Jack London, une vie aussi palpitante que ses livres

Après avoir vagabondé sans le sou à travers les États-Unis, puis s'être essayé à la vie de pirate et de chercheur d'or, il est devenu auteur à succès jusqu'à ce que son appétit démesuré pour l'aventure finisse par avoir raison de lui.

De Simon Ingram
Publication 29 févr. 2020, 00:20 CET
Jack London en Californie, en 1905. Même s'il reste principalement connu pour ses romans L'appel de ...
Jack London en Californie, en 1905. Même s'il reste principalement connu pour ses romans L'appel de la forêt, Croc-Blanc et Le Loup des mers, Jack London a écrit pas moins de 50 livres, allant de la science-fiction à la satire sociale. Il écrivait au minimum 1 000 mots par jour.
PHOTOGRAPHIE DE Pictorial Press LTD, Alamy

Le 19 février dernier sortait en salle une nouvelle adaptation cinématographique de L'Appel de la forêt, avec Harrison Ford dans le rôle de John Thornton, un orpailleur canadien qui se lie d'amitié avec un chien prénommé Buck sur fond de ruée vers l'or du Klondike. 

Le livre qui a inspiré ce long métrage est une tendre histoire d'amitié, de loyauté et de renouement avec la nature et l'instinct sauvage. Cette histoire, Jack London l'a écrite en 1903 et elle se classe aujourd'hui parmi les plus grands romans américains de tous les temps.

Parmi les cinquante livres dont il est l'auteur, les succès remarquables de L'Appel de la forêt et du roman suivant, Croc-blanc (1906), ont fait de Jack London l'un des écrivains les mieux payés et les plus traduits d'Amérique. De plus, grâce à sa personnalité charismatique et son attrait pour l'aventure, il est devenu l'une des toutes premières célébrités de la littérature. 

Cela dit, l'histoire personnelle de Jack London de la pauvreté au-devant de la scène littéraire est un parcours improbable, truffé d'embûches et relativement court, qui s'achève à l'âge de 40 ans dans des conditions encore peu connues. 

(The Walt Disney Company est l'actionnaire majoritaire de National Geographic Partners.)

Harrison Ford dans le rôle de Jack Thornton, aux côtés de Buck, dans la nouvelle adaptation au cinéma de L'Appel de la forêt.
PHOTOGRAPHIE DE 20TH CENTURY STUDIOS

BAPTÊME DE L'AVENTURE

L'homme qui allait plus tard devenir Jack London est né John Griffith Chaney à San Francisco en 1876, fils de Flora Wellman, professeure de musique et spiritualiste, et de William Chamney, astrologue itinérant. Ce dernier n'est que le père présumé car il n'a pas souhaité reconnaître l'enfant et a quitté Flora Wellman avant la naissance de John. Enfant, le jeune John est confié aux bons soins d'une nourrice afro-américaine, Virginia Prentiss, le temps que sa mère règle ses problèmes de santé physique et mentale. Il ne retrouvera sa mère que plus tard, lorsque celle-ci épousera un vétéran de la guerre de Sécession répondant au nom de John London et déménagera la petite famille dans la ville d'Oakland.

Après avoir pris le nom de son beau-père et troqué son prénom, Jack London quitte l'école à 14 ans et enchaîne les petits boulots éreintants dans la région de la baie de San Francisco. Il devient pilleur d'huîtres pendant un temps (un crime passible de la prison à perpétuité) puis rejoint, non sans une certaine ironie, les troupes gouvernementales qui luttent contre ce phénomène de piraterie huîtrière. 

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    Sur cette photo prise en 1885, Jack London alors âgé de 9 ans prend la pose à côté de son chien. Cette affinité avec les chiens sera plus tard remarquée par Marshall Bond qui dira à ce sujet que Jack London « avait l'œil pour discerner les bons caractères, et savait les apprécier chez les chiens comme chez les hommes. » Le chien que possédaient Marshall Bond et son frère Louis a inspiré Jack London pour le personnage de Buck, le chien-héros de L'Appel de la forêt.
    PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia Commons

    Grâce à ses expériences en mer, Jack London devient un marin aguerri et s'engage en 1893 en tant que matelot qualifié sur le Sophie Sutherland, un navire de chasse aux phoques qui fait route vers le Japon via les eaux capricieuses de la mer de Béring. Il n'a que 17 ans.

