Exclusif : le Guatemala demande à la France de restituer une œuvre maya avant sa mise aux enchères

Le 18 septembre prochain un fragment de stèle maya sera mis aux enchères lors d’une vente organisée par la maison Millon, à Paris. Cette pièce, connue des archéologues depuis 1899, représente un des rois les plus importants de la dernière dynastie maya.

De Maxime Lelong
Publication 10 sept. 2019, 17:29 CEST
Le temple du grand jaguar, situé au centre de l'ancienne cité-État de Tikal, dans la région ...
Le temple du grand jaguar, situé au centre de l'ancienne cité-État de Tikal, dans la région du Petén, au Guatemala. Tikal est située à environ 170 km de Piedras Negras, le plus important site archéologique maya du Guatemala, dont il est question dans l'article.
PHOTOGRAPHIE DE Sean Caffrey, Lonely Planet/Getty Images

Deux puissantes cités mayas bordaient autrefois le fleuve Usumacinta, frontière naturelle entre le Guatemala et le Mexique. Au nord, sur la rive mexicaine, se dressait Yaxchilan et au sud, à une quarantaine de kilomètres sur l’autre rive, la cité Yocib, aujourd’hui connue sous le nom de Piedras Negras. Les deux cités rivales se sont affrontées durant des siècles, jusqu’à ce que Yaxchilan triomphe de Piedras Negras aux alentours de 810 après Jésus-Christ.

Aujourd’hui encore, Piedras Negras demeure le site archéologique maya le plus important du Guatemala. Remarquablement préservé car très difficile d’accès, au cœur de la jungle, ses sculptures et inscriptions ont permis en 1960 à l’archéologue Tatiana Proskouriakoff de déchiffrer l’alphabet maya et de comprendre la vie politique de cette civilisation ; un séisme dans l’histoire de la recherche. Avant cette date, on ne disposait que de très peu d’informations sur les centres d’intérêt des Mayas, qui semblaient passionnés par la religion, l’astronomie et le calendrier, mais pas par la politique.

La stèle numéro 9, dont un fragment sera mis aux enchères le 18 septembre à Paris, est une preuve irréfutable de l’importance que les Mayas portaient à leur propre histoire. « La stèle 9 représente un roi, debout, qui tient une lance dans sa main droite. À ses pieds se trouve un captif », décrit Dominique Michelet, directeur de recherche émérite au CNRS. « Il est vêtu en guerrier, commémorant sûrement une victoire de guerre. Il a sur la tête un élément en boule qui est surmonté d’une tête d’oiseau », ajoute Carlos Morales-Aguilar, archéologue et membre de l’association guatémaltèque d’archéologie.  

 

UNE STÈLE BRISÉE EN QUATRE MORCEAUX

C’est justement le fragment qui représente cette coiffe qui est destiné à être vendu à Paris par les époux Manichak et Jean Aurance. En plus de représenter un sublime exemple d’art précolombien, ce morceau de calcaire d’une cinquantaine de centimètres de côté donne surtout une information primordiale sur la cité de Piedras Negras. « L’oiseau, situé au sommet de la coiffure, est surmonté d’un signe géométrique que l’on connaît très bien car il s’agit du glyphe de la grande métropole Teotihuacan. Cet élément nous prouve que les Mayas classiques ont eu des rapports avec Teotihuacan alors même que cette sculpture a été réalisée bien après la chute de la métropole ».

Si l’on parle de fragment, c’est bien parce que la stèle en question est brisée en quatre morceaux. Est-ce le fait des pillages successifs qui ont eu lieu sur le site de Piedras Negras depuis les années 1960 ? Rien n’est moins sûr selon Dominique Michelet : « Sur la photographie prise par l’archéologue autrichien Teobert Maler en 1899, qui est la première représentation que l’on a de la stèle, on voit bien qu’elle est brisée au sol en plusieurs morceaux ».

S’il est probable qu’elle soit tout simplement tombée, il est davantage plausible qu’elle ait été brisée par les Mayas eux-mêmes. « À la fin de la dernière grande dynastie, au début du 9e siècle, Piedras Negras a été défaite pas son éternel rival Yaxchilan. Il est assez vraisemblable que les vainqueurs aient brisé un certain nombre de sculptures pour marquer leur victoire sur le pouvoir auquel ils s’opposaient », explique l’archéologue.

Ce qui est cependant certain, c’est que le fragment de stèle proposé aux enchères a été retaillé par les pilleurs pour faciliter son transport. « En comparant les photos de 1899 avec le fragment mis en vente, on voit que les pilleurs ont éliminé des parties qu’ils jugeaient moins intéressantes pour se concentrer sur la partie la mieux préservée », analyse Dominique Michelet. De la même manière, ils l’ont aminci pour le ramener d’une cinquantaine de centimètres d’épaisseur à environ six centimètres.

