Nouvelles révélations sur l'origine des premiers Américains

Des génomes récemment séquencés d’Amérindiens ont révélé la présence de populations jusqu’alors inconnues sur le continent et l’adaptation unique à l’altitude dont certains peuples ont fait preuve.

De Michael Greshko
Des génomes d'Amérindiens récemment séquencés permettent d'en savoir plus sur le peuplement originel des Amériques et ...
Des génomes d'Amérindiens récemment séquencés permettent d'en savoir plus sur le peuplement originel des Amériques et la façon dont les Hommes se sont installés dans tout le continent. L'un des nouveaux génomes analysés provient de restes humains vieux de 9 600 ans et mis au jour à Lapa do Santo, un site archéologique de l'est du Brésil, photographié ci-dessus.
PHOTOGRAPHIE DE Maurício de Paiva

« D'où venons-nous ? » C'est peut-être là l'une des questions les plus importantes de l'humanité, à laquelle trois nouvelles études apportent aujourd'hui de surprenantes réponses. Dans le cadre de ces dernières, les scientifiques ont analysé l'ADN d'Hommes modernes et anciens, offrant un nouveau regard sur le peuplement complexe des Amériques.

Lorsque les Hommes modernes ont quitté l'Afrique voilà 60 000 ans, ils se sont rapidement dispersés sur les six continents. Si les scientifiques peuvent retracer cette migration épique grâce à l'ADN d'humains vivants ou décédés depuis longtemps, ils manquaient de données génétiques des populations d’Amérique du Sud, qui fut la dernière étape majeure de ce voyage de l'humanité. Trois nouvelles études, publiées le 8 novembre dans les revues ScienceCell, et Science Advances, augmentent fortement le nombre de génomes complets séquencés provenant de peuples indigènes passés et présents d'Amérique du Sud.

« Ils offrent le premier tableau de données de génomes complets vieux de plus de 1 000 ans, » a indiqué Nathan Nakatsuka, doctorant à l'Harvard Medical School et co-auteur de l'étude publiée dans la revue Cell. Grâce aux résultats obtenus, les chercheurs ont démontré que l’Amérique du Sud avait connu plusieurs migrations, dont deux inconnues des scientifiques jusqu'alors. Les données ont également aidé à apporter des éléments sur la façon dont ces Hommes se sont installés et ont prospéré dans les Andes.

« Grâce à ces nouveaux génomes et à d'autres analysés plus tôt dans l'année, nous commençons à mettre en lumière les détails de cette histoire », a écrit dans un email Jennifer Raff, généticienne à l'Université du Kansas qui n'a pas pris part à l'étude.

 

L’ADN POUR MIEUX COMPRENDRE LE PASSÉ

Il y a 40 ans, les chercheurs pensaient que le peuplement des Amériques avait eu lieu de façon plutôt simple. Les Hommes seraient ainsi arrivés sur le continent par le sud, au cours d'une seule vague de migration 13 000 ans plus tôt. Ce qui coïncidait avec la propagation en Amérique du Nord d'outils en pierre particuliers, fabriqués par le peuple de la culture Clovis.

Toutefois, grâce à de nouvelles découvertes archéologiques et à des techniques de datation plus précises, nous savons désormais que les Hommes de la culture Clovis qui façonnaient ces outils n’étaient pas les premiers Américains. Des fouilles archéologiques sur plusieurs sites d’Amérique du Nord et du Sud ont permis aux chercheurs de prouver de manière convaincante que des peuples antérieurs à cette culture étaient arrivés plusieurs siècles avant l’apparition de ces outils.

L’étude d’ADN ancien fournit des informations supplémentaires concernant cette période de l’Histoire : elle a ainsi révélé la présence de groupes génétiquement différents qui n’ont laissé derrière eux aucune trace physique unique. Toutefois, cela n’offre qu’une vision confuse et éloignée de l’Histoire. Après tout, les premiers Amérindiens n’ont pas traversé le continent en une seule fois. Il s’agissait plutôt de petits groupes de chasseurs-cueilleurs qui vagabondaient à travers la région vivant au jour le jour, ramassant de la nourriture, cherchant des abris, fabriquant des vêtements et des outils et rencontrant d’autres peuples.

« Il est facile de tomber dans le piège de la simplification à outrance de ce qui était probablement un processus extrêmement complexe, en le représentant par des flèches orientées vers le sud », souligne Jennifer Raff.

 

DES MIGRATIONS INATTENDUES

Les études publiées dans les revues Cell et Science s’intéressent aux mouvements des Hommes en Amérique du Sud au sens large. Les deux équipes à l’origine de ces études sont en grande partie d’accord quant à la chronologie de la migration sur le continent. Il y a environ 25 000 ans, les ancêtres des Amérindiens ont divergé du peuple vivant en Sibérie, et seraient arrivés au Nord-Ouest Pacifique il y a 17 000 à 14 000 ans, après avoir traversé un pont terrestre reliant la Sibérie à l’Alaska.

