Geoffrey Rush explique pourquoi interpréter Einstein est « terrifiant » et pourtant « délicieux »

Selon l’acteur Geoffrey Rush, étudier les théories scientifiques, les excentricités ainsi que les mésaventures d’Einstein lui a valu le rôle du célèbre physicien pour la série Genius.

De Patricia Edmonds
Publication 9 nov. 2017, 01:59 CET
Geoffrey Rush pose pour un portrait pendant le festival du film de Toronto en septembre 2015.
PHOTOGRAPHIE DE Maarten de Boer/Contour by Getty Images

Il a interprété une multitude d’hommes aux personnalités et destins atypiques : le Capitaine Barbossa dans la saga Pirates des Caraïbes, l’orthophoniste du roi George VI dans Le Discours d’un roi, un pianiste à la fois brillant et instable dans le film de 1996 Shine (pour lequel il a reçu un oscar). Mais Geoffrey Rush, 65 ans, affirme qu’incarner Albert Einstein dans Genius, la nouvelle série télévisée National Geographic, est « ce que les acteurs appellent un grand rôle. Pour un acteur sexagénaire, c’est une occasion qui ne se présente pas tous les jours. » Le premier épisode de la série de 10 épisodes sera diffusé lundi 24 avril sur National Geographic. C’est depuis l’Australie, sa terre natale, que Geoffrey Rush nous a accordé un entretien téléphonique.

 

Comment un acteur se prépare-t-il à interpréter un scientifique dont les théories et conceptions étaient si en avance sur leur temps ?

C’est assez angoissant ! Mais bien entendu, les rôles les plus intéressants le sont souvent. J’aime les rôles qui nécessitent une préparation dans un domaine particulier, un domaine hors de mes capacités et connaissances ; par exemple, jouer de nombreux instruments, combattre à l’épée ou tailler un costume. Vous devez donner l’impression que vous savez ce que vous faîtes, sans trop faire appel au montage. Je dois donc essayer de vous faire croire que nous avons le même cerveau. Pour la série, j’ai reçu des pavés de centaines de pages de dialogue et j’ai dû assimiler les principes scientifiques dont il était question pour pouvoir les utiliser avec autant de crédibilité que possible.

Vous pourriez passer des semaines à étudier Einstein sur Internet ; il y a des millions de références. Son attitude terre-à-terre nous a permis de trouver quelques délicieuses excentricités à son sujet. Par exemple, lorsqu’il ne trouvait pas ses sandales, il empruntait celles de sa femme. J’avais un ami qui a étudié à Princeton qui m’avait raconté qu’il arrivait à Einstein de porter un collet, une cravate et une veste mais qu’il avait gardé son pantalon de pyjama, soit parce qu’il avait oublié de mettre son pantalon, soit parce qu’il avait dû se rendre de toute urgence à un rendez-vous.

Pour jouer un tel rôle, vous visez la similarité, pour le ramener à la vie, à sa propre identité. Il est aussi important de ne pas ignorer les contradictions. Il a eu une jeunesse très bohème, il rejetait l’autorité et se rebellait contre le militarisme allemand. Puis plus tard, il s’est construit une vie bourgeoise très confortable. Il a dû affronter les terribles événements et contradictions dans lesquels son savoir l'avait précipité, à l’encontre de son pacifisme naturel. Il a été catalogué à tort de créateur de la bombe, bien qu’il n’ait jamais vraiment eu de rôle prépondérant dans le Projet Manhattan : s’il a souvent été approché en tant que conseiller, l’habilitation de sûreté ne lui a jamais été offerte du fait qu’on le pensait communiste, et qu’il était juif.

 

Einstein jouait du violon, on peut dire qu'il était à la fois scientifique et artiste. Pensez-vous que les deux domaines se répondent ? Êtes-vous un peu scientifique vous-même ?

Einstein s’intéressait beaucoup à Mozart. La musique possède une structure à la fois mathématique et classique et je pense qu’il s’identifiait beaucoup à cette idée. Je pense qu’il y a aussi un lien entre le fait d’être un génie et polymathe.

Je suis un scientifique amateur. Mon intérêt pour la science a commencé avec le Projet Mercury puis a grandi avec les premiers pas de l'homme sur la Lune, lorsque j’étais adolescent. Je rêvais d’être astronome, j’avais une collection de livres How and Why consacrés aux planètes et aux étoiles. À ce stade, il n’y avait que 14 galaxies ; aujourd’hui, on parle de plusieurs ensembles d’univers, de matière noire, du monde nano-microscopique de la structure atomique. J’ai toujours été intrigué par l’énigme mathématique du Big Bang : comment une chose a-t-elle pu se créer à partir de rien ? Parce que d’un point de vue mathématique, ça ne fonctionne pas. Einstein disait que l’univers est si exceptionnel que seul Dieu pouvait l’avoir créé – et que sa mission était de découvrir comment Dieu l’avait créé.

