Bornéo : découverte des plus anciennes peintures figuratives de l'Histoire

La grotte dans laquelle ces peintures ont été découvertes est située au Bornéo et s'ajoute à la liste grandissante de sites qui présentent ces premières œuvres d'art humaines.

De Maya Wei-Haas
Publication 9 nov. 2018, 09:49 CET
Les peintures pariétales sont cachées dans les grottes de roche calcaire du Kalimantan oriental, en Indonésie, ...
Les peintures pariétales sont cachées dans les grottes de roche calcaire du Kalimantan oriental, en Indonésie, sur l'île de Bornéo.
PHOTOGRAPHIE DE Pindi Setiawan

Sur l'île de Bornéo, d'innombrables grottes sont perchées au sommet des montagnes escarpées du Kalimantan oriental de l'Indonésie. La géologie se dévoile sous son plus beau jour dans ces cathédrales de roche calcaire formées par la nature. Ces affleurements abritent quelque chose d'encore plus spectaculaire : une vaste et ancienne galerie d'art pariétal.

Au-dessus de nos têtes, les contours de centaines de mains, les doigts tendus, se détachent de la peinture ocre et nous saluent. Une nouvelle analyse des parois de la grotte suggère que ces dessins figurent parmi les plus anciens témoins de la créativité humaine. Datant d'entre 52 000 et 40 000 ans, cet art pariétal a été réalisé 10 000 ans plus tôt que ce que les chercheurs pensaient jusqu'à maintenant.

Ce n'est pas le seul secret que cache ce vaste labyrinthe.

Dans la grotte Lubang Jeriji Saléh, trois créatures semblables à des vaches rondelettes sont représentées sur un mur, la plus grande mesurant plus de deux mètres de large. Selon les nouvelles datations de ces dessins, ceux-ci auraient au moins 40 000 ans et seraient donc les plus anciennes peintures pariétales figuratives jamais découvertes. Elles devancent de quelques milliers d'années une représentation d'un babiroussa, ou « cochon-cerf », découvert sur l'île des Célèbes en Indonésie.

Cette image composite représente le trio de créatures semblables à des vaches. Le dessin aurait été réalisé il y a au moins 40 000 ans, ce qui en fait la peinture pariétale la plus ancienne jamais découverte.
PHOTOGRAPHIE DE Luc-Henri Fage

« À l'entrée de la grotte, sur la droite, il y a une petite chambre où se trouvent les peintures », indique Maxime Aubert, archéologue à l'Université Griffith. Il ne s'agit pas de l'art pariétal le plus ancien jamais découvert. Mais comme le précise l'équipe de Maxime Aubert dans la revue Nature, contrairement aux gribouillis et tracés ultérieurs, ces peintures sont des représentations sans équivoque d'animaux anciens.

Ces bovins et empreintes de mains rejoignent une liste grandissante de peintures datant de la même époque, qui ornent les parois de grottes du monde entier. Selon April Nowell, archéologue spécialiste du Paléolithique à l'Université de Victoria, ces œuvres démontrent que les premiers hommes ont pris conscience de leur environnement et s'y sont intéressés tôt, délaissant l'intérêt porté à leur survie et aux nécessités banales du quotidien pour la création de ce qui pourrait être les premiers éléments de la culture humaine.

« Je pense que pour beaucoup d'entre nous, il s'agit là de la véritable expression de l'humanité au sens le plus large du terme », a-t-elle indiqué.

 

DES PEINTURES DE TROIS PÉRIODES DIFFÉRENTES

Les habitants de l'île connaissent ces sublimes peintures depuis longtemps.

Cet ensemble de mains peintes dans une couleur violette foncée a été réalisée au moment du dernier maximum glaciaire qui a toucha la région.
PHOTOGRAPHIE DE Kinez Riza

Ils tombaient notamment dessus lorsqu'ils cherchaient des nids d'hirondelles. Les dessins finirent par être décrits dans les années 1990 et puis datés. Toutefois, comme l'explique Maxime Aubert, bon nombre des échantillons étaient poreux. Comme les scientifiques le savent, la porosité de la roche entraîne une estimation à la hausse et fausse de l'âge des échantillons. À l'époque, l'équipe avait donc prudemment avancé que les peintures remontaient à 10 000 ans.

Accompagné de ses collègues, Maxime Aubert s'est à nouveau rendu dans la grotte en 2016 et 2017 pour prélever de nouveaux échantillons non poreux et les soumettre à nouveau à la même méthode d'estimation, qui repose sur l'omniprésence d'eau dans la roche. Lorsque l'eau s'infiltre dans la roche et forme un dépôt, elle dissout lentement le calcaire ainsi que l'uranium radioactif naturellement présent dans la roche. Le liquide dépose ensuite sur les parois de la grotte les substances dans des pellicules de carbonate de calcium.

En s'infiltrant, l'eau laisse sur son passage de l'uranium. Celui-ci, en se dégradant, se transforme en thorium. C'est en mesurant le ratio d'uranium par rapport au thorium que les scientifiques peuvent déterminer l'âge des échantillons. Au total, l'équipe a analysé 15 échantillons de carbonate de calcium provenant de six sites différents de la grotte, obtenus à partir de dépôts situés sur ou sous les peintures et qui emprisonnent celles-ci dans le temps.

Les nouvelles datations semblent définir dans la région trois périodes artistiques paléolithiques : les peintures montrent un changement des sujets représentés, passant des animaux aux Hommes.

