Néolithique : le visage d'une femme reconstitué 7 500 ans après sa mort

L'analyse de ce crâne de femme mis au jour en 1996 nous donne un aperçu inédit de la vie à Gibraltar vers 5400 avant notre ère.

De Manuel Jaén
Publication 5 juin 2020, 17:25 CEST, Mise à jour 16 déc. 2020, 11:47 CET
Reconstruction du visage de Calpeia. Musée national de Gibraltar.

Reconstruction du visage de Calpeia. Musée national de Gibraltar.

PHOTOGRAPHIE DE Manuel Jaén

En 1996, des archéologues mènent des travaux de fouille dans une grotte à Gibraltar. Ils y trouvent une sépulture contenant des ossements humains, dont un crâne.

Aucun doute pour les archéologues : le site funéraire est très, très ancien. Il a été découvert sous des couches de sédiments contenant des os de poissons, d’oiseaux et de mammifères, mais aussi des objets taillés dans le silex. Le crâne est endommagé mais il trouve quand même sa place au musée national de Gibraltar.

En 1996, un crâne humain est retrouvé dans une grotte à Punta de Europa, le point le plus méridional de Gibraltar.

PHOTOGRAPHIE DE Manuel Jaén

Pendant des années, on ne savait pas à quelle époque appartenait ce crâne. Ce n’est qu’en 2019 qu’une étude phare révèle enfin les résultats de l’analyse ADN : il appartient à une femme ayant vécu il y a 7 500 ans. Il s’agit des plus vieux vestiges d’une femme moderne jamais découverts à ce jour dans ce territoire d’outre-mer.

Pour ce qui est de l’ascendance génétique, l’analyse a montré que le crâne provient de l’extrême est de la péninsule ibérique. La présence de gènes de l’autre côté de la Méditerranée donne aux archéologues de précieux indices sur les déplacements humains au moment où l’agriculture était en pleine croissance à travers l’Europe.

Le phare de Punta de Europa est situé à l’extrémité de la pointe sud de Gibraltar. Le crâne de Calpeia a été découvert dans une grotte à proximité en 1996.

PHOTOGRAPHIE DE Jacek Sopotnick, AGE Fotostock

L’équipe du musée national de Gibraltar a procédé à une reconstruction anatomique du visage de la femme. Les ordinateurs ont scanné ses os cassés et, à l’aide de programmes de clonage et de restitution 3D, ont réussi à reconstituer les parties endommagées ou manquantes, y compris la mâchoire. En combinant les données obtenues par scanner avec les analyses génétiques, les membres de l’équipe ont réussi à modeler un visage spectaculaire, presque vivant, en l’espace de six mois. Les chercheurs ont baptisé leur création Calpeia, puisant leur inspiration dans l’ancienne appellation de Gibraltar, mieux connu dans l’Antiquité sous le nom de Mons Calpe.

 

L’HISTOIRE HUMAINE INSCRITE DANS LA ROCHE

Ce n’est pas la première fois que des restes d’hominidés sont retrouvés à Gibraltar, situé à la pointe sud de la péninsule ibérique. De nombreuses découvertes y ont été faites, donnant des indications importantes sur les débuts de l’histoire humaine. Territoire britannique depuis le 18e siècle, Gibraltar offre une vue sur le Maroc et se trouve aux portes de la Méditerranée.

Le rocher de Gibraltar atteint une altitude de 426 mètres. L’affleurement de calcaire est parsemé d’un vaste réseau de grottes qui ont servi d’abri à l’Homme et à son cousin hominidé pendant des dizaines de milliers d’années.

Le crâne de Calpeia a été retrouvé dans une grotte à Punta de Europa, le point le plus méridional de Gibraltar. Pas loin, on trouve les grottes de Gorham, inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO. Elles ont jadis été la demeure des Néandertaliens de Gibraltar, une population à laquelle les archéologues accordent un intérêt particulier. L’Homme de Néandertal est une espèce éteinte qui vivait dans ces grottes il y a 32 000 ans.

 

LE MYSTÈRE DU CRÂNE ÉLUCIDÉ

Lorsque le crâne a été découvert en 1996, essayer de récolter des informations était mission impossible. Le climat humide de Gibraltar avait entraîné une détérioration rapide de l’ADN et la possibilité d’extraire du matériel génétique pertinent semblait peu probable à l’époque. L’analyse ADN n’en était qu’à ses balbutiements et les dégâts apportés au crâne rendaient son étude difficile.

