Comment les frères Lumière ont inventé le cinéma
En 1895, Louis et Auguste Lumière ont donné naissance au grand écran grâce à leur ensemble caméra et projecteur révolutionnaire, baptisé le Cinématographe.
Bien qu’Auguste et Louis Lumière aient inventé une caméra capable de tourner, développer et projeter un film, leur création n'était à leurs yeux rien de plus qu’une curieuse innovation. Peu après la première publique de leur film, Louis aurait déclaré : « Le cinéma est une invention sans avenir. »
Cette prédiction fut la seule erreur des Lumière, car les deux frères créèrent une forme d’art et de divertissement unique, qui influença la culture populaire de façon radicale. Leur cinématographe présentait une innovation cruciale : en projetant des images en mouvement sur un grand écran, ils créèrent une nouvelle expérience cinématographique partagée. Les premiers « films » étaient nés.
UNE HISTOIRE DE FAMILLE
En 1870, alors que la France était sous la menace d’une invasion lors de la guerre franco-prussienne, Antoine Lumière emmena sa famille loin du danger de la frontière Est du pays pour Lyon. Peintre et photographe primé, il ouvrit une petite boutique de plaques photographiques dans sa nouvelle ville.
Deux de ses fils, Auguste et Louis, grandirent au cœur de l’affaire de leur père et en étaient fascinés. En 1881, Louis, âgé de 17 ans, commença à s’intéresser aux plaques photographiques que leur père fabriquait.
Les chimistes avaient déjà inventé un nouveau type de plaque photographique dite « sèche », qui était recouverte d’une émulsion chimique. Contrairement aux plaques photographiques « humides » qui existaient déjà, les plaques sèches ne nécessitaient pas d’être développées immédiatement. Le photographe était donc libre de quitter de sa chambre noire. Louis améliora la technologie des plaques sèches et sa réussite avec les plaques « Étiquette bleue » conduisit à l’ouverture d’une nouvelle usine en périphérie de Lyon. Dans le milieu des années 1890, la famille Lumière était à la tête de la plus grande manufacture photographique d’Europe.
INVENTEURS DU CINÉMATOGRAPHE
En 1894, Antoine Lumière se rendit à Paris pour l’exposition du Kinétoscope de Thomas Edison et de William Dickson, un appareil permettant de visionner un film, souvent décrit comme le premier projecteur cinématographique. Mais une seule personne à la fois pouvait regarder un film avec le Kinétoscope, à travers une lentille. Antoine Lumière se demanda alors s’il serait possible de concevoir un appareil capable de projeter un film sur un écran pour un public. De retour de Paris, Antoine encouragea ses fils à commencer à travailler sur une nouvelle invention.
Un an plus tard, le cinématographe Lumière était né et son brevet déposé par les frères. Utilisant un film perforé de 35 mm de largeur passant par l’obturateur à une vitesse de 16 images par seconde, le cinématographe, qui fonctionne grâce à une manivelle, établit les spécifications cinématographique modernes. Fonctionnant comme une machine à coudre, le cinématographe charge le film par intermittence et plus lentement que le kinétoscope (46 images par seconde) : la machine est ainsi moins bruyante et les images apparaissent avec plus de fluidité à l’écran. En plus de permettre à un large public d’assister à la projection, contrairement au kinétoscope individuel d’Edison, il est également plus léger que ce dernier, et portable. Si le poids du kinétoscope l’empêchait de quitter un studio, l’invention des Lumière offrait aux opérateurs la liberté et la spontanéité de filmer sur le vif hors de l’atelier.
DES PROJECTIONS QUI FONT SENSATION
Le 28 décembre 1895, dans le Grand Café à Paris, les Lumière organisèrent la première projection publique d’un film au monde. La sortie des ouvriers de l’usine Lumière fut leur premier film, qui, comme son titre l’indique, montrait tout simplement des ouvriers quittant l’usine Lumière. Si cette première serait aujourd’hui considérée comme prosaïque, la clarté et le réalisme de ce film de 50 secondes en noir et blanc avait, à l’époque, fait sensation.
