La Dame de Baza, précieux aperçu sur l'antiquité espagnole

Alors qu'ils fouillaient la région en quête d'artefacts produits par une insaisissable civilisation ibère, les archéologues ont mis au jour une somptueuse statue funéraire : la Dame de Baza.

De Benjamin Collado
Publication 25 nov. 2020, 17:06 CET

Assise sur un trône ailé, la Dame de Baza a été découverte dans une nécropole ibère à Baza, en Espagne. La pièce aux tons colorés a été réalisée au 4e siècle avant notre ère.

PHOTOGRAPHIE DE ASF, Album

Dans le sud de l'Espagne, au nord de la petite ville de Baza se trouve une nécropole pré-romaine connue sous le nom de Cerro del Santuario. En 1971, une équipe d'archéologues y entame des fouilles et par une matinée de juillet sous le soleil ardent de l'Andalousie, l'outil d'un technicien se heurte à une surface solide. Ce qui semblait n'être au départ qu'un morceau de pierre colorée va rapidement attirer l'attention de l'archéologue Francisco José Presedo. À mesure que l'objet sort de terre, le visage d'une femme apparaît, inondé de lumière après 2 500 ans passés dans l'obscurité.

Désormais connue sous le nom de Dame de Baza, cette sculpture de calcaire représente une femme richement vêtue et parée de bijoux, assise sur un fauteuil ailé. À l'origine peinte dans des couleurs vives, l'œuvre présente encore aujourd'hui des traces de pigments, notamment du fard rose sur les joues ainsi que des carrés blancs et rouges sur le pourtour de sa tunique. Des restes humains de crémation ont été découverts dans une ouverture sur le côté droit de la statue, ce qui confirme l'utilisation de la Dame de Baza comme urne funéraire vers 380 avant notre ère.

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    La Dame d'Elche, 4e siècle avant notre ère. Statue funéraire ibère. Musée archéologique national d'Espagne, Madrid.

    PHOTOGRAPHIE DE Oronoz, Album

    La Dame de Baza ressemble à d'autres figures féminines taillées dans la pierre découvertes ailleurs en Espagne, comme la Dame d'Elche, un artefact similaire mis au jour en 1897. Toutes deux étaient autrefois richement décorées et portent des tenues, coiffes, boucles d'oreille et colliers typiquement ibères.

    Ces objets sont l'œuvre d'un peuple pré-romain, les Ibères, une civilisation autour de laquelle plane encore aujourd'hui un épais mystère. Cependant, avec ses parures somptueuses, la Dame de Baza a offert aux chercheurs quelques pistes de réflexion quant au défunt dont elle renfermait les cendres.

    Par ailleurs, les détails de la statue suggèrent un lien avec d'autres cultures du pourtour méditerranéen, notamment les Romains et les Carthaginois. La terre natale des Ibères a été prise en étau dans la lutte entre ces deux puissances un siècle après la création de la Dame de Baza.

     

    UNE MYSTÉRIEUSE CIVILISATION

    Pour les écrivains de l'antiquité, les Ibères étaient les habitants d'une région aujourd'hui devenue l'Espagne. En revanche, pour les archéologues, ce terme est strictement dédié au peuple de l'âge du Bronze qui habitait cette même région.

    Ils étaient les descendants de la civilisation d'El Argar, une société hiérarchique dirigée par un chef qui s'est effondrée vers 1500 avant notre ère. Les Ibères ont progressivement émergé vers 1000 avant notre ère sous la forme d'une société nouvelle et complexe. À l'instar de leurs ancêtres argariques, ils étaient doués dans le travail du métal et ont su mettre à profit ce talent pour s'enrichir en commerçant avec les marchands de la Méditerranée orientale.

    Dès le 8e siècle avant notre ère, les Celtes font leur apparition dans le nord, l'ouest et le centre de l'Espagne. Ils se mélangent à la population ibère locale et donnent naissance à une civilisation hybride, les Celtibères. En revanche, ils ne s'aventurent pas au-delà des collines arides du sud-est de la côte méditerranéenne, où vivait en plus grande concentration la population ibère originelle.

    Découverte en 1971, la Dame de Baza est venue gonfler les rangs des statues vivement colorées et parées de bijoux à l'effigie de femmes ibères. Un siècle plus tôt était mis au jour le buste de la Dame d'Elche, considéré comme l'intégralité de la statue dans un premier temps. Cependant, en s'appuyant sur les études menées sur la Dame de Baza, certains spécialistes sont aujourd'hui convaincus que la Dame d'Elche était elle aussi un monument funéraire et que la pièce retrouvée ne serait donc qu'une partie d'une sculpture plus grande comprenant également un trône.