    Lorsqu'il regagne les États-Unis, c'est un pays bouleversé par la lutte ouvrière qu'il retrouve, aux prises avec un nouveau krach financier : la Panique de 1893. Il rejoint alors la marche de la Coxey's Army, des ouvriers sans emploi qui traversent en groupe le pays pour se rendre à Washington et demander une expansion des infrastructures et, a fortiori, des emplois pour le peuple. Après avoir connu la prison pendant 30 jours pour vagabondage, London retourne en Californie et passe quelque temps sur les bancs de l'université de Californie à Berkeley, jusqu'à l'épuisement de ses économies. C'est alors qu'une rumeur gagne l'Amérique : il y aurait de l'or plus au nord.

     

    CHAMPS DES SIRÈNES

    Au mois d'août 1896, un groupe de mineurs trouve de l'or à Rabbit Creek, près de Dawson City dans la région du Klondike sur le territoire canadien du Yukon. Sur les trois années qui vont suivre, on estime à 100 000 le nombre de prospecteurs partis en bateau depuis les villes de la côte ouest des États-Unis, notamment Seattle et San Francisco. Seul un tiers de ces aventuriers aurait réussi à traverser ces terres sauvages inhospitalières pour atteindre les champs aurifères du Klondike, Jack London était l'un d'eux. 

    La ruée vers l'or du Klondike tire son nom de la rivière qui traverse le Yukon. Contrée sauvage située à la frontière avec l'Alaska, le Yukon était un territoire largement inexploré aux infrastructures rudimentaires lorsque Jack London débarqua à Dawson City en 1897.
    PHOTOGRAPHIE DE Design Pics Inc., Alamy

    Les conditions de vie étaient désastreuses. Les histoires de malnutrition, de noyade dans les marécages sous d'énormes charges ou de démence à cause des effets combinés de la faim et du froid extrême sont nombreuses dans les témoignages de l'époque de ces chercheurs d'or avides de richesse. Bon nombre d'entre eux étaient employés par les prétendus Rois du Klondike qui jouissaient d'un monopole sur les zones aurifères fructueuses et versaient un salaire aux prospecteurs afin de remplir leurs propres poches du précieux métal. 

    Après avoir atteint l'Alaska, Jack London et sa bande de prospecteurs plutôt bien équipés naviguent sur une série de lacs périlleux et de rivières agitées, ils traversent ensuite la chaîne d'Alaska et le col du Chilkoot, là où s'achève l'Alaska et débute le Yukon. Une épaisse couche de neige recouvre ce passage escarpé que tant d'explorateurs redoutaient ; il leur fallait parfois jusqu'à 40 montées et descentes pour acheminer la nourriture et l'équipement jusqu'au sommet, sur lequel commençaient à se développer des campements précaires de Klondikers épuisés.

    Ce timbre commémore les difficultés de la ruée vers l'or qui a attiré Jack London sur les terres du Grand Nord et lui a inspiré ses livres comme Construire un feu, L'Appel de la forêt et Le Silence blanc.
    PHOTOGRAPHIE DE Peregrine, Alamy
    Dawson City est devenue la ville de la ruée vers l'or à la fin du 19e siècle. La dualité qui existait entre l'interminable nuit d'hiver et la lumière estivale incessante, couplée à la fatigue et la malnutrition dont souffraient de nombreux prospecteurs, était un terrain propice à la démence généralisée comme le racontent London, dans ses romans, et Robert W Service, dans ses poèmes.
    PHOTOGRAPHIE DE Asahel Curtis, Wikimédia Commons
    Une carte de prospecteur publiée vers 1898 dans un guide à destination des Klondikers.

    Après s'être attribué une parcelle de 150 m le long de la rivière Stewart, Jack London regagne Dawson City afin de revendiquer officiellement sa concession. Le temps qu'il passera dans les saloons enfumés de cette ville emblématique de la ruée vers l'or allait lui offrir un contraste chaleureux par rapport à la dure vie de chercheur d'or sur les berges austères et glacées de la rivière Stewart. C'est d'ailleurs dans cette ville qu'ont été plantées les graines de nombreux personnages de ses livres à venir, avec notamment la rencontre d'un St-Bernard-Colley prénommé Jack appartenant à deux frères qui avaient permis à London de camper à côté de leur cabine. L'un des maîtres du chien, Marshall Bond, dira d'ailleurs de son invité qu'il « avait l'œil pour discerner les bons caractères, et savait les apprécier chez les chiens comme chez les hommes. »

    La piste Chilkoot en 1898. Cette piste menait au col du même nom qui constituait un premier test grandeur nature pour les prospecteurs croulant sous le matériel qui souhaitaient accéder aux gisements d'or du Yukon. Sur les 100 000 prétendants au titre de Klondiker partis pour le Yukon, seuls 30 000 y sont parvenus.

