L’Hermione, réplique de la frégate de La Fayette, a repris la mer

Ce 4 avril 2019 à 4h du matin, la reproduction de la célèbre frégate ayant transporté La Fayette jusqu’en Amérique en 1780 a entamé son quatrième voyage autour du thème « Normandie liberté ».

De Arnaud Sacleux
Publication 4 avr. 2019, 08:47 CEST
L'Hermione arrivant près de Portovecchio.
L'Hermione arrivant près de Portovecchio.
PHOTOGRAPHIE DE Association Hermione-La Fayette

L’Hermione était amarrée jusqu’à aujourd’hui dans l'arsenal de Rochefort, qui a vu naître la frégate originale. Après les États-Unis en 2015, la Bretagne en 2016 et la Méditerranée en 2018, 2019 marque l’année du 75e anniversaire du débarquement allié en Normandie et l’occasion pour l’Hermione, symbole de l’amitié franco-américaine, de s’inscrire dans cette continuité historique autour de plusieurs valeurs qui font d’elle un projet unique au monde : la liberté et la solidarité.

Lors de ce « Normandie Liberté », plusieurs temps forts sont prévus, comme la longue escale à l’Armada de la Liberté à Rouen ainsi qu’un passage en région Pays de la Loire à l’occasion de l’événement Débord de Loire.

Ce projet collaboratif d’envergure internationale a pu voir le jour grâce, entre autres, à un engouement du public pour cette réplique grandeur nature qui n’était à l’origine pas conçue pour naviguer. Ce tour est surtout l’occasion pour l’Hermione de remercier tous les français qui ont soutenu ce projet titanesque de reconstruction.

 

UNE REPRODUCTION À L’IDENTIQUE

L’Hermione d’origine est un navire de guerre français ayant vogué sur les mers de 1779 à 1793. C'est une frégate de 12, en référence au calibre de ses canons. Son artillerie est composée de 26 canons de 12 livres et de 8 canons de 6 livres. En jargon naval, on la dénomme ainsi la « frégate de 26 canons » bien qu’elle en ait porté 34. Elle fait partie des frégates construites à partir de 1777 à l'arsenal de Rochefort.

Le projet Hermione est à l’origine une volonté de la ville de se réhabiliter. Après la destruction de la Corderie Royale dans les années 40 par les allemands, la ville est devenue une belle endormie, sa macro économie étant basée sur son arsenal, lequel fut à l’origine de 550 navires. Suite à la reconstruction de la corderie dans les années 80, il ne manquait qu’un bateau historique à la ville de Rochefort pour confirmer ses ambitions. L’Hermione est choisie, en raison de sa taille raisonnable et de son histoire emblématique. « Les initiateurs de ce projet ont rapidement évincé l’idée de reconstruire des 110 canons à trois ponts, cela aurait été irréalisable » indique Isabelle Georget, membre permanent de l’association Hermione-Lafayette créée en 1992 à cet effet.

Si les plans du bateau original ont été perdus, il a été convenu de s’appuyer sur les plans de l’une de ses sœurs, la Concorde. « Quand l’Hermione d’origine a été construite à Rochefort, ils en ont construit trois autres similaires. Leur production s’apparentait à du taylorisme : ils avaient les pièces, les forêts autour pour le bois et étaient des centaines à construire ces bateaux, professionnels comme bagnards » précise Mme Georget. C’est à partir de cette Concorde que l’Hermione a été construite, avec quelques incertitudes cependant concernant la figure de proue par exemple. « On savait que c’était un lion, mais nous ne connaissions ni sa pose, ni son expression. » Les constructeurs se sont donc appuyés, avec l’aide d’un comité d’historiens, sur ce qui se faisait sur les frégates de l’époque. « L’Hermione est d’une grande fidélité et est identique à celle d’origine, tant au niveau de sa conception que de son apparence » confirme Isabelle Georget.

