Les Basques, des Européens presque comme les autres

D’où vient la langue basque ? Malgré des années d’études, les linguistes se heurtent à un mystère. Pour découvrir l’origine des populations qui la parlent encore, des chercheurs ont sondé l’ADN.

De Florent Lacaille-Albiges
Publication 17 sept. 2019, 14:01 CEST
Démonstration de jeux basques au Forom des langues 2014, à Toulouse.
Démonstration de jeux basques au Forom des langues 2014, à Toulouse.
PHOTOGRAPHIE DE Pierre-Selim Huard - Creative Commons BY-3.0

Les Basques font figure d’exception parmi les peuples européens. Ils parlent l’euskara, l’une des seules langues non indo-européennes d’Europe. Et ils sont porteurs de particularités physiologiques, comme la quasi-absence de rhésus positifs. Pour comprendre leurs origines et leurs spécificités, l’ADN a été appelé à la rescousse, et a parlé. Trois questions à Lluis Quintana-Murci, généticien des populations à l’Institut Pasteur, et nouveau titulaire de la chaire de génomique humaine et évolution au Collège de France.

 

Comment peut-on retracer l’histoire des populations à travers leur génome ?

Lluis Quintana-Murci : Nous avons besoin de gènes dont nous connaissons l’origine avec précision et dont nous sommes certains de la transmission. Pour la plupart d’entre eux, ce n’est pas le cas : une moitié vient de la mère, l’autre du père, et chaque moitié correspond à 50 % de l’ADN d’un parent sélectionné au hasard parmi ses chromosomes. Un caractère peut ainsi être transmis sur de nombreuses générations ou disparaître soudainement, sans raison particulière.

Dans notre cas, nous allons donc nous intéresser à deux morceaux très spécifiques de l’ADN humain. D’un côté, le chromosome Y, qui est transmis de père en fils et qui permet donc de remonter la lignée paternelle. Si vous êtes un homme, vous possédez le même chromosome Y que votre père, que votre grand-père paternel, que son propre père et ainsi de suite. D’autre part, nous étudions l’ADN mitochondrial. Les mitochondries sont de petits éléments intra-cellulaires transmis par la mère en plus de ses chromosomes pour permettre le développement des cellules. Elles permettent donc de remonter la lignée maternelle de n’importe quel individu. Si nous trouvons le même ADN mitochondrial ou le même chromosome Y chez deux personnes, nous pouvons en déduire que leur lignée maternelle ou paternelle se rejoignent.

Cependant, même si leur transmission est simple, ces fragments du génome ne restent pas durablement identiques. Au fil des générations, ils subissent des petites variations. C’est donc un ADN légèrement différent qui est transmis à la descendance. Ce sont ces infimes mutations qui nous permettent de regrouper des populations ayant un ancêtre commun. En sachant à quelle fréquence apparaissent ces modifications, nous pouvons estimer à quelle époque remonte cet aïeul.

 

Au vu des spécificités linguistiques et physiologiques des populations basques, qu’est-ce que leur génome nous apprend de leurs ancêtres communs avec les autres populations européennes ?

Lluis Quintana-Murci : Les Basques parlent en effet une des seules langues non indo-européennes d’Europe (le hongrois et le finnois sont les autres exceptions). De plus, la très grande fréquence de rhésus négatifs au sein de cette population a laissé penser que leur particularité linguistique se doublait de variations génétiques spécifiques. Si c’était confirmé, cela pourrait indiquer que les Basques sont issus d’un peuplement différent du reste de l’Europe.

Nous avons donc étudié les différentes mutations génétiques présentes parmi les habitants du Pays basque. Mais nous en avons conclu que ceux-ci ne forment pas un isolat génétique. On remarque juste une plus grande présence de certaines caractéristiques typiques des Européens de l’Ouest. Sans être isolés de leurs voisins, les Basques ont apparemment été un peu moins influencés par les migrations indo-européennes.

Aujourd’hui, il y a donc un consensus pour dire que les Basques ne sont pas génétiquement différents du reste des populations européennes. En fait, on peut même penser que si on avait trouvé les mêmes spécificités chez les Lombards, par exemple, on ne s’y serait pas attardé. C’est la situation précise du peuple basque, avec leur langue distinctive et une situation politique particulière, plutôt que des différences marquantes, qui a suscité ces questions.

 

Même si ce n’est pas le cas pour les Basques, existe-t-il des isolats génétiques en Europe ?

Lluis Quintana-Murci : Il y en a deux, bien identifiés : les Finlandais et les Sardes. Dans chacun de ces cas, il s’agit d’une population très isolée et dont la taille a été fortement réduite à un moment de leur histoire. Tous les individus actuels descendent donc d’un petit nombre d’ancêtres, qui leur ont légué des variations génétiques très particulières.

Cependant, même pour les génomes qui ne sont pas aussi caractéristiques, on peut distinguer des spécificités régionales un peu partout en Europe, comme dans le cas du Pays basque. De nos jours, les mouvements de populations et le brassage tendent à homogénéiser notre patrimoine génétique. Mais il ne faut pas oublier que la majeure partie de notre histoire s’est déroulée avec des petits groupes d’individus relativement isolés les uns des autres. Les mutations survenues au fil du temps – ce que nous appelons la dérive génétique – se sont donc répandues essentiellement dans leur petit cercle.

En fait, en observant bien, on peut distinguer les génomes de populations vivant à 500 km de distance. Il y a quelques années, des généticiens ont d’ailleurs placé sur un graphique les différentes variations génétiques européennes : à quelques exceptions près, ils ont pu déterminer l’éloignement des individus les uns par rapport aux autres et retracer la carte de l’Europe.

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