Après avoir été arraché à son environnement, ce fragment de stèle aurait été acquis par Earl Stendhal, un célèbre marchand d’art californien, avant d’être revendu aux époux Aurance. Il a donc complètement disparu des radars pendant des dizaines d’années, jusqu’à la mise en ligne du catalogue de la vente Millon d'art précolombien il y a quelques semaines. Ce qui a permis aux archéologues, à l’affût de ce type de ventes, de repérer l’œuvre.

« Le 27 juillet 2019, la Section pour la prévention et le contrôle du trafic illicite des biens culturels du Ministère de la Culture et des Sports du Guatemala a reçu une communication du directeur du Musée national d'archéologie et d'ethnologie, indiquant qu’un groupe d’archéologues internationaux l’avait informé de la vente d'un fragment de la stèle n° 9 du site archéologique de Piedras Negras à la Maison de ventes aux enchères Millon Drouot, le 18 septembre 2019 », détaille Francisco Roberto Gross Hernandez-Kramer, ambassadeur du Guatemala en France.

Depuis cette date, le Guatemala, par l’intermédiaire de son ambassade en France, tente de négocier une restitution du fragment au Musée national d'archéologie et d'ethnologie du Guatemala, avec de grandes difficultés. « Tout comme le Mexique, le Guatemala formule des actions en revendication très régulièrement. Mais elles n’aboutissent pratiquement jamais », confesse Dominique Michelet. La raison est simple : il s’agit très souvent d’objets qui ne sont pas inventoriés et dont il est quasiment impossible de prouver qu’ils ont été volés. L’ambassadeur du Guatemala lui-même avoue la complexité que représente une restitution : « En France, de 2010 à 2019, 10 procédures de réclamation ont été initiées avec des maisons de ventes aux enchères françaises. Cependant, aucune n’a permis une quelconque restitution. »

 

UN OBJET VOLÉ EST ENTACHÉ D’ILLÉGALITÉ

« La vraie difficulté, c’est d’arriver à prouver que c’est un objet véritablement volé, qui est susceptible d’une dénonciation au pénal », explique Dominique Michelet. « Et c’est précisément le cas de la stèle numéro 9 ! » Car sans le savoir, Teobert Maler pourrait bien, grâce aux photographies qu’il a réalisées en 1899, être à l’origine de la première restitution française d’une œuvre maya depuis dix ans. « À partir du moment où l’objet a été enregistré, photographié et publié, il est très clair qu’il a été volé et que c’est donc un objet a priori invendable », affirme l’archéologue.

La maison Millon, de son côté, ne semble pas de cet avis. Contacté par National Geographic, Romain Beot, responsable de la vente Manichak et Jean Aurance, maintient dans une réponse laconique que « la vendeuse est la légitime propriétaire du lot qu’elle a acquis en toute légalité ». S’il avance cet argument, c’est parce que les vendeurs parviennent généralement à empêcher l’annulation d’une vente en plaidant la bonne foi. Mais la situation est extrêmement complexe compte tenu du fait que l’affaire mêle droit guatémaltèque et droit français, et que ce n’est pas nécessairement ni l’un, ni l’autre, qui s’applique dans ce cas.     

Outre l’aspect juridique, il y a un vrai espoir de voir le fragment de stèle rapatrié au Guatemala, selon Dominique Michelet : « S’il n’y a pas retrait du fragment de la vente et recherche d’un accord, la réputation de la maison Millon en prendra un coup ». Pour l’archéologue, un objet volé est de facto entaché d’illégalité.

Si le fragment en question est restitué au Musée national d'archéologie et d'ethnologie du Guatemala, il est possible d’imaginer que la stèle puisse un jour être reconstituée. Selon les archéologues français et guatémaltèques, il y a de grandes chances pour que les deux autres fragments de la stèle, ainsi que son pied, soient toujours sur le site de Piedras Negras. Selon nos informations, une réunion avec le conseil des ventes de la maison Millon et des représentants du Guatemala devrait avoir lieu jeudi 12 septembre, à Paris, pour déterminer de l’avenir du fragment de la stèle 9.

 

Mise à jour du 12 septembre 2019 : L'ambassade du Guatemala nous a informé qu'elle était parvenue à un accord avec la propriétaire du fragment. Ainsi, celui-ci est retiré de la vente d'art précolombien du 18 septembre 2019. Une négociation à l'amiable est en cours entre les différentes parties. Aucune restitution n'a cependant été annoncée pour le moment. 

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