Les canons de la réplique de l'Hermione ont été fondus quasiment à l'identique et sont capables de reproduire le bruit et la fumée engendrés par le tir d'un vrai boulet.
PHOTOGRAPHIE DE Association Hermione-La Fayette

La coque de l’Hermione est ronde, très ventrue et est composée de chêne massif, comme le bateau original. Pour construire cette coque, il a fallu prospecter dans les forêts françaises pour trouver les pièces de bois parfaitement adaptées à la forme de la coque. « Beaucoup de répliques aujourd’hui sont construites avec du lamellé collé. Nous, on a choisi le chêne car les bateaux d’époque étaient construits à partir de ce matériau et qu’il était très résistant ». La coque authentique est ce qui aura été le plus long à construire, sa fabrication ayant duré jusqu’en 2012.

Une fois la coque lancée avec succès à l’eau, il a fallu construire la mâture, le gréement ainsi que le cordage. « La mâture a été faite en pin car c’est un matériau très flexible, très résistant et c’était le matériau d’époque. Pour le gréement, les 25 kilomètres de cordage ont été refaits à l’identique et ont été installés à bord pour pouvoir le manœuvrer. Les voiles, elles, ont été faites en lin, ce qui est très proche du chanvre de l’époque » précise Isabelle Georget. À bord, seuls quelques éléments diffèrent de l’Hermione d’origine. « Les cuisines sont modernes, ainsi que les moteurs à hélice qui ne servent que lors des manœuvres dans les ports. Ces éléments sont bien cachés et ne sont pas visibles. La navigation se fait à 80 % à la voile. »

 

LE MAL DE MER DE LA FAYETTE

L’Hermione est célèbre avant tout pour avoir conduit le marquis de La Fayette, de son vrai nom Marie-Joseph Paul Yves Roch Gilbert du Motier, aux États-Unis en 1780, lui permettant de rejoindre les insurgés américains en quête d'indépendance. Le journal de bord de ce voyage de trente-huit jours a été retrouvé et est une source inestimable d’anecdotes historiques très intéressantes. « Il y a eu une belle relation qui s’est nouée entre La Fayette et le commandant Latouche, qui n’était pas encore comte de Latouche-Tréville à cette époque » nous indique Antoine Dossmann, responsable médiation visite et exposition et équipe guidée à bord de l'Hermione. Si La Fayette n’était pas marin de formation, « c’était un terrien » précise Antoine Dossmann, il savait apprécier les qualités nautiques exceptionnelles de la frégate, ce qu’aurait ressenti l’équipage. « On sait par contre que Lafayette a été malade. Il a eu un énorme mal de mer durant les premiers jours et le commandant Latouche, qui n’était que lieutenant de vaisseau, lui avait alors laissé sa cabine. » Un geste empathique de la part du capitaine qui était surtout stratégique. « Il fallait en réalité à La Fayette une cabine qui ferme à clef ainsi qu’un coffre scellé et lesté de plomb dans lequel il pouvait y mettre les plans du débarquement français aux États-Unis. Si le navire venait à être capturé des Anglais, il fallait pouvoir jeter le coffre par-dessus bord ».

La Fayette n’avait que vingt-trois ans au moment de cette expédition et n’était pas un marin aguerri. Il a tout de même été choisi pour embarquer à bord de l’Hermione et endosser le rôle de messager, de coordinateur entre les forces françaises et américaines. Pourquoi ce choix ? « La Fayette avait déjà combattu aux Etats-Unis de son propre chef » rappelle Antoine Dossmann. « Il était déjà parti à bord d’un navire affrété avec ses propres financements et ses propres armes. Il avait l’entière confiance du général Washington et une bonne connaissance du terrain ainsi que de ses troupes ». La participation et la réussite de La Fayette à la guerre d'indépendance des États-Unis, qui a duré de 1775 à 1783, lui a d’ailleurs valu une place symbolique pour avoir été le trait d'union entre les troupes de Virginie du général Washington et celles du compte de Rochambeau, lui valant d'être surnommé « le héros des deux mondes ». Il a acquis la nationalité américaine en 1784, après avoir été fait citoyen du Maryland et est aujourd’hui citoyen d’honneur des États-Unis, privilège exceptionnel qui n’a été décerné jusqu’à présent que huit fois, dont six à titre posthume. Le Président Jefferson souhaitait même faire La Fayette gouverneur de Louisiane en 1803.