    Après onze mois passés dans le Yukon, le manque de nourriture et de bien maigres trouvailles ont finalement poussé Jack London à retrouver sa Californie natale. Il écrira plus tard : « Je n'ai rien rapporté du Klondike à part le scorbut, » même si cela n'est pas tout à fait vrai. Ses expériences intenses au Canada combinées à sa décision de s'éloigner du « piège qu'est le travail » en s'essayant à l'écriture pour gagner sa vie l'ont amené à écrire plusieurs nouvelles traitant de questions existentielles ou élémentaires avec pour toile de fond le Grand Nord et ses conditions de vie intransigeantes. « C'est au Klondike que je me suis trouvé, » écrira-t-il plus tard. « Là-bas, personne ne parle. Tout le monde pense. Là-bas, on se fait sa propre vision. Je me suis fait la mienne. »

    Les individus rencontrés par Jack London dans le Yukon sont devenus les personnages de ses romans. En 1903, c'est au tour du chien de Marshall Bond d'entrer dans la fiction : Jack devient Buck, le chien californien qui voyage dans le grand nord pour travailler en tant que chien de traîneau, personnage principal de ce qui allait devenir le premier grand succès littéraire de London. Porté par la critique et le triomphe des premières copies parues dans le journal The Saturday Evening Post, L'Appel de la forêt est finalement publié en livre en 1903 et connaît un succès immédiat.

    La piste Chilkoot en 1898. Cette piste menait au col du même nom qui constituait un premier test grandeur nature pour les prospecteurs croulant sous le matériel qui souhaitaient accéder aux gisements d'or du Yukon. Sur les 100 000 prétendants au titre de Klondiker partis pour le Yukon, seuls 30 000 y sont parvenus.
    PHOTOGRAPHIE DE Pjworldtour, Alamy

    « EN AVANCE SUR SON TEMPS »

    En 1900, Jack London épouse une enseignante, Elizabeth Maddern, qui lui donnera deux filles, Joan et Bess. Quatre ans plus tard, il est dépêché par le San Francisco Examiner en tant que correspondant de guerre pour suivre le conflit russo-japonais. Il se rend alors au Japon à bord du SS Siberia et se retrouve entouré d'un groupe de journalistes au penchant prononcé pour l'alcool, surnommé « les Vautours », composé notamment de correspondants du New York Herald et The Times.

    Ses dépêches faisaient régulièrement l'objet de controverses ; pour certains, elles alimentaient la crainte et les préjugés de l'occident face à la puissance grandissante des pays asiatiques et témoignaient du penchant de London pour les stéréotypes racistes, allant même jusqu'à s'attirer la sympathie de suprémacistes blancs. Socialiste convaincu depuis ses jours passés dans la Coxey's Army, la position de London sur la question ethnique a connu plusieurs interprétations divergentes ; l'un de ses principaux biographes, Earle Labor, qualifiera d'ailleurs la vision de London de « tissu de contradictions ».  

    Jack London (cinquième depuis la gauche) et les Vautours, une équipe de journalistes de guerre envoyés pour recueillir des informations sur le conflit russo-japonais en 1904. La photographie a été prise à bord du SS Siberia.

    Cela dit, une analyse ultérieure des dépêches de London sur la guerre russo-japonaise publiée par Daniel A. Métraux dans The Asia Pacific Journal soutenait le contraire : London serait en fait un libéral perspicace qui faisait preuve de compassion pour l'opprimé et anticipait les conflits à venir. « L'examen attentif des écrits de London montre [...] qu'il était en avance sur son temps, tant sur le plan intellectuel que moral, » pouvait-on lire dans l'analyse de Métraux, pour qui l'auteur américain pratiquait un « journalisme pondéré et objectif, démontrant à la fois un intérêt pour le bien-être du soldat japonais, du soldat russe et du paysan coréen, ainsi qu'une forme de respect pour le Chinois ordinaire qu'il avait pu rencontrer. » Plus tard, London allait écrire un récit futuriste intitulé L'invasion sans pareille (1910), dans lequel il décrira l'anéantissement de la Chine par un occident malveillant. Pour Jeanne Campbell Reesman, l'histoire de cette nouvelle qui se déroule en 1975 est une « sérieuse mise en garde contre la haine raciale et sa paranoïa, doublée d'une alerte vis-à-vis d'une politique internationale qui consentirait et inciterait à la guerre biologique. »

