Découverte de l'une des plus longues séries d'empreintes humaines préhistoriques

Le va-et-vient d'un voyageur préhistorique portant un enfant a été capturé dans ses moindres détails par le paysage qu'il traversait.

De Maya Wei-Haas
Publication 19 oct. 2020, 17:39 CEST
Il y a plus de 10 000 ans, une femme ou un jeune homme traversait une mare de ...

Il y a plus de 10 000 ans, une femme ou un jeune homme traversait une mare de boue en portant un nourrisson dans ce qui est aujourd'hui devenu le parc national des White Sands au Nouveau-Mexique. Aujourd'hui, leurs empreintes offrent à la science une fenêtre sur le passé.

Avec l'aimable autorisation de l'université de Bournemouth et NPS

Il y a plus de 10 000 ans, une femme ou un jeune homme progressait tant bien que mal en direction du nord, un enfant sur la hanche, à travers l'actuel parc national des White Sands, au Nouveau-Mexique. Ses pieds nus glissaient dans la boue alors que ruisselait peut-être sur son visage une pluie battante. Après avoir brièvement posé l'enfant au sol, l'individu repartit de plus belle et peu de temps après, le chemin qu'il avait emprunté reçut la visite d'un mammouth laineux et d'un paresseux géant. Quelques heures plus tard, le voyageur rebroussa chemin, cette fois-ci les mains vides.

Une équipe de scientifiques a récemment documenté plus d'un kilomètre d'empreintes fossilisées liées à cette expédition en va-et-vient, la plus longue collection d'empreintes humaines jamais découverte pour cette époque. « C'est une première pour moi, » reconnaît Kevin Hatala, biologiste de l'évolution externe à l'étude rattaché à la Chatham University.

Le sentier rassemble plus de 400 empreintes humaines, dont plusieurs de petite taille laissées par des enfants, comme le décrivent les scientifiques dans la nouvelle étude publiée par la revue Quaternary Science Reviews. En analysant la forme, la structure et la répartition de ces empreintes, l'équipe de chercheurs a pu dévoiler le portrait intime de l'un de ces marcheurs préhistoriques jusqu'au glissement de ses orteils sur la surface boueuse.

Les scientifiques nettoient avec prudence les empreintes creusées dans le sable avant de les enregistrer en trois dimensions. Les structures sont très délicates et se décomposent rapidement une fois exposées.

Avec l'aimable autorisation de l'université de Bournemouth et NPS

L'équipe a également mis au jour des traces de mammouth et de paresseux géant traversant la région après le passage des humains. Le mammouth semblait indifférent à l'idée d'une présence humaine à proximité, mais le paresseux géant en aurait vraisemblablement pris note. Les empreintes suggèrent qu'il se serait relevé sur deux pattes, peut-être pour flairer cette présence humaine comme le font les ours aujourd'hui.

« Cela nous permet de situer l'Homme dans son écosystème ancien, » déclare l'auteure de l'étude, Sally Reynolds, paléontologue à l'université de Bournemouth. Elle évoque notamment la sensibilité du paresseux à la présence d'humains à proximité. « C'est une information que l'on ne pourrait pas tirer d'un os. »

 

DES TRACES FANTÔMES

Les empreintes fossilisées sont une véritable aubaine pour les scientifiques. Et pour cause, ils offrent une fenêtre sur les comportements anciens qu'ils ne pourraient en aucun cas glaner à partir d'autres vestiges. « Les fossiles sont évidemment essentiels à la compréhension de la vie passée, » admet William Harcourt-Smith, paléoanthropologue à l'université de la ville de New York, non impliqué dans l'étude. « Mais les empreintes ont une place à part, car elles figent un moment dans le temps. »

Cette récente découverte s'inscrit dans une volonté de documenter le véritable trésor d'empreintes fossilisées laissées sur les terres du parc national des White Sands, une initiative fondée sur les observations minutieuses de David Bustos, directeur du programme de gestion des ressources du parc. Les traces sont difficiles à identifier en raison de leur faible profondeur et ne sont visibles que grâce à une légère variation de l'humidité qui entraîne un changement de couleur discret.

« Il remarquait toujours ces traces fantômes, ces empreintes, qui apparaissaient à la lumière, » se souvient Reynolds des observations de Bustos.

En 2016, Bustos se décide à interroger divers spécialistes à propos des empreintes, notamment l'auteur principal de la nouvelle étude, Matthew Bennett, géologue à l'université de Bournemouth en Angleterre. Depuis, Bennett et ses collègues se sont rendus à plusieurs reprises dans le parc des White Sands afin de documenter la palette d'empreintes, humaines et animales, dans chaque section du parc.

Les empreintes de la nouvelle étude sont imprimées dans du sable fin et seule une mince pellicule de sel permet de les maintenir en forme, témoigne Reynolds. L'équipe a procédé au nettoyage méticuleux de 140 empreintes, à l'aide d'un pinceau, afin d'en révéler la délicate structure. Malgré leur minutie, la forme fragile des empreintes se dégrade rapidement une fois celles-ci exposées, c'est pourquoi les chercheurs ont répertorié chaque empreinte via une série de photographies destinées à en reconstruire un modèle en trois dimensions, une technique appelée photogrammétrie.

