Les inégalités sociales, un phénomène qui remonte à l'âge du Bronze

Des analyses ADN et isotopiques menées sur les peuples qui habitaient l'Allemagne il y a 4 000 ans mettent en évidence de surprenantes connexions entre les fermes de l'âge du Bronze.

De Megan Gannon
Publication 17 oct. 2019, 15:07 CEST
Alors que les archéologues entrevoient les débuts des inégalités sociales à travers l'absence ou la présence ...
Alors que les archéologues entrevoient les débuts des inégalités sociales à travers l'absence ou la présence de certains objets dans les sépultures, de nouvelles analyses scientifiques permettent à présent de faire la lumière sur la diversité géographique et génétique au sein des différents membres d'un foyer.
PHOTOGRAPHIE DE Schellhorn, ullstein image, Getty

Les premières preuves d'inégalité sociale en Europe sont apparues à l'âge du Bronze avec l'émergence de tombes truffées de biens luxueux destinées à une élite restreinte. Il est facile d'imaginer la propagation du phénomène de richesse et de pauvreté à travers une population mais une nouvelle analyse de sépultures anciennes du sud de l'Allemagne suggère que ces disparités sociales étaient également présentes au sein d'un même foyer où cohabitaient riches et pauvres.

Une équipe de chercheurs s'est récemment intéressée aux cimetières préhistoriques de la vallée de la Lech en Bavière. Il y a 4 000 ans, pendant l'âge du Bronze, cette vallée a vu fleurir les hameaux agricoles épars plutôt que des villages fortifiés densément peuplés. Chaque hameau se composait de quelques bâtiments d'habitation ou de stockage et d'un petit cimetière. (À lire aussi : On sait désormais ce que contenaient les « biberons » préhistoriques)

Les chercheurs ont analysé plus de cent tombes découvertes par les archéologues dans ces hameaux, dont les datations allaient du Néolithique (il y a environ 5 000 ans) au Bronze moyen (3 300 ans).

Grâce aux données extraites de l'ADN ancien, les chercheurs ont pu reconstruire l'arbre généalogique de chaque foyer. Ensuite, après avoir mené une analyse isotopique sur les squelettes, les scientifiques ont pu déterminer le lieu où avait grandi chaque individu et les voyages qu'il avait entrepris. Les chercheurs ont par ailleurs examiné la façon dont les défunts étaient enterrés en utilisant les objets contenus dans leurs tombes pour mesurer leur niveau de richesse.

Les résultats présentent quelques tendances intrigantes, indique Alissa Mittnik, généticienne au sein de la Harvard Medical School et coauteure de l'étude publiée le 10 octobre dans la revue Science. Chaque cimetière tendait à être occupé par un même noyau familial élargi qui aurait occupé les terres pendant quatre ou cinq générations. Les membres de la famille avaient tendance à être enterrés l'un à côté de l'autre et à posséder le plus grand nombre de signes de richesse tels que des ornements ou des armes dans leurs tombes. Il semblerait par ailleurs que les propriétés étaient héritées par filiation patrilinéaire étant donné que les seules relations parent-enfant observées dans les tombes étaient celles reliant des parents à leur fils.

Environ 60 % des femmes enterrées dans les hameaux de la vallée de Lech ont été classifiées « non-locales » en raison de l'absence de lien génétique avec les autres individus de l'échantillon. De plus, leur composition isotopique suggère qu'elles seraient arrivées dans la vallée de Lech en provenance de diverses régions parfois situées à des centaines de kilomètres. Ces femmes « non-locales » étaient toutefois enterrées avec le même type de biens funéraires que les femmes locales de haut rang.

« Nous nous interrogeons encore sur l'identité et le rôle de ces femmes dans ces communautés, » déclare Mittnik. « L'une de nos hypothèses est qu'elles seraient des femmes de haut rang venues d'ailleurs pour épouser un membre de ces familles. » Aucune fille adulte des hommes du noyau familial n'a été découverte sur les différents sites, ce qui laisse entendre que les femmes qui grandissaient dans ces hameaux auraient elles aussi quitté les lieux pour se marier. Cette tendance corrobore de précédents travaux publiés en 2017 par Mittnik et ses collègues.

D'un autre côté, les individus enterrés sans objets funéraires luxueux étaient plutôt des personnes locales sans lien génétique avec la principale lignée familiale.

« Nous pensons que ces individus étaient des serviteurs ou même des esclaves, » rapporte Mittnik, en s'appuyant sur l'absence de richesses emportées dans l'au-delà par ces individus contrairement aux autres tombes des cimetières. « Cela nous donne un premier aperçu de l'organisation d'un foyer complexe de la préhistoire. On y découvre un type d'inégalité social qui n'était pas visible jusque-là. » Les chercheurs imaginent que la structure sociale au sein de ces foyers pourrait se rapprocher de celle observée 1 500 ans plus tard aux époques de la Grèce antique et de l'Empire romain au cours desquelles il était fréquent d'avoir des esclaves ou des domestiques.

« Ces échantillons proviennent d'une époque pour laquelle il n'existe aucun texte écrit, ils nous permettent donc d'avoir une meilleure idée des dynamiques communautaires à l'œuvre, et ce, en allant plus loin que les seules données archéologiques, » déclare Krishna Veeramah, généticien rattaché à l'université d'État de New York à Stony Brook, non impliqué dans l'étude mais ayant déjà participé à des travaux sur l'ADN ancien des populations bavaroises ultérieures. « Grâce à cette approche à petite échelle, ils peuvent à présent commencer à utiliser l'ADN ancien pour examiner ces cultures préhistoriques à une échelle plus grande, celle de la communauté. »

Archéologue à l'université d'État d'Arizona, Michael Smith a étudié les inégalités historiques dans d'autres régions du monde. Selon lui, il n'est pas nécessairement surprenant que des personnes extérieures à la famille proche aient vécu dans le même foyer et met en garde contre le fait de présumer qu'il s'agissait forcément d'esclaves ou de serviteurs. Cela dit, il était très enthousiaste à la lecture des résultats.

« L'idée d'utiliser l'ADN pour examiner les relations de parenté et les inégalités à échelle locale est, je pense, très prometteur et il serait formidable de trouver d'autres cas pour lesquels ce type d'analyse serait possible, » observe-t-il.

Pour l'instant, les résultats ont peut-être soulevé plus de questions qu'ils n'ont apporté de réponses. Par exemple, les chercheurs n'ont pas réussi à identifier d'éventuels enfants des femmes non-locales. Si ces femmes étaient bel et bien des épouses venues de loin, que serait-il advenu de leurs enfants ? Voilà un mystère que Mittnik et ses collègues doivent encore élucider et ils ont déjà une idée en tête : ces enfants pourraient avoir été utilisés dans une sorte d'échange.

« Ils pourraient avoir été renvoyés dans les communautés d'origine de leur mère, peut-être comme moyen de renforcer les connexions commerciales et les réseaux maritaux ou culturels établis sur de longues distances, » suggère-t-elle.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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