    L'Appel de la forêt (1903) fut le premier succès commercial de Jack London, dans lequel il raconte l'histoire d'un chien qui quitte l'Homme pour retrouver ses racines sauvages. Publié en 1906, Croc-Blanc inverse la dynamique de cette histoire alors que Le Loup des mers (1904) s'appuie sur l'expérience de l'auteur à bord des bateaux de chasse aux phoques dans le Pacifique Nord.

    L'œuvre de London ne se contente pas de s'appuyer sur l'expérience de l'auteur, elle la transcende. Ainsi, il émane de bon nombre de ses travaux les plus acclamés une atmosphère relativement obscure. « London a écrit des dizaines de nouvelles de premier ordre. Une tranche de bifteck, Koolau le lépreux et Au sud de la Fente (toutes parues en 1909) en sont trois parfaits exemples, » déclare Kenneth Brand, professeur de littérature américaine au Savannah College of Art and Design et éditeur de The Call, le magazine de la Jack London Society. « Il a un jour présenté Le Peuple de l'abîme (1903), un reportage sur les conditions de vie des classes les plus pauvres de l'East End de Londres, comme étant son ouvrage favori. En se faisant passer pour un sans-abri, Jack London s'est fondu dans ce milieu pour écrire de première main son témoignage. »

     

    L'APPEL DE L'OCÉAN

    Grâce à la stabilité du revenu dont il bénéficiait et à la renommée dont il jouissait dans le monde entier, London pouvait aisément se permettre de s'adonner à deux de ses passe-temps favoris : la terre et la mer. Après l'échec de son premier mariage en 1904, l'auteur retrouve une âme sœur en la personne de Charmian Kittredge puis, en 1906, il passe commande d'un voilier long de 16 m qu'il baptise The Snark en référence au poème de l'absurde aux consonnances maritimes écrit par Lewis Carroll et intitulé La Chasse au Snark. À travers la construction de ce bateau transparaît l'attitude téméraire et au bout du compte malavisée de London vis-à-vis de l'investissement. Ainsi, à propos du coût exorbitant de la construction du Snark, passé d'un budget de 7 000 $ (6 500 €) à un prix final de 30 000 $ (28 000 €) dans un San Francisco qui se remettait à peine du séisme de 1906, il écrira ces quelques mots : « J'ai signé les chèques et j'ai réuni l'argent. »

    Jack London en compagnie de sa seconde épouse, Charmian Kittredge, en 1907.
    PHOTOGRAPHIE DE Pictorial Press LTD, Alamy

    Sans tenir compte de la modeste taille de son deux-mâts, il décide de faire le tour du monde à la voile au cours d'une expédition étalée sur plusieurs années. Dans un article paru en juillet 1907, le magazine Popular Mechanics rapporte que London s'apprête à « passer sept ans à chercher les ennuis » à bord de son navire, avant d'ajouter qu'il était équipé de tout le confort moderne et d'un « petit arsenal composé de fusils à pompe, de fusils, de plusieurs revolvers et même d'une mitrailleuse. » En 1911, Jack London retrace son voyage dans La Croisière sur le Snark (1911), mais également à travers un recueil de huit nouvelles aujourd'hui considéré comme l'une de ses plus belles œuvres, les Contes des mers du sud (1911). 