« Dès que nous les avons exposées, la course est lancée pour les photographier avant qu'elles ne finissent tout simplement par disparaître, » explique Reynolds.

 

PETITS PIEDS

En étudiant la forme, la taille et la distribution des empreintes, les chercheurs ont tenté de reconstituer les événements de cette ancienne expédition à travers un paysage boueux. L'un des principaux protagonistes était probablement une femme de douze ans ou plus, ou un jeune homme, d'après une comparaison avec la taille des pieds des humains modernes. À au moins trois endroits le long du chemin, de petites empreintes s'ajoutent aux traces principales, signe de la présence d'un enfant de moins de trois ans.

L'espacement des empreintes suggère que la personne marchait à environ 6,1 km/h. Sans être un pas de course, observe Hatala, ce rythme est tout de même soutenu compte tenu des conditions boueuses et de la charge du marcheur.

À certains points, les foulées du voyageur étaient anormalement longues, comme s'il avait dû sauter ou enjamber un obstacle. « C'était peut-être des flaques d'eau, » suggère Reynods. « Ou de la bouse de mammouth. »

Quant à l'enfant, il était porté d'un seul côté. Sur le trajet vers le nord, les empreintes du pied gauche sont légèrement plus larges, ce qui pourrait être le résultat du transport de l'enfant sur la hanche. Les empreintes en direction du nord présentent également des occurrences de glissade des orteils du randonneur sur la surface boueuse, le pied emportant la boue avec lui pour créer une empreinte en forme de banane. En revanche, sur le trajet retour, la différence de taille observée à l'aller dans la série d'empreintes n'apparaît plus et les glissades sont nettement moins fréquentes, ce qui suggère que le marcheur était moins encombré.

Ce n'est pas la première fois que des chercheurs interprètent des différences de taille entre pied droit et gauche comme la preuve d'un transport de charge, mais auparavant ces interprétations ne dépassaient pas le stade de la spéculation. La nouvelle étude offre des preuves supplémentaires : « Dans ce cas particulier, on distingue les empreintes d'un enfant qui apparaissent soudainement à différents endroits, » explique Hatala.

Les empreintes animales ont permis aux chercheurs d'établir la chronologie de cette traversée. Après l'aller vers le nord, le mammouth et le paresseux géant ont piétiné la série d'empreintes humaines encore fraîches alors que les traces laissées par les humains sur leur trajet retour se superposent à celles des animaux. Cette superposition montre que toutes les empreintes ont été déposées en l'espace de quelques heures avant que la boue ne sèche complètement. La présence de ces créatures aujourd'hui disparues suggère que le périple s'est déroulé il y a au moins 10 000 ans.

 

TOUT COMME NOUS

En 2017, Reynolds était chez elle, enceinte, lorsque Bennett, son mari, l'appela pour lui annoncer la découverte de cette longue série d'empreintes. « Il était aux anges, » se souvient Reynolds. Tous deux étaient particulièrement touchés par la présence de l'enfant lors de cette expédition préhistorique. « Je ne m'attendais tellement pas à ces minuscules empreintes, » dit-elle. Ils ont baptisé la série d'empreintes « Zoe's trail » (le sentier de Zoe, ndlr), d'après le nom qu'ils comptaient donner à leur fille à sa naissance.

Il reste beaucoup à apprendre de cet ancien aventurier. Où allait-il ? Quel était le but de son voyage ? Qu'est-il arrivé à l'enfant ?

Une chose est sûre, la personne qui a laissé ces traces semblait connaître la route, indique Reynolds, peut-être rejoignait-elle le camp d'une autre famille ou d'un autre groupe de chasse. « Les traces ne laissent apparaître aucune hésitation, elle n'était pas perdue, » indique-t-elle. Néanmoins, la destination de son voyage reste inconnue, puisque les empreintes se dirigent vers ce qui est aujourd'hui le centre de lancement de White Sands, une zone inaccessible aux chercheurs.

Le comportement immortalisé par la série d'empreintes n'a peut-être rien de surprenant, reprend Harcourt-Smith. Il est normal de voir des humains porter un enfant : « Toutes les civilisations le font ; les singes le font, » illustre-t-il. Néanmoins, il est possible de s'identifier à cette découverte.

« Elle nous rappelle que ces peuples préhistoriques étaient comme nous, » dit-il. « Ils n'étaient peut-être pas confrontés aux mêmes problèmes quotidiens — aucun mammouth ne partage notre monde — mais ils déambulaient à travers leur environnement tout comme nous le faisons aujourd'hui. »

L'équipe de chercheurs poursuit son travail au sein du parc national des White Sands et tente par tous les moyens de nous offrir une image nuancée des anciens occupants de la région. « Ce sont là de petits condensés de vie et de comportements préhistoriques vis-à-vis d'autres animaux et paysages que nous ne pensions jamais découvrir, » déclare Reynolds. Avec le temps, nous finirons par révéler d'autres histoires… et d'autres mystères.

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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