En 2019, l’étude des échantillons d’ADN ancien avait fait des pas de géant. La revue Science a publié l’analyse des génomes de 271 habitants d’Espagne, de Gibraltar et du Portugal, y compris celui du crâne de 1996. Les chercheurs ont réussi à extraire des échantillons viables d’ADN sous la supervision de la Harvard Medical School.

Grâce aux résultats, les chercheurs ont pu élucider de nombreux mystères : il s’agit du crâne d’une femme ayant vécu vers 5400 avant J.-C., soit plusieurs millénaires après l’extinction des Néandertaliens de Gibraltar. Elle était plutôt menue, sa peau était claire et elle avait des yeux et des cheveux foncés. Elle souffrait d’intolérance au lactose, une affection courante à l’époque.

Calpeia a vécu il y a 7 500 ans pendant la phase du Néolithique où l’agriculture et l’élevage connaissaient un essor rapide à travers la péninsule ibérique, remplaçant ainsi le modèle du chasseur-cueilleur. Son intolérance au lactose suppose que la production laitière ne faisait pas partie de sa culture.

Le crâne ne permet pas de déterminer avec précision à quel âge Calpeia est décédée. Les sutures crâniennes, c’est-à-dire les articulations fibreuses qui relient les os au crâne, laissent à penser qu’elle avait entre 25 et 40 ans.

 

CAP SUR L’OUEST

Les chercheurs étaient particulièrement enthousiastes à l’idée de découvrir l’ascendance de Calpeia. Selon l’analyse ADN, uniquement 10 % de ses gènes proviennent de la péninsule ibérique. Les 90 % restants trouvent leur origine en Anatolie, l’actuelle Turquie. On trouvait, parmi les agriculteurs anatoliens qui ont vécu durant le Néolithique, un pourcentage élevé de personnes au teint clair et aux yeux foncés. En revanche, les chasseurs-cueilleurs de l’Europe centrale et occidentale avaient plutôt les yeux clairs et la peau foncée.

Un vase néolithique comme ceux utilisés à Gibraltar à l’époque où Calpeia a vécu.  

PHOTOGRAPHIE DE Manuel Jaén

Selon les archéologues, l’agriculture s’est développée dans plusieurs régions du monde au même moment. L’Anatolie était l’un des centres mondiaux de la révolution néolithique. C’est d’ailleurs dans cette région que les activités agricoles et l’élevage sont nées avant de se propager lentement vers la Méditerranée et l’Europe.

Le pourcentage élevé de gènes anatoliens dans l’ADN de Calpeia suggère que ses origines anatoliennes étaient récentes. Il est probable que Calpeia, ses parents ou ses ancêtres récents se soient rendus d’Anatolie à Gibraltar par voie maritime.

S’ils avaient voyagé par voie terrestre, leur progression vers l’Ouest aurait pris des années, voire des générations. Leur ADN se serait mélangé à celui des populations locales en cours de route, et le génome de Calpeia aurait alors témoigné d’une plus grande diversité.

L’analyse des génomes d’individus en Sardaigne révèle également la présence de gènes anatoliens en grande proportion, renforçant l’hypothèse selon laquelle les Anatoliens auraient voyagé vers l’Ouest.

Les grottes de Gorham, inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO, étaient autrefois très appréciées des Néandertaliens. Plusieurs millénaires plus tard, vers 5400 avant J.-C., les populations se sont servies des grottes comme sites funéraires.  

PHOTOGRAPHIE DE Spl, AGE Fotostock

On ne sait toujours pas si leurs produits agricoles les ont accompagnés durant le voyage. Il n’existe aucune preuve archéologique d’une quelconque activité agricole à Gibraltar à l’époque. Il est fort probable que Calpeia et son entourage vivaient de chasse et de pêche.

Toutefois, les archéologues ont découvert les restes de semences de blé datant de la même époque, à 200 kilomètres environ de l’endroit où le crâne a été trouvé. Calpeia a vécu à Gibraltar au cours d’une période charnière, lorsque les habitudes humaines ont connu une évolution radicale. Une culture qu’elle – ou ses cousins anatoliens – s’efforçaient de mettre en place et de propager.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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