L'Hermione a connu une fin peu glorieuse puisqu'elle a coulé près du Croisic, suite à l'erreur du pilote, chargé de guider le commandant et son équipage à travers des zones côtières, qui a confondu un banc de terre avec un courant marin. L'épave gît, encore aujourd'hui, à seulement trois ou quatre mètres de profondeur.

 

ARCHÉOLOGIE EXPÉRIMENTALE

« C’est dur de devenir gabier quand on n’est pas marin car il y a beaucoup de choses à retenir, des choses d'une autre époque » nous explique Antoine Dossmann, également gabier à bord de l’Hermione. « Mais même pour les marins professionnels, c’est compliqué car les techniques sont complètement différentes ». « Le commandant Yann Cariou préfère recruter à bord des jeunes qui ne sont pas marins » complète Isabelle Georget. « Des marins aguerris arriveraient avec leurs connaissances de bateaux contemporains. L’Hermione préfère s’appuyer sur des jeunes très motivés et en parfaite condition physique ».

La vie à bord de l'Hermione est dure et surtout très physique. Certaines manœuvres nécessitent jusqu'à vingt personnes et les gabiers passent une grande partie de leur temps à plus de 20 mètres de hauteur, dans le gréement.
PHOTOGRAPHIE DE Association Hermione-La Fayette

Pour être recruté, un CV et une lettre de motivation adressée au commandant Yann Cariou suffit. « Il lit toutes les lettres » assure Antoire Dossmann. Cependant, il faut passer une épreuve rédhibitoire : l’ascension dans la mâture. « Si vous ne grimpez pas, c’est terminé pour vous ». Un gabier doit en effet être capable de grimper jusqu’à 47 mètres de hauteur dans les gréements, de nuit comme de jour.

Une fois ce test passé, cinq jours de formation denses alliant théorie et pratique sont nécessaires. Le but ? Savoir manipuler les cordages, connaître chaque élément du gréement ainsi que leur utilité et assimiler le vocabulaire maritime du 18e siècle. « En tant que gabier, vous passez plus de temps à entretenir le bateau qu’à naviguer avec. Mais grâce à ça, quand vous devez poser un cordage ou n’importe quel autre élément, vous savez comment faire. C’est avec cette expérience que l’on devient vraiment gabier et c’est en faisant des jours de chantier que l’on gagne des jours de navigation » complète Antoine Dossmann.

À bord, la vie est rude. « L’Hermione n’est pas un bateau de croisière » s’amuse Isabelle Georget. Le voyage est même une promesse de promiscuité, puisque l’équipage dort dans des hamacs, dans un faux pont dont les hauteurs sous barreaux varient entre 1,56 mètres et 1,72 mètres de haut. L’intimité y est très limitée. « On se rend compte qu’être gabier à bord de l’Hermione, c’est faire plein de gestes simples qu’il faut réaliser dans un certain ordre et de manière coordonnée. On pratique ces gestes très anciens, qu’il faut multiplier dix ou vingt fois et on obéit à des ordres qui n’ont pas fusés depuis le 18e siècle ». Antoine Dossmann savoure cette expérience unique. « Avant je nageais dans une mer de papiers, je voyais ces bateaux-là dans les livres et je n’aurais jamais pensé ressentir les choses directement à bord. C’est en quelque sorte de l’archéologie expérimentale ».

La vie de gabier est également très physique et très exigeante, puisqu’il faut manœuvrer des cordages très lourds qui nécessitent parfois jusqu’à 20 personnes. L'équipage est, de plus, composé de seulement 80 personnes alors qu'il en fallait jusqu'à 300 à l'époque pour manœuvrer l'Hermione. « Il faut remercier le commandant Cariou pour cela, il a su faire preuve d’ingéniosité et d’adaptation pour réussir à nous faire manœuvrer avec un équipage moins important » précise Antoine Dossmann. L’association Hermione-Lafayette a de ce fait dépassé sa mission originelle, puisqu'elle se considère comme étant un organisme de formation à part entière. 500 jeunes ont été formés depuis 2013.

« Pour l’équipage, ce bateau est vivant. Il craque, il fait du bruit, il fait rêver. On a vu des jeunes se dépasser et prendre un plaisir incroyable. C’est magique. Par les temps que nous vivons, l’Hermione est un magnifique message d’espoir » conclut Isabelle Georget.

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