    Le ton employé par l'article de Popular Mechanics prête à London une image publique d'individu extravagant, de fauteur de trouble aventureux, un moule comme viendrait plus tard le combler Ernest Hemingway. Une chose est sûre, London avait bel et bien le goût de l'aventure, et pas uniquement dans ses investissements ; lors de la première partie de son périple à bord du Snark entre San Francisco et Hawaï, il enchaîne les mésaventures : réservoirs contaminés, coque percée, tempêtes, soins dentaires rudimentaires, navigation malheureuse et excursion sur les territoires de prétendus cannibales. Son aventure se termine d'ailleurs de façon prématurée en Australie lorsqu'il contracte le pian, une maladie invalidante qui l'empêche d'honorer ses activités contractuelles d'écrivain. Pris de fièvre, la peau nécrosée, des ongles hypertrophiés et un corps intégralement recouvert de psoriasis : aurait-il contracté la lèpre ? Certains le craignent. Il passera cinq semaines au sein d'un hôpital australien auxquelles suivront cinq mois de convalescence dans un hôtel. L'équipe médicale responsable de son traitement reste impuissante et seul un retour en Californie lui permet finalement de guérir. À en croire Jack London, c'est un « joyeux, joyeux voyage » qui vient de s'achever.

    Jack London installé à la barre de son ketch, The Snark, en 1907.

    « UNE MULTITUDE D'IDENTITÉS »

    L'optimisme de London envers son escapade nautique à bord du Snark semble dénoter un personnage qui s'épanouissait dans l'aventure et l'ensemble de ses expériences collectives plutôt qu'un simple fauteur de trouble. « Il voulait tout, sans aucune limite, et paraissait capable de se glisser dans une multitude d'identités à la fois : écrivain, orpailleur, socialiste, marin, vagabond, aventurier, agitateur politique, agriculteur, surfeur, journaliste et la liste est loin d'être terminée, » rapporte Brandt. « London était doué d'une imagination extrêmement fertile et il débordait d'énergie tout en étant très efficace. »

    Son amour pour ce qu'il décrit comme un « retour à la terre » le pousse à faire l'acquisition progressive au cours de sa carrière d'une parcelle de 560 hectares à Glen Ellen, sur les collines surplombant Oakland en Californie. Il y installe une ferme, s'occupe des terres et construit la Wolf House, une immense propriété construite en pierre et séquoia de la région dans laquelle il souhaitait écouler ses vieux jours aux côtés de son épouse. La demeure comptait 26 chambres et une vaste bibliothèque de 5 m de hauteur sur 12 m de longueur. 

    Malheureusement, le 22 août 1913, le rêve porté par London d'une vie recluse et romantique dans ce foyer qu'il espérait tant voir défier les âges connaît une fin tragique, lorsque des ouvriers du ranch aperçoivent au loin une lueur s'élever dans le ciel. Les flammes ont eu raison de la Wolf House, tout est détruit hormis ses murs en pierre. Les affaires du couple venaient à peine d'être transférées dans la maison et les deux amoureux devaient prendre possession des lieux d'un jour à l'autre. Arrivés à cheval et impuissants face au brasier, il ne leur reste qu'à regarder leur rêve partir en fumée.   

    La nuit était chaude, mais plutôt calme. L'absence de cause évidente et l'étrange timing de cet incendie ont amené Charmian London à écrire qu'il « s'agissait indéniablement d'un feu déclenché par un ennemi. » De nombreuses rumeurs ont circulé dans les mois qui ont suivi ce drame et plusieurs suspects ont été évoqués, des employés du ranch mécontents aux voisins jaloux en passant par Charmian elle-même, soi-disant furieuse et blessée en raison de l'obsession de son mari pour la construction. 

    Aucune cause n'a été identifiée jusqu'en 1995, lorsqu'une enquête menée par l'expert en criminalistique Bob Anderson rejette la faute sur la combustion spontanée de piles de chiffons en coton imbibés d'huile de lin, probablement laissés au sol par des ébénistes imprudents.

    L'investissement personnel dans cette propriété était considérable, à la fois sur le plan financier et émotionnel. Charmian écrira d'ailleurs que la perte de l'habitation avait « tué une partie de Jack » 

    Les ruines de la Wolf House sur le parc d'État historique Jack London, à Glen Ellen, dans le comté californien de Sonoma. La maison a brûlé juste avant que le couple London n'y emménage. Selon sa femme, la perte de cette demeure a « tué une partie de Jack. »
    PHOTOGRAPHIE DE Jon Arnold Images Ltd, Alamy

    LE PRIX DES EXCÈS

    L'extravagance de Jack London dans ses projets agricoles, la construction puis finalement la perte de la Wolf House ont contribué à placer l'auteur dans une situation financière inconfortable et pour ne rien améliorer, les assurances qu'il avait contractées ne lui ont reversé qu'une infime partie de la valeur effective de la propriété.