Décrivant les scènes de rues qui apparaissaient sur l’écran face à lui, Georges Méliès, magicien de renom et directeur du Théâtre Robert Houdin à Paris, raconte : « À ce spectacle, nous restâmes tous bouche bée, frappés de stupeur, surpris au-delà de toute expression. À la fin de la représentation, c’était du délire, et chacun se demandait comment on avait pu obtenir pareil résultat. » Selon la légende, lorsque le public assista en 1896 à la projection du film des Lumière intitulé L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat, des spectateurs s’enfuirent de terreur en voyant approcher le train. De tels récits comportent cependant une part de vérité et la légende fait écho à la réaction de Méliès : un film était un choc pour les sens, quelque chose de révolutionnaire à regarder.
UNE INVENTION QUI ENTRA DANS L’HISTOIRE
En 1896, les Lumière ouvrirent des salles de spectacle cinématographe à Londres, à Bruxelles et à New York, diffusant la quarantaine de films qu’ils avaient tourné sur la vie quotidienne des Français, comme un enfant regardant un bocal à poissons rouges, un nourrisson que l’on nourrit, un forgeron à l’œuvre ou des soldats qui défilent. Les premiers bulletins d’actualité furent des séquences de la Société française de photographie et la caserne des pompiers de Lyon devint le sujet du premier documentaire mondial. Le public était captivé, fasciné de voir des moments de vie se produire sur le grand écran.
Le lendemain de la première projection publique du film des frères Lumière en 1895, une gazette locale proclama : « Nous avons déjà enregistré et fait des copies de paroles prononcées. Nous pouvons désormais filmer et rejouer la vie. Nous serons capables de revoir des membres de notre famille longtemps après qu’ils nous aient quittés. » Car en plus d’entrer dans l’histoire avec leurs nouveaux procédés photographiques et leur caméra qui changea la culture, les Lumière l’ont aussi préservée.
Les frères Lumière formèrent des opérateurs à utiliser leur invention, qui voyageaient ensuite dans le monde entier. Ils montraient les films Lumière à de nouveaux publics et réalisaient leurs propres films ayant pour sujet des événements locaux prenant place dans les lieux qu’ils visitaient. Gabriel Veyre partit pour l’Amérique centrale ; Félix Mesguich, un vétéran, mis les voiles pour l’Afrique du Nord et Charles Moisson s’en alla en Russie, où il filma en 1896 la splendeur et le faste du couronnement du dernier tsar, Nicolas II. Les frères Lumière réalisèrent plus de 1 400 films entre 1895 et 1905, dont la plupart ont été conservés.
LA QUÊTE DE LA COULEUR
Le cinéma devenant de plus en plus populaire, les deux frères se concentrèrent sur de nouveaux projets. Leur curiosité omniprésente porta sur un autre défi technique : la photographie couleur.
Celle-ci existait, mais son processus de création était long et complexe. La solution trouvée par les frères Lumière eut une importante répercussion sur ce nouveau domaine. Brevetée en 1903, leur invention, baptisée Autochrome Lumière, consistait à appliquer sur une plaque en verre une mixture à base de grains de fécule de pommes de terre teintés en rouge, vert et bleu. Ce badigeon granulaire formait un filtre et conférait aux autochromes l’apparence douce d’un tableau du mouvement du pointillisme. Une fine couche d’une émulsion était ajoutée au filtre et une fois la plaque retournée et exposée à la lumière, l’image résultante pouvait être développée en transparent.
Pendant plus de 30 décennies, l’autochrome fut la plaque photographique pouvant capturer la couleur la plus utilisée au monde. Des magazines tels que National Geographic envoyaient leurs photographes prendre des photos du monde avec des autochromes, dont la relative portabilité rendait plus facile les documentaires sur le terrain. Les archives de la National Geographic Society, qui abritent plus de 15 000 plaques autochromes succès de l’invention des frères Lumière, témoignent du succès de l’invention des deux frères. Il s’agit d’une des plus grandes collections d’autochromes au monde.
Cette famille d’inventeurs est à la hauteur de son nom, archivant le passé, capturant l’insaisissable, créant le métier de réalisateur et les spectateurs, tout en illuminant la vie.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.