Une fois au sud des inlandsis qui recouvraient en grande partie le Canada, les ancêtres des Amérindiens se séparèrent alors en deux groupes génétiquement distincts. L’un se rendit à l’Est, et certains des descendants de ce groupe s’installèrent dans ce qui est aujourd’hui le sud de l’Ontario. Les membres du second groupe, parfois appelés Amérindiens du Sud, sont rapidement descendus vers le sud il y a environ 14 000 ans. Ce sont aujourd’hui les ancêtres principaux des peuples indigènes qui vivent en Amérique centrale et du Sud.

Les deux études révèlent également qu’il n’y a pas eu une seule vague migratoire vers le sud du continent américain.

Dans l’étude publiée dans la revue Cell, les chercheurs, dirigés par Cosimo Posth, généticien de l’Institut Max Planck, ont trouvé des preuves démontrant que deux populations jusqu’alors inconnues avaient également migré en Amérique du Sud. Toutes deux sont étroitement apparentées au groupe des Amérindiens du Sud, mais sont suffisamment différentes pour que leurs gènes apparaissent séparément dans l’ADN des membres de peuples anciens.

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    Il y a plus de 10 000 ans, les peuples amérindiens du Brésil commencèrent à enterrer leurs morts à Lapa do Santo. Les restes d'un homme adulte furent mis au jour sur le site en 2014.
    PHOTOGRAPHIE DE André Strauss

    Les peuples andins, dont l’ADN semble très proche de celui des anciens Amérindiens qui vivaient sur les îles Channel, en Californie, constituent l’une de ces deux populations. La seconde établit un lien entre des Amérindiens anciens arrivés du Brésil et du Chili vers l’an -9 000 et Anzick-1, un petit garçon qui a vécu dans le Montana il y a environ 12 800 ans. Ce nourrisson est particulièrement important car il est associé à la culture Clovis. Bien qu’il s’agisse du premier indice génétique soutenant une possible influence de la culture Clovis en Amérique du Sud, les preuves actuelles excluent que les membres de ce groupe figurent parmi les principaux ancêtres des Sud-américains d’aujourd’hui.

    L’étude de J. Víctor Moreno-Mayar, chercheur au Muséum d’histoire naturelle du Danemark et publiée dans la revue Science, démontre qu’une autre dispersion humaine inattendue s’est produite. Son équipe convient que des Hommes sont arrivés en Amérique du Sud il y a 14 000 ans, mais elle a également découvert des éléments qui indiquent qu’une population vivant au Mexique ou en Amérique Centrale s’est dispersée en Amérique du Sud et vers le nord, dans les actuelles Grandes Plaines, il y a 8 700 ans.

    « Au moment d’inclure les Sud-américains d’aujourd’hui dans le tableau, un mouvement de population supplémentaire est nécessaire », a indiqué J. Víctor Moreno-Mayar. « Quelle était la population à l’origine de ce flux génétique, nous n’en avons presque aucune idée ; tout ce que nous savons, c’est que cette population était amérindienne. »

    DES PEUPLES À L’ÉPREUVE DE L’ALTITUDE… ET DES EUROPÉENS

    La troisième étude, celle publiée dans Science Advances, nous emmène dans les Andes, cette chaîne montagneuse située dans l’Ouest de l’Amérique du Sud. Des preuves archéologiques démontrent qu’il y a environ 9 000 ans, des peuples ont commencé à vivre de façon permanente dans les hauts-plateaux andins, une région où il n’est pas facile de vivre : il y fait froid et l’air est rare, rendant pour l’absorption d’oxygène difficile pour le corps humain. Mais alors, comment les peuples andins se sont-ils installés dans cette région et comment se sont-ils adaptés aux conditions difficiles ?

    Pour le découvrir, l’équipe de chercheurs de John Lindo, anthropologue à l’Université Emory, a séquencé les génomes complets de sept Amérindiens ayant vécu dans les hauts-plateaux péruviens il y a 6 100 à 1 600 ans. L’équipe a également prélevé des échantillons de dizaines de séquences d’ADN provenant de deux populations amérindiennes modernes : les Aymaras, qui vivent dans les hauts-plateaux boliviens, et les Huilliche-Pehuenche, originaires des basses-terres côtières du Chili.

    En comparant ces séquences d’ADN, les chercheurs ont constaté que les peuples des basses-terres des Andes et ceux des hauts-plateaux avaient divergé il y a 8 750 ans, à quelques siècles près. Ils ont aussi découvert des signes d’évolution chez l’ADN du peuple vivant dans les hauts-plateaux andins, notamment une hausse des variantes génétiques associées à un cœur plus fort. S’il s’agit d’une adaptation à la vie en altitude, le corps des Aymara ne s’est pas adapté de la même façon que d’autres peuples des hauts-plateaux. Par exemple, les Tibétains présentent souvent des variantes génétiques qui affectent la capacité du sang à transporter de l’oxygène.