    London était un auteur prolifique : 49 livres en 17 ans, en plus des multiples articles et nouvelles rédigés alors qu'il était journaliste, et même un livre achevé à titre posthume. Toutefois, malgré son succès, la grandeur de son style de vie faisait qu'il était en permanence à court d'argent, et ce, même avant la perte de sa propriété. On apprend par exemple en 1910 qu'il a vendu son bien-aimé Snark à un Britannique à Sydney pour la modique somme de 4 500 $ (4 100 €), soit une fraction de son coût. De plus, certains prétendaient que son objectif rigoureux de 1 000 mots par jour était plutôt un besoin qu'un désir, même si d'autres soutiennent qu'il l'atteignait sans trop de difficulté. 

    Qui plus est, au moment de l'incendie de la Wolf House, la santé de l'auteur était déjà fragilisée. Fumeur depuis toujours, le Klondike avait porté un premier coup à son état de santé. À l'instar de nombreux chercheurs d'or, il souffrait de malnutrition et du scorbut, ses dents de devant tombaient et son dos le lançait terriblement. Il a tout de même fini par se rétablir, mais ses affections ultérieures contractées dans le Pacifique Sud ainsi qu'un goût prononcé pour l'alcool hérité de ses longues périodes de navigation dans des mers glacées et de son temps passé dans les saloons de Dawson City ont eux aussi fini par laisser des traces. On pense que le chlorure de mercure qu'il utilisait pour soigner les lésions cutanées dues au pian qu'il avait contracté à bord du Snark a pu être la cause de la maladie rénale qui l'a arraché à la vie. Jack London meurt en novembre 1916 dans son ranch de Californie à l'âge de 40 ans.

    Jack London dans son bureau californien, peu de temps avant sa mort en 1916.

    Malade et célèbre, le cheminement pour expliquer sa mort n'a pas été des plus directs. Rapports médicaux contradictoires, découverte d'ampoules de morphine aux côtés d'un calcul de surdosage et rumeurs d'un empoisonnement volontaire ; voilà une intrigue suffisante pour détourner les regards de son certificat officiel de décès où figurait la mention presque banale « urémie suite à une colique néphrétique ». 

    C'est ainsi que les rumeurs de suicide ont commencé à hanter l'héritage de Jack London et le hantent encore aujourd'hui dans certains milieux. « "Suicide par overdose" est plus accrocheur que "mort suite à une maladie rénale" » déclare Brandt. « L'histoire du suicide est encore plus sensationnelle dans une vie déjà très romanesque. Le drame appelle le drame. »

     

    L'AVENTURE EN HÉRITAGE

    Le nom de Jack London se retrouve aujourd'hui dans ses livres, sur des monuments, dans le nom de diverses organisations qui honorent sa mémoire et a même donné lieu à la création d'un parc d'État historique sur le site de son ancien ranch, où se dressent toujours les pierres de la Wolf House. Dans le dernier film, Harrison Ford est le huitième acteur à incarner John Thornton à l'écran.

    Et même si pour certains la quantité prévaut sur la qualité dans le travail de London, sa notoriété ne fait aucun doute. Dans ses plus belles heures, l'œuvre de London s'est classée parmi les plus grands succès littéraires, même si la reconnaissance n'est arrivée que dans des temps relativement récents. « Du milieu à la fin du 20e siècle, l'establishment littéraire se préoccupait davantage des complexités stylistiques de William Faulkner et T.S. Eliot qu'au style direct et accessible de London » explique Kenneth Brandt. « Plus récemment cependant, l'étude de l'œuvre de Jack London a connu un regain d'intérêt car les critiques dirigent de plus en plus leur attention sur des sujets comme l'ethnicité, la classe sociale, le genre, l'environnement et les animaux ; des sujets que London tenait à cœur. » 

    Oublions un temps les critiques, le sentiment incontestablement distillé par Jack London était un sentiment d'aventure, d'aventure avec un A, avec les mots qui aujourd'hui encore nous entraînent. Comme le souligne le journaliste primé aux Pulitzer Tony Horwitz dans l'introduction de l'édition 2002 des Contes des mers du sud, « Lorsqu'un récit de London nous accroche, on y plonge corps et âme, aux confins du monde et à la limite de l'endurance humaine. »

     

    L'Appel de la forêt est en salles depuis le 19 février dernier.
    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.co.uk en langue anglaise.

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