« Nous ne nous attendions absolument pas à cela », a confié Maxime Aubert

Les peintures les plus anciennes, de couleur rougeâtre, ont été réalisées il y a entre 40 000 et 52 000 ans. Elles représentent notamment des animaux semblables à des bovins et des mains. Une seconde période débute il y a environ 20 000 ans : celle-ci est caractérisée par la représentation de nombreuses mains ornées de points, tirets et lignes semblables à des tatouages dans une couleur violette foncée. Les mains sont liées entre elles par ce qui ressemble à des vrilles de vigne. Maxime Aubert souligne que les pigments rouges et violets ont été fabriqués à partir de la même matière, mais que l'un d'entre eux a peut-être été plus dilué que l'autre.

La fine silhouette humaine de couleur violette foncée datant d'il y a environ 13 600 ans marque le début de la troisième phase artistique. Les pigments noirs ont été largement utilisés au cours de cette période et les peintures représentent des figures géométriques ainsi que des bonhommes-allumettes en mouvement, qui dansent, rament ou chassent. Ces dessins réalisés avec du pigment noir ont été découverts sur d'autres sites de l'île de Bornéo et auraient été réalisés il y a seulement quelques milliers d'années.

 

LES PEINTURES LES PLUS ANCIENNES AU MONDE

Selon Nicholas Conard, archéologue à l'Université de Tübingen qui n'a pas pris part à l'étude, les nouvelles datations de ces peintures est enthousiasmante mais peut-être pas étonnante. Nicholas Conard a mené des recherches dans la grotte d'Hohle Fels, située dans le sud de l'Allemagne, où fut notamment découverte une figurine d'une femme sans tête datant d'au moins 35 000 ans. Lorsque la découverte a été annoncée en 2009, il s'agissait de la plus ancienne représentation artistique d'une forme humaine.

L'archéologue s'attendait depuis longtemps à la découverte d'autres centres culturels préhistoriques. « Pourquoi tout cet art ne proviendrait-il que d'un seul endroit sur Terre ? », s'interroge Nicholas Conard.

Comme nous pouvions nous y attendre, ces dernières années, les preuves attestant des débuts de l'art dans le monde se sont multipliées. Parmi les quelques dessins les plus anciens figurent un gribouillage semblable à un hashtag vieux de 73 000 ans et découvert en Afrique du Sud ainsi que des formes géométriques et des mains de 65 000 ans qui auraient été réalisées par des Hommes de Néandertal en Espagne.

Les peintures de Bornéo, grâce à leur nouvelle datation, font partie d'une période artistique riche qui semble marquer les débuts de l'art pariétal dans le monde entier. Elles rejoignent ainsi l'impressionnante ménagerie dessinée au charbon de la grotte de Chauvet-Pont-d'Arc datant d'environ 36 000 ans, les mains négatives et disques rouges de la grotte d'El Castillo réalisés il y a plus de 40 800 ans, sans oublier les empreintes de main et le babiroussa de couleur rouge découverts non loin du Bornéo, sur l'île des Célèbes et vieux de 39 900 ans. Diverses peintures découvertes en Australie pourraient également dater de cette époque, mais leur datation s'est avérée plus compliquée que celles des œuvres réalisées sur de la roche calcaire.

« Je pense que le tableau va changer un peu », déclare April Nowell, alors que ces différentes régions attirent de plus en plus l'attention pour leur art pariétal.

 

DES DESSINS AUX ORIGINES MYSTÉRIEUSES

Les chercheurs ignorent encore ce qui a provoqué cet apparent mouvement artistique mondial. En Europe, l'art semble s'être développé peu après l'arrivée des premiers hommes modernes, tandis qu'en Asie du Sud-Est, des preuves indiquent que ces derniers auraient été présents 20 à 30 ans avant les artistes préhistoriques. Maxime Aubert souligne que la réalisation de ces peintures semble s'accélérer lors du dernier maximum glaciaire. D'après lui, cela pourrait s'expliquer par le changement climatique qui aurait d'une certaine façon contraint les populations à se regrouper regroupé, favorisant au passage l'innovation culturelle.

Cette théorie ne convainc pas Nicholas Conard. « Les variations climatiques ne furent pas les mêmes entre les différentes régions de la planète », a-t-il expliqué, avant d'ajouter que « dans le monde des chasseurs et cueilleurs du Pléistocène, les grands territoires ne manquaient pas ». Les ancêtre de l'Homme moderne avaient donc encore de nombreux endroits où aller lorsque le climat a changé. L'archéologue précise qu'il est essentiel d'avoir en tête le contexte de l'époque au moment d'émettre des théories sur ces changements. 

April Nowell, quant à elle, n'exclut pas la possibilité que les peintures plus anciennes réalisées sur les roches n'aient pas survécu au temps qui passe, en particulier si les dessins avaient été effectués sur des surfaces plus exposées aux éléments, ou que les premiers Hommes n'étaient pas inspirés par les parois vierges des grottes. Des crayons d'ocre datant d'il y a plus de 200 000 ans ont ainsi été découverts et les scientifiques ont attribué aux pigments de couleur de nombreuses utilités plus banales : ils servaient entre autres de crème solaire et d'adhésif.

Pour l'instant, les archéologues continuent de chercher dans le monde entier ces œuvres culturelles. Chaque découverte est synonyme d'une prise de conscience plus importante du passé.

« Une fois que nous commençons à trouver ces peintures et ces comportements, il y a quelque chose qui nous connecte vraiment à ces premiers hommes et à la façon dont ils voyaient le monde qui les entourait », conclut April Nowell.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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