Parce que j’avais un penchant pour l’astronomie, j’ai étudié les mathématiques avancées, la physique et la chimie jusqu’à mes 17-18 ans. Mais j’ai échoué lamentablement car c’est à ce moment-là que je commençais mes cours d’art dramatique. Je continuais de lire régulièrement le magazine New Scientist pour essayer de rester au fait de la théorie quantique et des découvertes cosmologiques. Et je lisais National Geographic – et je ne dis pas ça pour faire de la promo.

Genius - Les coulisses

Avez-vous été en présence de ce que vous considérez être du génie ? Si oui, comment s’est-il manifesté ?

Pour préparer le rôle, je devais mesurer tout l’idéal du génie, et j'ai trouvé la formule la plus fantastique et la plus concise, signée du philosophe Arthur Schopenhauer : « Le talent atteint une cible qu’aucune autre personne ne pourrait atteindre. Le génie atteint une cible que personne d’autre ne peut voir. » Plus j’en apprenais sur Albert Einstein, plus je pensais que cette description représentait l'absolu de son esprit : il a renversé 300 ans d’orthodoxies scientifiques – sur la gravité, la lumière, l’espace et le temps.

Quant à savoir s’il m'est arrivé de rencontrer quelqu’un répondant à ce critère : c’est la réponse d’un artiste à un autre artiste, mais en Australie, nous avons un formidable acteur et comédien de Vaudeville de la vieille école, qui travaille toujours. Il s’appelle Barry Humphries, mais peut-être que son personnage de Dame Edna, une prétendue superstar internationale, vous est plus familier. Je dirais que la description du génie lui convient assez bien car dans les années 1950, il a soulevé des questions culturelles que d’autres ont omis de poser ou même de considérer. Il est devenu un satiriste de la banlieue australienne et a partagé toutes ses interrogations à travers un large éventail de personnages brillants et pleins de bravoure. Il a fait quelques films, des poèmes, des croquis, puis a connu un énorme succès, d'échelle nationale et internationale. Il a pris d’assaut le West End de Londres – c'était probablement l’un des premiers acteurs australiens à arriver à ce niveau – puis s’est retrouvé sur les planches de Broadway avec un spectacle pour lequel il a reçu un Tony Award à titre honorifique. Il est également peintre et expert en art. À 83 ans, il est encore en activité, et ce depuis 1956.

 

Qu'est-ce qui sépare un Einstein du reste des mortels, et que pourrions-nous avoir en commun avec Einstein ?

 

Geoffrey Rush, en Albert Einstein, sur le tournage de Genius.
PHOTOGRAPHIE DE National Geographic/Dusan Martincek

Quand Einstein est mort, ils ont disséqué son cerveau et ont constaté qu'il avait un poids normal - environ 1,23 kilo. Je pense qu'ils s'attendaient à trouver un cortex frontal massif ou une curiosité dans ce genre. Il avait un QI très élevé, 160 - à peu près le même que [le physicien théorique Stephen] Hawking. Mais j'ai lu qu'une Anglaise de 11 ans l'avait surpassé et obtenu un score de 162.

Ce qui sépare Einstein du reste des mortels, il avait eu une acuité phénoménale à prendre conscience de ses aptitudes et à les développer pour servir l'oeuvre de sa vie. Il avait aussi une pensée véritablement humaniste. Sa célébrité était immense - il était aussi important que Charlie Chaplin à cette époque, ce qui, pour un physicien théorique, était assez extraordinaire. Un autre aspect de ce que l'on peut considérer comme du génie est l'endurance. Il travaillait encore sur la théorie du champ unifié quand il avait 70 ans, et sur son lit de mort il cherchait toujours à théoriser ce que nous appellerions maintenant la théorie du tout.

Quant à ce que nous pourrions avoir en commun... Il présentait de nombreuses fragilités humaines. Il avait un ego très développé, comme peut-être chacun de nous au cours d'une vie. Il doutait, il a fait le deuil de nombreux proches, il a eu des problèmes maritaux, il a souffert de l'éloignement de ses enfants. Il était vulnérable à toutes sortes de contradictions auxquelles tout être humain peut être soumis

 

Vous pouvez vous imaginer avoir une conversation avec lui, ou partager un repas ?

C'est un jeu de projection assez classique, non ? Le fantasme de dîner avec des personnalités qui ont fait l'histoire. Maintenant que je me suis réellement intéressé à sa vie, Einstein serait certainement sur ma liste aux côtés de Platon, de Shakespeare, de Charlie Chaplin et de la Reine Elizabeth I. J'espère juste qu'il accepterait mon invitation parce qu'il était obsédé par la nécessité de satisfaire ses insatiables besoins d'exploration. Mais il était aussi grégaire. Il plaisantait de manière parfois absurde et faisait des bêtises comme Groucho Marx. Je ne pense qu'il ne serait pas trop impressionnant. Le but de toute sa philosophie était de poser des questions et j'aime à penser qu'il aimerait m'en poser.

Pour ce qui est du repas, j'ai moi aussi des racines germaniques et j'aime le schnitzel, le strudel, le sauerkraut de ma grand-mère… Donc c'est probablement ce que je lui proposerais et je pense qu'il accepterait de s'attabler avec moi.

Genius commence lundi 24 avril sur National Geographic.
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