    PHOTOGRAPHIE DE Oronoz, Album

    Le celte fait partie des langues indo-européennes, aux côtés de 445 autres langues, mais nous ne savons que peu de chose des origines de la langue maternelle des Ibères. Des inscriptions en ibère ont déjà été découvertes et présentent une ressemblance avec l'alphabet phénicien, mais le fonctionnement de la langue reste en grande partie méconnu et les spécialistes dépendent donc fortement de l'archéologie pour recueillir des informations sur ce peuple et sa culture.

    De toutes les tribus ibères du sud-est, il y en a une qui semble avoir joué un rôle prépondérant aux 4e et 3e siècles avant notre ère. Plus tard, les Romains ont donné à ce peuple le nom de Bastetani, en référence à Basti, la ville qu'ils avaient élue capitale. Aujourd'hui devenue Baza, c'est là que la Dame de Baza a été découverte il y a près de 50 ans.

     

    UN PUITS DE SAVOIR

    Les spécialistes de la civilisation ibère considèrent que les restes incinérés découverts sur le côté de la Dame de Baza seraient ceux d'une Batestani aristocrate décédée vers 380 avant notre ère.

    Contrairement à d'autres sculptures funéraires aux traits féminins découvertes en Espagne qui avaient à un certain point été déplacées de leur lieu initial d'enterrement, la Dame de Baza a été découverte in situ. À l'origine, la statue était attachée au mur nord d'une chambre funéraire carrée de la nécropole, à environ 1,80 m (soit six pieds) sous terre.

    Diverses offrandes avaient été déposées devant elle : plusieurs céramiques aux décorations polychromes accompagnées d'armes en métal. Sans même connaître sa véritable identité, il ne fait aucun doute que cette femme était importante : les objets laissés à ses pieds suggèrent un rang social élevé. En outre, ces artefacts laissent aisément deviner l'influence stylistique des peuples grecs et phéniciens avec lesquels les Ibères pratiquaient le commerce.

    L'ensemble de la statue a été taillé dans un seul bloc de pierre, recouvert d'une couche de plâtre et peint de différentes couleurs : bleu, rouge, noir et blanc. D'après les experts, le visage du personnage pourrait être une représentation fidèle de la défunte, mais il est impossible d'en être certain.

    L'iconographie de la statue révèle l'influence d'une puissante civilisation extérieure. Lorsque la dame de Baza était encore en vie, la richesse des Ibères dépendait d'une nouvelle plateforme commerciale majeure créée par les Phéniciens en Afrique du Nord. Ils avaient baptisé leur capitale Carthage qui signifie « la nouvelle ville » en phénicien.

    La découverte de la Dame de Baza a déclenché de vives émotions à travers toute l'Espagne. Les témoignages racontent que les locaux s'agenouillaient devant elle, croyant y voir une représentation de la Vierge Marie, mais une dispute éclata entre le gouvernement espagnol et les investisseurs au sujet du propriétaire légitime de la sculpture. La propriété est revenue à l'État et la statue a été transportée au Musée archéologique national de Madrid où elle a pu être accueillie par les dirigeants du musée (ci-dessus).

    PHOTOGRAPHIE DE Efe

    L'influence carthaginoise se manifeste dans l'aspect spirituel de la Dame de Baza. Son trône pourvu d'ailes évoque une déesse, tout comme le pigeon qu'elle tient dans sa main gauche. D'après les spécialistes, ces symboles aviaires font référence à la divinité phénicienne Tanit, déesse mère et divinité majeure de la Méditerranée occidentale. Au 4e siècle avant notre ère, le culte de Tanit était largement associé à la ville de Carthage.

    En 264 avant notre ère, Carthage s'est lancée dans l'invasion de l'Espagne à travers une série de guerres contre Rome avant d'être finalement repoussée en 206 avant notre ère. La péninsule ibérique est progressivement tombée entre les mains de l'Empire romain. Avec la montée de l'influence romaine dans la région, la culture ibère et sa langue ont peu à peu disparu. 

    Aujourd'hui, la Dame de Baza est exposée au musée archéologique national d'Espagne à Madrid. Avec la Dame d'Elche et d'autres joyaux de l'histoire, elle est une pièce majeure de notre compréhension grandissante de l'ancienne Ibérie.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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