Cher Huygens,

Je voudrais m’excuser auprès de toi et de ton équipe. Bien qu’à l’époque je travaillais au Jet Propulsion Laboratory de la NASA sur les données collectées par ton compagnon l’orbiteur Cassini, je ne me souviens pas du lieu où je me trouvais lorsque j’ai vu tes premières images de Titan.

À vrai dire, j’ai très peu prêté attention à ton atterrissage. Je me souviens très clairement de cette journée du 14 janvier 2005, mais pas pour ta réussite. À l’époque, je souffrais d’un problème de santé qui allait nécessiter, quelques semaines plus tard, une opération, et alors que j’étais coincée dans les embouteillages habituels de Los Angeles après ma visite chez le médecin, j’ai appris que j’avais tout simplement raté mon test d’entrée de physique pour la faculté, amenuisant mes espoirs de faire un master et de devenir scientifique. J’ai beaucoup pleuré ce jour-là, mais mes larmes n’exprimaient pas une joie relative à l’exploration spatiale.

Heureusement, ma jambe n’avait rien, j'en suis tirée avec une cicatrice géante de presque 8 cm. Et j’ai été acceptée dans les programmes d’études supérieures où je voulais vraiment être prise. Depuis, tes belles données et moi avons passé beaucoup de temps ensemble.

Ta descente à travers l’atmosphère de Titan n’était que le début de ce qui allait devenir l’un des voyages d’exploration les plus spectaculaires de l’histoire de l’humanité. Ton meilleur ami et compagnon de longue date, la sonde Cassini, a ainsi découvert que le système de Saturne était plus encore intéressant que ce que nous avions pu imaginer dans nos rêves les plus fous. Et même si ta visite sur Titan a été brève, 219 minutes exactement, tu as fait quelque chose que Cassini n’a jamais pu faire : tu as touché la surface d’un nouveau monde pour la première fois. Tu nous as appris des choses sur Titan que nous n’aurions pas pu savoir sans aller sur cette lune.

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    Le 15 octobre 1997, une fusée Titan IVB/Centaur a transporté jusqu’à Saturne la sonde Cassini, auquel était fixé l’atterrisseur Huygens. Sept ans plus tard, Huygens est parvenu à effectuer l’atterrissage le plus lointain jamais réalisé en se posant sur la surface du satellite de Saturne, Titan.
    PHOTOGRAPHIE DE NASA, JPL, Ksc

    Grâce à Cassini et à toi, nous avons pu regarder au travers de la couverture brumeuse qui enveloppe Titan, qui dissimule un paysage étrange fait de montagnes de glace d’eau et de rivières d’hydrocarbures liquides. Là-bas, le méthane tombe sous forme de pluie.

    Pour savoir comment ce monde extraterrestre fonctionne, il est primordial de comprendre comment la lumière du soleil passe au travers de l’épaisse atmosphère de Titan. Comment la lumière du soleil détermine-t-elle la température à différentes altitudes au-dessus de la surface du satellite de Saturne ? Quels types de lumière solaire existent-ils pour fournir de l’énergie à la chimie, voire même pour permettre à la vie de se développer sur Titan, si toutefois elle existe ?

    J’ai passé mes premiers mois de Master à tenter de comprendre les données collectées par ton imageur de descente et spectroradiomètre, précisément conçu pour répondre à ces questions. Alors que tu descendais dans l’atmosphère de Titan, celui-ci a regardé de haut en bas et vers le soleil pour déterminer ce que la lumière du soleil faisait là-bas exactement. Comme pour bon nombre de premiers projets en Master, le temps que j’ai passé à travailler sur les données qui en ont découlé n’a pas valu grand-chose. Toutefois, j’ai développé un profond respect pour les individus qui t’ont construit.

