L'expédition d'Égypte : la chimère orientale de Napoléon

Le 21 juillet 1798, Bonaparte remporte la bataille des Pyramides : première victoire d’une entreprise hasardeuse et inédite, destinée à consolider sa gloire en installant la présence française en Égypte. Mais bientôt, le rêve bascule dans le cauchemar…

De Jean-Joël Brégeon
Publication 8 avr. 2020, 11:04 CEST
En 1867, Jean-Léon Gérôme offre  sa propre vision de Bonaparte en Égypte  : un conquérant solitaire ...

En 1867, Jean-Léon Gérôme offre  sa propre vision de Bonaparte en Égypte  : un conquérant solitaire méditant devant la grandeur du  sphinx de Gizeh. Hearst Castle,  San Simeon.

PHOTOGRAPHIE DE Wiki Commons

L'expédition d’Égypte est née de l’idée conjointe de Bonaparte et de Talleyrand, le ministre des Relations extérieures du Directoire. Elle doit mettre l’Angleterre en difficulté. Depuis le traité de Campoformio de 1797, elle est la seule à continuer la guerre. Imprenable chez elle faute de moyens navals, elle est vulnérable dans son commerce. En prenant l’Égypte, on lui couperait la « route des Indes ». 

Les Directeurs sont satisfaits d’une telle proposition, qui rétablirait la France en Méditerranée. En outre, elle permettrait d’éloigner pour longtemps le plus glorieux des généraux, bien capable de finir en factieux pour renverser la république. L’intéressé nourrit peut-être ce genre d’intention, mais il est pris aussi par son « rêve oriental ». Même s’il n’imagine pas être un nouvel Alexandre fondant un empire jusqu’à l’Indus, il se voit bien fondant une nouvelle et vaste colonie. 

 

UN DÉSIR TRÈS BIEN PLANIFIÉ 

Il a médité et minutieusement préparé l’expédition dans tous ses détails. Il s’entoure de savants et de techniciens de toutes les disciplines. Il les convainc de le suivre en Égypte. Sur place, il leur faudra construire une Égypte française, transformer un pays décadent, opprimé par la caste étrangère des Mamelouks, délaissé par le sultan ottoman. L’Égypte sera ouverte aux Lumières, elle sera comme un pont entre l’Orient et l’Occident. 

Les faits vont enlever toute flamboyance à cette ambition. Parti le 19 mai 1798 de Toulon, le corps expéditionnaire de 36 500 hommes débarque sans encombre à Alexandrie. Les Mamelouks sont vaincus au pied des pyramides, Le Caire est occupé. Mais, le 1er août, l’amiral britannique Nelson coule l’essentiel de la flotte française à Aboukir. Les Français se retrouvent enfermés dans leur conquête. 

 

UNE ARMÉE D'OCCUPATION

Or, loin de se décourager, Bonaparte étend sa mainmise sur l’Égypte. Le Delta est soumis, et Desaix conquiert la Haute-Égypte. Bonaparte a cherché une bonne entente avec les Égyptiens, allant même jusqu’à exalter l’islam. Il a même averti ses hommes : « Les peuples avec lesquels nous allons vivre sont mahométans […]. Agissez avec eux comme nous avons agi avec les juifs, avec les Italiens, ayez des égards pour leurs muftis et leurs imams […]. Les légions romaines protégeaient toutes les religions. Vous trouverez ici des usages différents de ceux de l’Europe : il faut vous y accoutumer. » Mais le fossé culturel est trop profond et, à l’appel de la mosquée Al-Azhar, les Cairotes se soulèvent. La répression est féroce ; partout les Français vivent en vase clos, en terre ennemie – « comme en Vendée », diront les vétérans. 

Commandé à Gros par Bonaparte lui-même, les Pestiférés de Jaffa (détail) met en scène le général parmi ses soldats malades : tels les rois thaumaturges d’autrefois, il touche les pustules de l’un d’entre eux. 1804. Musée  du Louvre, Paris.

PHOTOGRAPHIE DE Wiki Commons

Londres invite le sultan à reprendre l’Égypte et lui apporte sa logistique. Une armée descend par la Syrie. Avec 13 000 hommes, Bonaparte se rend en Terre sainte. Il prend Jaffa, l’emporte à Nazareth, au mont Thabor, mais ne parvient pas à prendre Saint-Jeand’Acre. L’armée s’épuise, victime de la « peste », et perd un tel nombre d’hommes qu’il faut rentrer au Caire. 

En Égypte, l’armée d’occupation s’use dans des accrochages incessants ; une guerre invisible, d’une cruauté rare, dans les deux camps. Les Français usent de la minorité copte pour les basses besognes. Le mal du pays envahit les esprits, d’autant que les nouvelles de France sont rares. Celles qui parviennent restent secrètes. Le Directoire a repris la guerre contre l’Autriche, avec des revers. L’Italie est sur le point d’être perdue. Les Russes, avec à leur tête le général Souvorov, arrivent en renfort. 

 

FUIR LE PIÈGE DE L'ÉTAU BRITANNIQUE

Bonaparte doit rentrer, mais auparavant il doit se porter à Aboukir, où une armée ottomane amenée par les Anglais a débarqué. Ce sera un massacre qui fera oublier le revers naval. Le 23 août 1799, il confie l’Égypte à Kléber, le meilleur de ses divisionnaires, et la quitte avec juste une poignée de fidèles. Les Anglais le laissent passer. Le 16 octobre, il est à Paris ; le 18 brumaire n’est pas loin.

Quant à l’Égypte française, elle connaît un dernier succès avec la victoire de Kléber à Héliopolis, le 20 mars 1800. Trois mois plus tard, Kléber est assassiné par un terroriste. L’Égypte passe aux mains de l’incapable général Menou, qui échoue à la bataille de Canope le 21 mars 1801 et capitule à Alexandrie le 31 août, avec, comme seule faveur, le rapatriement de l’armée sur des navires anglais… 

Cet échec, cinglant, ne passa pas pour tel aux yeux des Français et même de l’Europe. D’abord parce que Bonaparte a su minorer ses responsabilités en montrant que seul l’État dramatique de la France l’avait obligé à quitter l’Égypte. Ensuite, parce que dans les sillages de l’expédition a fleuri un goût, voire une passion pour tout ce qui s’y rapportait. L’égyptologie est née de l’aventure de Bonaparte ; la présence et l’influence françaises ont joué un grand rôle en Égypte, jusqu’à l’expédition de Suez en 1956. Des liens avaient été tissés ; ils ont perduré.

 

Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine

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