L'oeuvre de Léonard de Vinci redéfinie par l'étude de sa personnalité

La conservatrice du Met Carmen Bambach révèle ce qu'elle a appris sur le peintre de la Renaissance le plus célèbre au monde.

De Claudia Kalb
Publication 26 avr. 2019, 12:52 CEST
La conservatrice Carmen Bambach décrit les subtilités de la technique de Léonard de Vinci dans la création de la « Tête d'une jeune femme ».
PHOTOGRAPHIE DE Biblioteca Reale, Turin, Piedmont, Italië, Musei Reali di Torino, Bridgeman Images

Carmen Bambach, conservatrice au département des dessins et des estampes du Metropolitan Museum of Art de New York, a étudié pendant 23 ans la vie et l'œuvre de Léonard de Vinci. Le point culminant de ses recherches prend la forme d'un livre de 2 200 pages en quatre volumes, Leonardo da Vinci Rediscovered (Léonard de Vinci redécouvert en français, ndlr) qui sera publié par Yale University Press cet été.

Carmen Bambach a consacré 23 ans à la rédaction de son livre en quatre volumes, Leonardo da Vinci Rediscovered, qui sera publié cet été.
Courtesy Yale University Press

Dans une interview au Met, Carmen Bambach décrit ce qu'elle appelle la « méthode archéologique » utilisée pour rechercher des détails de la vie et de l'œuvre de Léonard : elle a étudié les subtilités de son écriture ; retranscrit et traduit les mots de l'artiste elle-même au lieu de s'appuyer sur des traductions déjà publiées ; et lu les livres consultés par Léonard dans leur forme originale. Plutôt que de se concentrer sur un seul thème (anatomie ou ingénierie) ou sur un seul aspect du patrimoine artistique de Léonard (dessin ou peinture), Bambach a décidé de présenter l'artiste dans son intégralité sous le prisme de l'historien de l'art et du biographe.

En plus de publier un livre, Carmen Bambach prépare une exposition sur un tableau inachevé de Léonard, Saint Jérôme. Le tableau, prêté par les musées du Vatican, sera présenté au Met du 15 juillet au 6 octobre 2019.

La peinture inachevée de Saint Jérôme de Léonard de Vinci, actuellement conservée au Musée de la Pinacothèque du Vatican à Rome.
PHOTOGRAPHIE DE Pinacoteca, Vatican Museums, Scala, art Resource, Ny

 

ENTRETIEN

En quoi votre approche de l'étude de Léonard diffère-t-elle de celle d'autres chercheurs ?

Il y a des historiens de l'art qui s'intéressent aux manuscrits, aux thèmes ou à la chronologie de son travail. Il y a ceux qui s'attachent davantage à ses peintures ou à ses dessins. J'ai pris des risques [et me suis demandé] : qui est cet homme et que se passe-t-il lorsque nous intégrons cette donnée dans un cadre biographique ? Comment pouvons-nous considérer à la fois l'artiste qu'était Léonard, mais aussi le penseur et l'auteur qu'il était ? Ce livre est vraiment destiné à montrer pourquoi la part biographique est importante.

 

Qui est le Léonard qui émerge pour vous ?

C'est un artiste de son temps qui parvient à transcender son époque. Il est très ambitieux. Il est important de se rappeler que, bien que Léonard ait été un « disciple d'expérience », comme il aimait à se qualifier, il accordait également une grande attention aux sources de son temps. Après avoir lu et dévoré de nombreux livres, il a réalisé qu'il pouvait faire mieux. Il voulait vraiment écrire des livres, mais le processus d'apprentissage est très exigeant. Nous devrions examiner ses cahiers et ses manuscrits comme s’ils constituaient la matière première de ce qu’il avait prévu de produire sous forme de traités. Sa grande contribution a été de pouvoir visualiser les connaissances d’une manière jusqu'alors inédite.

 

Pourquoi l'écriture de Léonard est-elle significative et en quoi vous a-t-elle aidée à le comprendre ?

L'un des mythes sur la manière d'écrire de Léonard, de droite à gauche, est qu'il écrivait en code. Mais ce n'est pas le cas. Il est en fait assez facile de lire son écriture sans miroir. La paléographie, l'étude de l'écriture manuscrite dans les manuscrits de Léonard, est très importante pour moi. Vous pouvez voir qu'il y a un rythme - il écrivait assez vite, toutes les lettres ont des ligatures. La façon dont un artiste pose la main sur le papier est absolument cruciale, car dès que vous pouvez voir le processus de l'écriture sur une feuille de papier, que ce soit de l'écriture manuscrite ou un dessin, vous savez que vous étudiez un travail authentique. Le processus m'intéresse beaucoup, parce que c'est ce qui vous permet d'entrer dans l'esprit de l'artiste.

Que révèle le processus utilisé dans ce dessin intitulé Tête de jeune femme (« Étude pour l'ange dans la Vierge aux rochers ») sur Léonard?

C'est l'un de mes préférés. La présence psychologique du modèle est si vive. Regardez la maîtrise. Il savait comment concentrer l'attention du spectateur sur ce qui est important. Observez ce regard latéral incroyable. La manière conventionnelle de réaliser des portraits à cette époque consistait à représenter le modèle de trois quarts ou de profil. Au lieu de cela, Léonard a exploré ce virage élégant dans l'espace. Regardez la manière extrêmement détachée de dessiner ce qui n’a pas d’intérêt - la rapidité du trait, la modélisation avec des hachures parallèles, la possibilité d’extraire quelque chose en quelques esquisses seulement. Il crée ce contraste entre le poli et le croquis. À tous les niveaux - en tant qu'image, pour la virtuosité technique - c'est juste incroyable. Un copiste ou un imitateur ne pourrait pas faire cela.

 

Malgré son ambition, Léonard n'a jamais publié ses traités. Que s'est-il passé ?

Pour moi, c'est une tragédie humaine. La différence entre ses ambitions et sa vision et ce qu'il était capable de concrétiser était énorme. Vous réalisez que le monde des non-réalisés et de ce qui se cache au-delà est beaucoup plus grand de manière exponentielle que ce qu'il est capable de produire. En fin de compte, la partie la plus intéressante pour moi a été le devenir de Léonard. Dès que vous êtes capable de retracer cela comme un voyage, vous suivez l'artiste dans son développement. J'ai eu le sentiment en fin de compte que cette approche humanisait le génie.

 

Quel type d’impact espérez-vous créer avec votre livre ?

Cela a été un privilège de travailler sur Léonard de cette manière très étendue et de pouvoir présenter ce livre à l'occasion de l'anniversaire de sa mort. Il y a une marge d'erreur dans tout ce que l'on entreprend, mais j'aimerais penser qu'en étudiant ses manuscrits, ses dessins et ses peintures, j'ai pu atteindre un niveau d'authenticité rafraîchissant pour la littérature scientifique. Et j'espère vraiment qu'une génération de jeunes érudits reprendra le flambeau. Je considère que mes quatre volumes ouvrent la porte à de futures recherches, elles n'en sont pas le dernier mot.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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