    « Ce fut une surprise pour moi », confie Mark Aldenderfer, archéologue à l’Université de Californie et co-auteur de l’étude. « Il s’agit là d’une évolution convergente : les peuples sont confrontés à un défi environnemental qui affectent leurs génomes et il existerait plusieurs façons [de le résoudre]. »

    L’ADN des Andins portent aussi les traces des maladies apportées par les Européens dans la région au 16e siècle. Les génomes des Aymara modernes montrent des changements au niveau de deux gènes immunitaires (l’un étant lié à la variole) lorsque comparés à l’ADN d’Andins qui vivaient avant l’arrivée des Européens. Aucun changement n’a été constaté chez les populations des basses-terres. Ceci pourrait aider à expliquer la baisse de population sinistre de chaque peuple après l’arrivée des Européens. D’après les auteurs de l’étude, le peuple Aymara des hauts-plateaux a perdu environ 27 % de sa population à la suite de l’arrivée des Européens ; chez les peuples des basses-terres, la baisse était de l’ordre de 95 %.

    « Le fait que ces populations se soient adaptées à vivre dans des milieux si hostiles, comme la vie en altitude dans les Andes, pourrait les avoir protégées des explorateurs européens ou des maladies [que ces derniers] ont amené avec eux », explique Anna Di Rienzo, co-auteur de l’étude et généticienne spécialiste de l’Homme à l’Université de Chicago.

     

    D'AUTRES ÉTUDES SONT NÉCESSAIRES

    Si les trois études apportent de nouvelles informations, elles soulèvent aussi d’autres questions. Ainsi, il existe des points de désaccord entre la génétique et l’archéologie, notamment au sujet de la migration rapide vers l’Amérique du Sud il y a environ 14 000 ans.

    « Si vous migrez aussi loin et aussi vite, c’est parce qu’il n’y avait personne. Or, nous savons que des peuples vivaient aux Amériques avant cette date », explique David Meltzer, archéologue à l’Université méthodiste du Sud et co-auteur de l’étude publiée dans la revue Science. « La question évidente que nous nous posons après est la suivante : quelle est la relation entre les peuples que nous avons cartographié aux Amériques et ceux pour lesquels nous n’avons que quelques indices génétiques et archéologiques attestant de leur présence ? »

    Des archéologues font preuve d'une grande minutie pour exhumer les restes d'anciens Amérindiens sur le site de Lapa do Santo.
    PHOTOGRAPHIE DE Alberto Barioni

    Les chercheurs ont également obtenu des résultats contradictoires concernant la Population Y, une population « fantôme ». L’existence de cette dernière avait été avancée dans un premier temps pour expliquer pourquoi certains indigènes Sud-américains semblent davantage descendre d’Australasiens que d’autres Amérindiens. Dans l’étude de J. Víctor Moreno-Maya, des signes suggérant la présence de la Population Y en Amérique du Sud il y a au moins 10 000 ans sont présentés. Mais les auteurs de l’étude parue dans la revue Cell, et qui sont à l’origine de la théorie de la Population Y, ont découvert qu’ils n’avaient pas besoin de ce groupe supplémentaire pour expliquer leurs derniers résultats.

    Pour en savoir plus, les scientifiques indiquent avoir besoin de plus de données. Pour se faire, les équipes de chercheurs travaillent en étroite collaboration avec des peuples amérindiens afin de prélever des échantillons d’ADN parmi les populations actuelles et à partir des restes des ancêtres probables des Amérindiens d’aujourd’hui.

    Ainsi, l’étude de la revue Science inclut l’ADN de la momie de la grotte de l’esprit, les restes d’un homme qui a vécu et est mort dans le Nevada il y a environ 10 700 ans. En 2016, des généticiens ont confirmé qu’il s’agissait d’un Amérindien. À la suite de cela, la tribu Païute-Shoshone, qui vit près de Fallon, a demandé à récupérer les restes. Len George, président tribal des Païute-Shoshone de Fallon, est l’un des co-auteurs de la nouvelle étude.

    Il y a des dizaines d’années, ce niveau d’engagement communautaire et d’obtention du consentement était loin d’être la norme. Désormais, les chercheurs estiment qu’il s’agit d’une exclusion éthique qu’ils devraient et doivent éliminer.

    « Malheureusement, on nous apprend beaucoup de choses incorrectes au sujet des Amérindiens, à la fois en cours d’histoire, mais aussi de façon implicite dans les médias, comme l’idée selon laquelle les Amérindiens ont quasiment disparu, que leurs grandes réussites culturelles sont uniquement une chose du passé ou que ce ne sont pas leurs ancêtres qui en sont à l’origine », a souligné Jennifer Raff.

    « La compréhension de l’histoire des peuples indigènes, d’un point de vue scientifique mais aussi indigène, constitue une façon de voir au-delà de ces informations et de reconnaître les réussites et la résistance incroyables dont ont fait preuve les peuples des Amériques. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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