Visiteurs de musées, prenez garde : certains artefacts antiques pourraient avoir été volés

Un archéologue judiciaire lève le voile sur les activités parfois obscures qui se cachent derrière les collections de musées.

De Nick Romeo
Publication 9 nov. 2017, 01:59 CET
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Cette photographie saisie auprès d'un antiquaire montre un vase grec datant de 350 av. J.-C., encore recouvert de terre et de sel. La scène représente Dionysos, dieu grec du vin, en compagnie d'un joueur de flûte, tous deux assis sur un fauteuil mobile.
PHOTOGRAPHIE DE Christos Tsirogiannis

Il y a quelques années, Christos Tsirogiannis parcourait la collection en ligne du Metropolitan Museum of Art lorsqu'il a vu une œuvre qui lui semblait familière. Alors qu'il analysait un cratère grec antique (un vase d'argile servant à mélanger le vin), quelque chose lui « fit tilt », explique-t-il. Le vase était orné d'une peinture de Dionysos, dieu grec de la vigne, du vin et de ses excès, du théâtre et de la tragédie. « J'ai su que j'avais déjà vu ce modèle sur ce cratère auparavant », affirme-t-il.

En tant qu'archéologue judiciaire associé au Scottish Centre for Crime and Justice Research de l'Université de Glasgow, Tsirogiannis a accès à des bases de données confidentielles qui contiennent des dizaines de milliers de photographies et de documents saisis lors de perquisitions. En explorant les archives en ligne, il a trouvé cinq photos du cratère grec du Met parmi les objets confisqués à Giacomo Medici, un marchand d'antiquités italien reconnu coupable en 2005 de recevoir des biens volés et pour complot visant au trafic d'antiquités pillées.

Comment se fait-il donc qu'un objet dégoté et vendu par des malfaiteurs se retrouve exposé dans un célèbre musée américain, et comment a-t-il pu arriver là ?

Les questions embarrassantes de ce type se font de plus en plus nombreuses à l'ère de la révolution numérique où les musées, universités et collectionneurs privés publient des catalogues de leurs collections en ligne, devenus des ressources précieuses pour les détectives spécialisés dans la lutte anti-pillage comme Tsirogiannis.

L'archéologue grec Christos Tsirogiannis a identifié des centaines d'artefacts volés en parcourant les catalogues en ligne des musées et galeries.
PHOTOGRAPHIE DE Christos Tsirogiannis

Bien que son influence soit rarement reconnue, les enquêtes de Tsirogiannis ont incité d'importants musées et maisons de ventes aux enchères aux États-Unis, en Europe et en Asie à rendre des dizaines d'objets précieux à leurs propriétaires légitimes situés en Grèce, en Italie et dans d'autres pays.

« Enfant, j'ai toujours aimé les puzzles », explique le chercheur originaire de Grèce. « Mon travail s'apparente désormais à un puzzle géant où s'imbriquent des milliers de puzzles plus petits. »

Après des études d'archéologie et d'histoire de l'art à l'Université d'Athènes, Tsirogiannis a travaillé pour les ministères grecs de la Culture et de la Justice où il datait et classait les artefacts pillés. En 2013, il a obtenu un doctorat à l'Université de Cambridge, durant lequel il a rédigé une thèse sur les réseaux internationaux illégaux de marchands d'antiquités.

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    Tsirogiannis a repéré cette amphore étrusque volée alors en vente dans une galerie de Manhattan et l'a signalé aux autorités. La galerie a remis l'artefact de son plein gré et il a récemment été renvoyé en Italie.
    PHOTOGRAPHIE DE Cyrus R. Vance, Jr, avocat de Manhattan

    Armé d'une mémoire visuelle exceptionnelle, il est à-même de se souvenir de milliers d'images d'artefacts volés (et d'envoyer des dizaines d'e-mails qui demeurent sans réponse). Tsirogiannis recherche activement des centaines d'objets qui proviennent de musées du monde entier. Il a récemment informé les autorités de Manhattan du vol préalable d'un réceptacle étrusque exposé dans une galerie du centre-ville, ce qui a conduit à son rapatriement en Italie.

     

    « Jusqu'à ce que quelqu'un le découvre »

    Dans le cas du cratère de Dionysos exposé au Metropolitan Museum of Art de New York, les photos saisies à Giacomo Medici, l'antiquaire condamné, montrent le vase recouvert de terre et de sel, tout juste sorti de la terre. Giacomo Medici ayant pris des photos au Polaroid (une technologie alors inexistante en Europe jusqu'en 1972), Tsirogiannis a pu savoir que le cratère avait été déniché après 1970, date à laquelle un traité majeur de l'UNESCO a rendu illégale l'exportation de biens culturels depuis les pays signataires.

    En 1989, le vase est réapparu chez Sotheby's, où il a été vendu aux enchères pour 90 000 $ (82 519 €). Comme de nombreuses grandes maisons de ventes aux enchères, Sotheby's ne divulgue pas le nom de ses consignateurs ou acheteurs et s'est refusée à faire tout commentaire dans le cadre de cet article. Le cratère a toutefois rejoint la collection du Metropolitan Museum peu après la vente réalisée par Sotheby's. 

    Le site web du Met indique que le vase avait été acheté par le fonds de rachat Bothmer. Dietrich von Bothmer a été conservateur du Met pendant longtemps et est décédé en 2009. Les interrogatoires des marchands d'antiquités condamnés ainsi que les preuves obtenues à partir des archives confisquées ont établi que Bothmer était un de leurs clients habituels. Depuis 2005, 40 artefacts incomplets de la collection de Bothmer au Met ont été renvoyés en Italie.

    Après avoir identifié l'origine du cratère de Dionysos, Tsirogiannis a immédiatement envoyé plusieurs e-mails à différentes adresses du Met. Ceux-ci sont demeurés sans réponse et le vase est toujours exposé dans la Galerie 161 du musée.

    Le seul et unique commentaire du Met sur le sujet était obscur : « Le musée a été en contact avec le ministère italien de la Culture au sujet du cratère en cloche en terre cuite (04.11.1989) ».

    La politique d'acquisition du musée stipule qu'avant l'achat d'un objet, les conservateurs doivent enquêter afin de savoir « si l'œuvre d'art figure dans les bases de données relatives aux œuvres volées et dans quelles circonstances l'œuvre d'art est offerte au musée ».

    Tsirogiannis reste sceptique face aux intentions affichées du Met et d'autres musées. « Ils se cramponnent à ces objets illégaux autant qu'ils le peuvent, jusqu'à ce que quelqu'un le découvre », affirme-t-il. « Tout est question d'argent, de renommée et de possession. »

    Environ 10 000 fragments issus de la collection Bothmer n'ont pas encore été publiés en ligne et le Met n'a pas souhaité communiquer la date à laquelle ils le seraient.

    On ignore combien de fragments pourraient correspondre à des œuvres présentes dans les collections d'autres musées ou enregistrées dans des bases de données criminelles ; toujours est-il que lorsqu'ils seront publiés, il y a de fortes chances pour que Tsirogiannis et d'autres détectives de son acabit soient à l'affût.

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