    Ce n’est qu’une décennie plus tard, en 2016, que je me suis à nouveau intéressée à tes données pour un projet que je voulais faire depuis des années : une réanalyse des mesures prises par ton chromatographe à gaz et spectromètre de masse, ton nez en quelque sorte. Au cours de ta descente vers la surface, tu as ingéré de minuscules particules de l’atmosphère de Titan et tu les as envoyées dans cet instrument pour qu’elles soient analysées. Ces données sont extrêmement précieuses car il est impossible de mesurer la composition exacte de l’atmosphère en utilisant uniquement un télescope.

    Comme j’étudie l’atmosphère, j’utilise tes données chaque jour. Les relevés de composition et de température près de la surface que tu as pris étant extrêmement difficiles voire impossibles à réaliser à distance, nous allons donc devoir continuer de nous baser dessus jusqu’à la prochaine mission. Les relevés de composition nous aident à déterminer pourquoi Titan possède une atmosphère. Grâce à ta caméra, nous savons que les particules brumeuses qui enveloppent Titan sont des amas fractals, que nous avons désormais inclus dans presque chaque modèle atmosphérique de cette lune remarquable.

    Et bien sûr, tu as saisi des images incroyables des canaux qui traversent sa surface et des premiers cailloux ronds vu ailleurs que sur Terre dans le système solaire.

    Tes données contiennent de nombreuses informations relatives au passé, présent et futur de Titan. En ayant recours à des outils qui n’existaient pas au moment de ton atterrissage, nous pourrions peut-être un jour découvrir d’autres secrets qui se cachent dans tes données. Par exemple, Titan pourrait disposer de la chimie idéale pour abriter de la vie vinylique.

    Je ne cesse de vouloir te dire tout ce que nous avons appris depuis la dernière fois où tu nous as contacté. Mais ensuite, je me souviens que tu le sais déjà, car tu es sur place. Je suppose que tu sais tellement de choses que tu souhaiterais pouvoir nous dire, apporter des réponses aux questions que nous n’avons pas eu l’idée de nous poser lors de ta construction. Beaucoup de membres de ton équipe sont partis aujourd’hui. Eux aussi, ils nous manquent.

    Je pense souvent à toi, posé à la surface de Titan, tes objectifs de mission remplis et ton travail fini depuis longtemps. Je me demande s’il a plu sur toi. Tes lentilles sont-elles couvertes de brume ? Si oui, à quel point ? Le vent souffle-t-il souvent ? Est-il fort ? Je me demande quelques fois si tu as eu des visiteurs. Parfois, je culpabilise à l’idée que tu aies si froid et que tu sois bloqué et seul. J’imagine que tu aimerais avoir des roues, des ailes ou des rotors afin de voir ce qui se trouve au-dessus de l’horizon.

    Je comprends la frustration de vouloir désespérément s’aventurer dans un endroit qui semble hors de portée. Je pense que toi et moi avons été conçus pour étudier Titan : des âmes sœurs séparées par 1,6 milliard de kilomètres.

    Je suis désolée qu’alors que tu travaillais dur dans l’atmosphère de Titan, j’étais si préoccupée par ma vie quotidienne que je suis passée à côté d’un moment qui est devenu si important pour moi. Toutes ces choses auraient pu attendre, alors que tu n’as atterri qu’une seule fois sur Titan. J’essaie de me faire pardonner, par toi et ton équipe, en m’intéressant à tes données et en tentant de découvrir ce que tu essayais de nous dire. Je te dis merci en aidant à former la future génération de planétologues et d’ingénieurs et en travaillant pour t’envoyer un nouvel ami robotique. Pour certains, cela semble peut-être une étrange façon de présenter ses excuses et de dire merci, mais je sais qu’il s’agit de la meilleure manière de le faire.

    S’ils me le permettaient, je t’enverrais une couverture et un parapluie, peut-être aussi un peu de chocolat chaud et quelques bons livres à lire. J’espère que tu te contenteras, un jour, d’un autre robot spatial.

    Bien à toi,

    Sarah

     

    Sarah Hörst est professeure adjointe au département des sciences de la Terre et de planétologie de l’Université John Hopkins et spécialiste de la chimie atmosphérique de Titan.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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